Le rétropédalage spectaculaire de VoyagesScnf (VSCNF) dans sa campagne ponctuelle et avortée avec AirBnB nous a permis de conclure dans le 1er round que les hôteliers étaient finalement perdants sur l’image de marque. Qu’en est-il au sujet du de la fiscalité et de la réglementation en vigueur qui suscitent beaucoup les débats. Qui sera le grand gagnant de ce match entre l'hôtellerie traditionnelle et les hébergeurs du collaboratif ?
Un vecteur de croissance sur l’activité économique locale
Lors des AirbnbOpen, une rencontre de 6000 hôtes internationaux organisée à Paris, en novembre 2015, Airbnb a communiqué des chiffres son activité économique en France. La société avance notamment les 2,5 milliards d’euros de retombées économiques générées par les voyageurs. Reconnaissons que la location de vacances 2.0 est définitivement un vecteur de croissance de l’activité économique. C’est un bon point pour l’économie collaborative et la manne de clients qu’elle draine localement. Mais c'est vrai aussi pour l'hôtellerie. Match nul.
Du cash insufflé directement par les voyageurs sur les territoires mais quelles sont les règles appliquées en termes d’imposition sur les sociétés ?
Impôts sur les sociétés.
Les hôteliers : 1.
Les acteurs de l’hébergement collaboratif (étrangers) : 0 pointé !
Aiirbnb fait toujours et encore l’actualité. Il sont super efficaces les responsables de la communication corporate, on parle toujours de la société en bien ou en mal, mais on parle toujours d’eux. Ce qui contribue à ancrer la marque dans l’esprit des voyageurs. Pour la première fois cette année, Airbnb et Blablacar sont rentrés dans le top 10 des sites les plus visités en France (source Médiamétrie).
Le bouc-émissaire de l’hébergement collaboratif est-il irréprochable sur le paiement de ses impôts en France ? Les syndicats hôteliers avancent des chiffres, BFM Business parle de volume d’affaires et non pas de chiffre d’affaires sur lequel sont imposés les sociétés. Bref, personne n’est vraiment tout à fait très clair dans l’histoire.
J’ai décidé de me faire ma propre opinion. En mode investigation du mercredi soir :-) Je préviens tout de suite, je ne suis pas un matheux, ce qui devrait rassurer la plupart d’entre vous pour suivre mon raisonnement. Pour les plus scientifiques, je vous encourage à commenter mon calcul. Prenez quand même une bonne rasade de café, on va causer chiffres !
Dans les statistiques communiquées, Airbnb annonce 218 millions d'euros de revenus pour les hôtes parisiens entre 2014 et 2015. C’est bien !
Le modèle économique d’Airbnb peut être schématisé de la sorte :
- 3% de commissions prise à l’hébergeur.
- 6 à 17% de frais de service pris au voyageur. Un taux variable en fonction de la destination et du temps de séjour. Comme je n’ai évidemment pas plus de précisions sur ce taux variable, je prends une cote mal taillée de 11%.
- + 15% de commissions supplémentaires lorsque la réservation est générée depuis une publicité Adwords (merci Tnooz quelle surprise de découvrir cette variable au passage !).
Partons de ce postulat des 218 millions d’euros gagnés par les hôtes sur la ville de Paris entre 2014 et 2015.
Sachant que chaque hôte reçoit 97% de sa somme, l’ensemble des commission perçues par Airbnb auprès des hôtes est de 6,7 millions d’euros. Pour arriver à ce chiffre : 218*(100/97) - 218 = 6,7.
La somme des prix affichés sur le site au client pour l’ensemble des annonces est de 224,70 millions d’euros (218 + 6,7). Sur cette somme, j’applique ma grosse maille des 11% pour calculer les frais de service imputés au voyageur soit 24,7 millions d’euros perçus par Airbnb auprès des voyageurs.
Le chiffre d’affaires étant constitué des commissions ajoutées aux frais de service, j’arrive au total à un CA de 31,4 millions d’euros pour la seule ville de Paris en un an.
Je suis certainement en dessous de la réalité comme je ne peux pas estimer les commissions confidentielles sur le programme Adwords.
Il faudrait de plus rapporter ce chiffre d’affaires sur l’ensemble du territoire. Le nombre de logements disponibles en France sur Airbnb s'élève aujourd'hui à 200.000 dont 60.000 (30%) sont à Paris et en Ile-de-France. Le chiffre d’affaires est donc à rehausser sur les 70% de logements en Province où l’activité touristique est certainement nettement moins dynamique et lucrative qu’à Paris.
Enfin évidemment pour être tout à fait précis, il faudrait prendre de date à date car Airbnb est sur une croissance importante, la donne peut changer en quelques mois seulement.
Après tout ce n’est peut être pas aussi éloigné de la vérité ? Restons donc à Paris avec mes 31,4 millions d’euros de CA. Savez-vous quel est le chiffre d’affaires déclaré par Airbnb en 2014 ? Il est de 5 millions… Où sont donc passés les 26 autres millions ?
Je ne vous le dirai pas préciser. La fiscalité n’est pas mon dada. Mais visiblement les éléments de langage sont bien passés dans la communication d’Airbnb à ce sujet. Nicolas Ferrary développe un discours bien rodé, interrogé sur Europe 1 mardi soir, il répond aux journalistes, “nous payons nos impôts dans les pays où nous opérons”. Il ajoute “"Nous sommes un groupe privé et nous ne communiquons pas sur notre volume d'activité". Merci societe.com !
Il ajoute même que la fiscalité des hôtes est équivalente voire supérieure à celle appliquée sur les hôtels. Oui mais attendez la question posée concernait l’imposition d’Airbnb pas celle des hôtes non ? Habille pirouette qui ne trompera pourtant pas les auditeurs attentifs.
Allez, on ne va pas se mentir. Et on ne vas pas taper sur Airbnb plus que sur les autres. Je ne voudrais pas en faire plus un bouc-émissaire qu’il ne l’est déjà. Sans être un expert comptable ou un magnat de la finance, on comprend tout l’intérêt d’avoir un siège social à Dublin pour les entreprises étrangères, où la fiscalité y est beaucoup plus avantageuse qu’en France. En termes de TVA c'est une évidence. Je ne suis pas allé vérifier les contrats de location. Mais la pratique est assez connue, le lieu des contrats de location sont à Dublin même si l'appartement est en France. Bien entendu les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) sont autrement plus efficaces et à blâmer les premiers compte tenu des sommes en jeu et usent certainement d'artifices beaucoup moins visibles et encore plus efficaces !
On ne parle quand même pas des paradis fiscaux aux îles Caïman ! Les pratiques sont connues, à notre porte et particulièrement odieuse pour les entreprises françaises en règles, du boucher au plombier en passant par l'hôtelier. L’égalité devant l’impôt ne devrait-elle s’appliquer qu’aux particuliers ? Avec mes petits moyens d’ouvrier de l’Internet, j’arrive à trouver des différences évidentes entre un estimatif et un réel déclaré par un simple calcul de collégien. Qu’on ne nous fasse pas croire que le Fisc dispose de bien d’autres moyens pour le constater ?
Attention, on ne peut pas légalement reprocher à Airbnb d’optimiser le système même si on aimerait qu’ils soient plus honnêtes en vertu des valeurs communautaires dont il se targuent dans leurs communications. Et s’ils commençaient en payant des impôts à la hauteur de leur vrai chiffre d’affaires, on pourrait peut être parler d’économie collaborative pour de bon ?
Par contre on peut se retourner vers la classe politique et les députés européens : quelles solutions à l’échelle de l’Europe pour pallier à cette injustice ? Sans doute que les fiscalistes trouveront toujours d’autres failles, c’est leur boulot, au jeu du chat et de la souris. Mais quand le chat n’est pas là, les souris dansent.
Preuve que ce coup de gueule n’est peut être pas isolé, la fondatrice de Bedycasa en appelle justement à :
“ré-équilibrer l'impôt pour un même service rendu entre une entreprise française et une entreprise étrangère”
Une belle initiative que je me devais de relayer ici, soyons fous :-)
Sur le point du paiement des impôts sur les sociétés, un beau point pour les hôteliers. La balle au centre.
Taxe de séjour
Les hôteliers : 1.
Les acteurs de l’hébergement collaboratif : 1.
Longtemps attaqué sur le fait que les utilisateurs des plate-formes collaboratives ne payaient pas de taxe de séjour, Airbnb a su vite réagir pour se mettre en conformité.
Airbnb est déjà collecteur de la taxe de séjour à Paris directement auprès des voyageurs (83 centimes par voyageur et par nuit). Cela représente une manne de plusieurs millions d’euros chaque année.
Pour faciliter le travail de collecte, peut être ferait-on mieux de revoir le système de calcul (forfait, réel, variable) complètement hétérogène en France et dont l’application reste au bon vouloir de chaque commune. Toujours chez Europe 1, Nicolas Ferrary rappelle que 90% des 36000 communes françaises n’appliquent pas cette taxe. Un chiffre qui m’étonne. Il précise que la DGFIP travaillerait à la constitution d’un fichier qui permettrait de faciliter ce travail de collecte par Airbnb. Magiiiiiique comme quoi il y a des institutions qui travaillent dans le bon sens, bravo !
Le Directeur Airbnb France dit travailler “conjointement avec la ville de Paris pour encadrer la pratique. Une quinzaine de personnes sont en charge du contrôle à la mairie. Airbnb se charge de la communication auprès des hôtes pour s’assurer que les loueurs soient au courant des lois qui s’appliquent à eux. Il signent une déclaration sur l’honneur à leurs inscriptions.” Il poursuit sur les règles de la location en France qui sont très claires, “c’est une chance” ponctue-t-il. C'est aussi une chance pour ne pas payer tous ses impôts, allez je blague, quoique entre les lignes :-)
En France on peut louer sa résidence principale ou secondaire, soit louer une chambre ou le logement entier. Les grands principes de la loi Alur sont exposés distinctement par Nicolas Ferrary :
- En résidence principale (8 mois par an), aucune obligation.
- En résidence secondaire. Pour les villes à moins de 200 000 habitants : pas d'autorisation nécessaire. Au delà de 200 000 habitants : la ville peut encadrer cette pratique avec le changement d’usage comme c’est le cas à Paris avec une déclaration en mairie et des frais conséquents pour le loueur.
Lors des AirbnbOpen, devant 6000 hôtes internationaux réunis à Paris, Jean-François Martons, (adjoint à la maire de Paris en charge des sports et du tourisme) a fait le discours d’accueil en se félicitant que sa ville soit la première destination européenne sur la plate-forme. C'est un fait les institutions encouragent ces plates-formes quand elles remplissent les caisses. Au moins en partie de ce qu'elles devraient réellement payer.
Les députés ont voté une disposition dans la Loi de finances 2016. À partir du 1er janvier, les plates-formes collaboratives auront l’obligation d’informer leurs membres des sommes qu’ils doivent déclarer aux impôts avec une taxation de ces revenus dès le premier euro sans seuil de franchise. Personne ne pourra plus dire, je ne savais pas. Personne non plus ne recevra un imprimé pré rempli comme c’est le cas avec nos salaires.
Si demain, un nouveau système de collecte devait être mis en place, plus direct, c’est une éventualité sur laquelle Nicolas Ferrary ne s’oppose pas, sous réserves de remplir toutes les conditions de sécurité et de protection des données personnelles.
Sur la taxe de séjour. 1 partout.
Et sur ce point précisément, il faut féliciter Airbnb de son esprit constructif en lien avec les autorités. Ne soyons pas dupe, la plate-forme a tout à y gagner pour rester en odeur de sainteté.
Rendez-vous demain pour le verdict final ?