Auteur : Ann Radcliff
Titre original : The mysteries of Udolpho
Éditeur : Folio/Classiques
1ère édition : 1794
Nb de pages :905
Lu : juin 2008
Ma note :
Résumé :
Ann Radcliffe publie en 1794 The Mysteries of Udolpho. Les romantiques anglais, et les Victoriens, lui ont voué un culte. En France, Balzac, Hugo, Nodier, Féval, Sue, se souvinrent d’elle. On ignore ce qui a pu pousser cette petite bourgeoise à la vie ordinaire à raconter des histoires terrifiantes, qu’on appelle « gothiques » en Angleterre et « noires » en France parce qu’elles cherchent à provoquer la crainte chez les lecteurs.
Émilie explore le château mystérieux, chandelle à la main, à minuit. La menace (surnaturelle?) est partout présente. Les séquestrations, les tortures ne sont pas loin. Quel est le dessein du maître des lieux? Quels sentiments éprouve la jeune fille pour son tuteur et geôlier? Qui épousera-t-elle, après cette quête de soi à travers les corridors du château, qui ressemblent à ceux de l’inconscient? Ce n’est pas pour rien qu’un chapitre porte en épigraphe ces mots de Shakespeare: « Je pourrais te dire une histoire dont le moindre mot te déchirerait le coeur. »
Mon avis :
Ann Radcliffe a marqué son temps, et en a inspiré plus d’un, et pas des moindres. J’ai vite été happée par son récit, au style désuet mais délicat. Le langage de Victorine de Chastenay, la traductrice de l’époque, est d’un grand raffinement. Elle nous restitue à merveille une nature encore relativement sauvage. Les mystères d’Udolphe qu’on nous promet dès le titre se font attendre, et la première partie, assez longue, est tout sauf sombre. L’auteur décrit la sud de la France avec beaucoup de poésie, on s’imbibe de l’atmosphère bucolique de la Gascogne, et des paysages verdoyants des Pyrénées, nous voyageons de Toulouse à Venise, en passant par d’inattendus (de la part d’une anglaise du XVIIIème siècle) villages comme Collioure ou Leucate. Finalement, après de tristes péripéties et quelques débuts de mystères rapidement mais subtilement évoqués, on suit l’héroïne dans un enchainement de déboires et de mésaventures. Peu à peu d’étranges faits et événements non expliqués ponctuent l’intrigue et attisent l’imagination des plus crédules. Le personnage d’Émilie est soumis à diverses pressions. Les deuils, l’amour, le devoir, la soumission, et la dépendance seront son lot au fil des pages, de son pays natal à l’Italie. Les amours contrariées, les demoiselles abandonnées, les tyranniques coureurs de dot, les contrebandiers, les mercenaires, les châteaux lugubres et les phénomènes inexpliqués composent un roman foisonnant aux rebondissements multiples. Les malentendus et les idées préconçues ont la part belle. Si les personnages cèdent à la superstitions et aux frayeurs ancestrales, le lecteur n’en n’est pas loin non plus. Émilie, jeune fille fort instruite et cultivée, apparait tout d’abord comme étant d’une nature rationnelle et réfléchie, puis se met elle-même à douter dans ses moments de fatigue et de faiblesse. L’obscurité est omniprésente, l’héroïne déambule dans un château froid et immense, ou les ténèbres règnent. On ne finit par voir que ce que l’on craint de voir. L’imaginaire prend le dessus sur les faits, et, à défaut d’explication, on se rabat sur des croyances populaires, entretenues par l’ignorance et la peur. Les éléments fantastiques du roman n’en sont pas vraiment. Ils participent à une ambiance des plus sinistres mais trouvent une explication bien terre à terre.
Plusieurs événements sans rapport entre eux trouvent une explication non seulement rationnelle, mais un lien demeuré impénétrable jusqu’à la fin du livre. Toutefois, après un engouement sans borne pendant les deux tiers du livre, j’avoue avoir trouvé certains passages assez longs, avec bon nombre de répétitions. On pleure beaucoup, on s’évanouit souvent. On pourra trouver Émilie plutôt pénible avec sa faiblesse de jeune fille naïve, son innocence maladive. Ses émois à répétitions, que de nos jours nous appellerions vulgairement des douches froides, font souvent craindre pour sa santé mentale. Tout au long du récit Émilie est présentée comme une victime, ballotée par les événements et les tragédies, qui n’obéit qu’à son devoir et à la bienséance au mépris de ses sentiments. Néanmoins, on pourra admirer la moralité de l’auteur, qui au bout du compte vante les mérites d’une vie simple et modeste, d’une existence proche de la nature et des hommes. Les richesses ne sont rien si elles ne servent pas à aider notre prochain, moins chanceux. Notre destin nous appartient, il ne tient qu’à nous de voir au-delà des apparences, des richesses prétendues comme telles, pour ne voir que l’essentiel et trouver notre vrai bonheur. Au bout du compte, un roman qui se dévore, et malgré quelques grosses ficelles, certaines menues énigmes perdurent jusqu’au dénouement, ce qui rend le suspens hasardeux et pas aussi puissant qu’il aurait pu l’être. Un roman aux intrigues multiples, à l’ambiance certes sombre et inquiétante, mais finalement pas si noir que ça pour un lecteur du XXIème siècle.