Larry Satkowiak, The cable industry. A short history through three generations, The Cable Center, 2015, $ 9,91 (Kindle Edition)
Dédié à l'apologie de l'industrie du câble, ce livre suit un strict découpage historique en trois parties. La première traite la période 1948-1973. L'histoire du câble aux Etats-Unis commence alors modestement, simplement ; d'habiles bricoleurs ont l'idée de tirer un câble coaxial connectant les téléviseurs à des émetteurs distants afin d'importer les programmes des stations locales voisines, situées à plus de 50 miles. Paradoxalement, cette innovation élémentaire résoud un problème primordial pour de nombreux foyers américains : comment recevoir la télévision locale qui retransmet aussi la télévision nationale, les fameux networks. La technologie est rudimentaire, tout comme le modèle économique : il réussit et, en 1973, on compte 2 991 réseaux câblés (cable systems). Parmi eux, Comcast Corporation, créé en 1963 avec 2200 abonnés, entre en bourse en 1972.
Confrontée à ce développement que rien ne laissait entrevoir, la FCC met en place une réglementation, qui a été maintenue depuis, limitant la distance d'importation de signal et instaurant l'obligation de transport par le réseau câblé, de toute station locale (Must carry rule). En 1968, la Cour Suprême est saisie et elle accorde à la FCC un pouvoir de juridiction sur le câble, ce qui contribuera au localisme de la télévision.
Dans les années1970, les satellites prennent le relais des réseaux câblés et permettent le développement de chaînes thématiques nationales du câble ; c'est la deuxième étape. Alors commence l'époque faste de Home Box Office (racheté en 1973 par Time Inc.), suivi de Nickelodeon (1977), ESPN (1979), et finalement de CNN (1980) et MTV (1981). Le modèle économique de ces chaînes combine les possibilités du satellite et du câble (on a oublié le sens original de CNN = Cable News Network), de la publicité nationale et de l'abonnement. A la fin des années 1990, les câblo-opérateurs peuvent confectionner leur offre à partir d'une centaine de chaînes. La plupart des villes amériaines sont câblées (11 218 résaux). En 1995, 63% des foyers TV américains reçoivent le télévision par le câble.
Dans les années 1980, on vit pendant quelques années des antennes de un à tois mètres de diamètre devant les maisons, dans les jardins captant gratuitement les chaînes payantes, et d'abord HBO. Le satellite de diffusion directe (DBS), légal, avec des petites antennes deviendra d'ailleurs un concurrent du câble pour la distribution de la télévision nationale puis locale, donnant naissance à des MPVD comme DirecTV (racheté récemment par AT&T) et Dish Networks.
La troisième étape commence avec la loi de 1996 qui ouvre la concurrence entre câble et télécoms. Suscitée par des innovations technologiques, la loi rend possible l'arrivée du haut débit et d'Internet dans le câble. L'an 2000 voit d'ailleurs la fusion complexe, visionnaire mais ingérable - de Time Warner avec AOL ; leur divorce sera prononcé dès 2003. Le marché se stabilise et continue de se concentrer : concentration des founisseurs de programmes (chaînes), concentration des distributeurs (MPVD, qui culminera avec l'abandon de la fusion Time Warner Cable avec Comcast ; grâce à des opérations de remembrement (clustering), on ne compte plus que 4 155 réseaux en 2015). Le câble s'avère alors le principal distributeur de télévision soit via le câble soit via le haut débit (OTT). Mais les opérations de concentration restent à l'ordre du jour de MSO comme Cablevision, Charter...
Cette histoire est appelée à se poursuivre avec l'entrée sur le marché du câble d'acteurs très puissants, armés d'un immense capital scientifique et de beaucoup de cash (Netflix, Google, Apple). Des projets d'adaptations réglementaires (neutralité du Net) par le Congrès et la FCC sont en gestation. Parlera-t-on encore de "câble" dans la période à venir, le terme ne risque-t-il pas de devenir un obstacle linguistique (cf. Gaston Bachelard) à la compréhension de l'économie télévisuelle ?
Le travail de synthèse historique de Larry Satkowiak met en évidence les transformations de la télévision au cours de ses 70 premières années. C'est une utile mise en perspective pour imaginer l'avenir et ne pas s'enliser dans des représentations et des modèles économiques surannés. C'est aussi l'ébauche d'une réflexion sur l'innovation : le câble inaugura un nouveau paradigme télévisuel qui en avalera et digérera des innovations secondaires (au sens de Thomas Kuhn) comme le satellite ou les set-top boxes) ainsi que les dispositifs d'accompagnement réglementaire.
Le haut débit relève-t-il encore de ce paradigme ou bien va-t-il le faire exploser ? Prudent, l'auteur n'aborde pas la question des désabonnements (cord-cutting) et du streaming (OTT), il élude aussi la question de la mesure (commerialisation des data) et de l'interactivité.