Des victoires en demi teinte

Publié le 15 décembre 2015 par Delits
Moins de deux jours après les résultats du second tour des élections régionales, Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, revient sur les enseignements majeurs de ce scrutin et sur les implications de celui-ci sur la future campagne présidentielle. Délits d'Opinion : Sept régions à droite, cinq à gauche, zéro au FN, qui sort vainqueur de ces élections régionales ?

Personne n'a de quoi pavoiser, même s'il y a des gagnants et des perdants plus marqués.

Je crois qu'il ne faut pas raisonner uniquement en nombre de régions, d'abord parce que cela revient à mettre une région très peu peuplée au même rang qu'une région très peuplée. Ensuite, parce que ce qu'il faut analyser, ce sont les rapports de force en voix, au-delà simplement de l'arithmétique et du match en nombre de régions.

On peut dire néanmoins qu'on a une victoire de la droite, due en grande partie au succès de Valérie Pécresse en Ile de France, qui colore véritablement la victoire générale de LR. Cependant, c'est une victoire sans éclat. Certes, la droite remporte sept régions mais avec par exemple 4 500 voix d'avance seulement en Normandie, et surtout trois régions où le PS avait appelé à voter pour la droite. C'est également une victoire sans éclat car contrairement à ce qui s'était produit en 2010 et en 2004, l'opposition n'engrange pas comme l'avait fait le PS à l'époque, en remportant la quasi intégralité des régions françaises. Donc, c'est une victoire qui ne permet pas à la droite de considérer qu'elle est dans une phase de reconquête forte de l'opinion publique.

De son côté, la gauche n'a pas de quoi pavoiser non plus. Elle évite le pire certes, mais quand on regarde ses résultats en voix, entre le 1er et le second tour, c'est principalement la droite qui progresse. Dans les triangulaires PS-LR-FN, la gauche obtiendrait 38% environ, la droite 36,8% et le FN 25,2%. La gauche semble donc devant la droite, mais par rapport au premier tour, la gauche perd 1 point. La droite en revanche progresse substantiellement (+3,8), et le FN reste globalement stable (-0,3). Le second tour a donc profité davantage à la droite qu'à la gauche, c'est pour cela que la gauche même si elle a évité le pire, n'a pas de quoi se réjouir.

DO : Le FN n'obtient finalement aucune région, est-ce une défaite pour le parti de Marine Le Pen ?

Le FN peut s'estimer déçu par ce second tour dans la mesure où il n'a obtenu aucune région. Il devra prendre en compte le fait qu'il reste une formation politique qui inquiète les Français et leur fait peur, comme le démontre la mobilisation d'un front républicain qui a plutôt bien fonctionné.

Malgré tout, avec plus de 6,8 millions de voix, c'est une formation qui continue à progresser, à la fois par rapport au premier tour des régionales mais également par rapport au premier tour de l'élection présidentielle de 2012, qui était jusqu'à présent son plus haut niveau en voix. Malgré une mobilisation sans précédent contre le Front National, la dynamique FN s'est donc poursuivie au second tour.

DO : Le PS limite la casse en obtenant 5 régions, est-ce un signe encourageant pour François Hollande dans l'optique de 2017 ?

C'est un signe " encourageant " parce que la gauche résiste relativement bien, mais c'est une gauche qui malgré tout est affaiblie. Là où François Hollande peut éventuellement trouver matière à un peu plus de satisfaction, c'est dans notre enquête Ipsos qui montre que la gauche et la droite sont au coude à coude en termes de confiance pour gouverner la France : 39% font confiance à la gauche, 41% à la droite et 20% au FN.
Un autre motif de satisfaction éventuel pour François Hollande réside dans le fait que la séquence lui a été profitable. Dans les souhaits de candidature, il remonte de 16 points chez les sympathisants PS et fait maintenant jeu égal à un point près avec Manuel Valls.

Néanmoins, l'affaiblissement de Nicolas Sarkozy par rapport à Alain Juppé n'est pas forcément une bonne nouvelle pour le Président de la République.

DO : Sur quelle équation la gauche doit-elle travailler pour envisager une qualification au second tour en 2017 ?

Il y a d'abord des effets d'offre qui vont être fondamentaux. Si la gauche parvient à limiter la dispersion des candidats de la " gauche plurielle " et notamment une candidature écologiste et que par ailleurs, en face de François Hollande, il y a Nicolas Sarkozy et des candidats comme François Bayrou et Nicolas Dupont-Aignan, alors à ce moment-là, le seuil d'accessibilité au second tour peut rendre possible la qualification de François Hollande au second tour.

Donc, les effets d'offre seront primordiaux mais ils ne dépendront pas uniquement de la gauche même si elle peut choisir soit l'option de 2002 et aller à la bataille présidentielle en étant extrêmement dispersée, ou décider de négocier des accords avec les écologistes permettant d'éviter une fragmentation trop importante au premier tour. Ce qui se passera à droite en revanche n'est pas dans sa sphère d'influence.

Le deuxième point sur lequel la gauche doit travailler, ce sont les questions économiques. Elle a bien compensé son handicap par rapport à la droite sur les questions de sécurité, d'immigration et sur la lutte contre le terrorisme même si c'est le FN qui domine la droite et la gauche sur ces trois dimensions. En revanche, on fait plus confiance à la droite dès lors qu'on aborde les thèmes économiques comme l'emploi, le déficit, le pouvoir d'achat et les impôts.

DO : L'élection présidentielle est dans 495 jours, à l'heure actuelle comment envisagez-vous ce scrutin ?

Il y a deux points essentiels. Tout d'abord, l'accession de Marine Le Pen au second tour est progressivement passé d'un possible à un probable et d'un probable à un très probable, pour ne pas dire quasi certain. Ensuite, ce scrutin dépendra comme je le disais des effets d'offre. Les élections régionales vont probablement surdéterminer les primaires de la droite, parce que jusqu'à maintenant les électeurs potentiels à ces primaires n'imaginaient pas que François Hollande puisse l'emporter face à Nicolas Sarkozy ou à Alain Juppé. Or, cette donnée va peut-être évoluer en raison des résultats du premier tour des régionales. Par conséquent, les électeurs à la primaire pourraient avoir un raisonnement plus stratégique que ce qu'ils avaient jusqu'à maintenant et décider de choisir celui qui les emmènera le plus efficacement à la victoire, c'est-à-dire en l'état actuel, Alain Juppé.