Les soirées électorales me gavent. Comme d’habitude, chaque camp y va de son commentaire, laissant invariablement apparaître toutes les raisons d’espérer. A écouter les ténors de toutes les couleurs politiques, les vainqueurs et les perdants, tous trouvent des satisfactions diverses dans les chiffres sortis des urnes. «On a perdu, mais on a gagné», «on a fait mieux que prévu», «on a entendu les français», etc…
Pourtant le message envoyé est limpide : on a tous perdu gros. D’abord le clan des bruns Marine qui remporte une belle tête de Toto, lui qui croyait déjà rafler la mise. On ne bouscule cependant pas ainsi la République. Elle réclame d’abord un esprit de rassemblement. C’est l’essence de la société. On ne peut espérer gagner en divisant, en clivant, en opposant les uns aux autres, en oubliant les principes élémentaires des traditions séculaires de la France. Sarkozy a perdu en 2012 en voulant s’en affranchir. La notion de vote d’adhésion tant évoqué lors du premier tour perd un peu de sa substance : mettre l’extrême-droite à la tête d’un gros exécutif reste encore et heureusement hors d’atteinte.
Mais il faut avouer que le coup est passé près. Si le FN en a été privé, c’est uniquement le fait des électeurs de gauche et eux seuls qui ont apporté 2, voire 3 régions dans l’escarcelle des républicains, sur les 7 gagnées. Ce n’est guère glorieux pour un parti qui annonçait encore il y a peu vouloir faire une razzia monstrueuse. Dans ces conditions, c’est un râteau monumental que se prend Sarkozy et son mouvement, toujours attaché au «ni-ni» irresponsable de son omnipotent président. Parmi les républicains, seuls Pecresse et Retailleau ont remporté leur région. Morin, en Normandie, est du nouveau centre, Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes un quasi frontiste.Le parti socialiste et une partie de la gauche ne masquent pas leur soulagement. Cela aurait effectivement pu être pire selon l’état-major. En fait, c’est catastrophique : 6 ans d’absence dans 2 grandes régions, 5 autres perdues dont Rhône-Alpes et l’emblématique Paris au terme d’une campagne exécrable. On voit mal quelle satisfaction on puisse retirer de ce bilan. Seule consolation du scrutin : jamais on ne pourra imputer à la gauche une quelconque prise du FN. Elle a été la seule à opposer aux extrêmes un front républicain solide et sans ambiguïté là ou il était nécessaire. Car voter Estrosi ou Bertrand était loin d’être simple. La droite libérale n’a jamais été capable d’en faire autant, et pour cause : le front républicain est un piège. Il amène à renoncer à défendre l’idéal qu’on représente, et laisse la porte ouverte à autrui, ce dont la droite a profité. Pas de FN, certes, mais cela reste une consolation au goût amer.
Pour ma part, je ne décolère pas de la manière dont ces régions ont été perdues. Pour avoir dans mon entourage quelques gauchistes, ceux qui se déclarent «purs et durs», ou «vraie gauche», je peux affirmer que le report des voix a très mal fonctionné. Ils se sont encore abstenus, beuglant à qui veut l’entendre, le poing levé en déversant leur logorrhée anti-capitaliste à la limite de la haine, que le PS n’est pas la gauche et ne mérite pas leur voix. Maintenant, grâce à leur silence, c’est mieux : les bébés sarko sont à nouveau dans la place. Cela réglera évidemment leurs gros problèmes de précaires qu’ils sont tous. Il y en a marre de ces révolutionnaires de bac-à sable, qui réclament la démocratie à tue-tête et ne l’utilisent pas quand elle se présente. Quand même, Pecresse la bourgeasse ultime soutenue par la manif-pour-tous, et Wauquiez avec les cathos intégristes présidents de région, ça fait passablement flipper. En Rhône-Alpes, marionnettistes, malades, chômeurs et autres cancers de la société, serrez les fesses… Ca risque de faire très mal en passant. Ici, les écoles privées se frottent déjà les mains.
Il reste que cette campagne, plus que les précédentes encore, a été émaillée de turpitudes et de petites phrases des plus déplacées qui ne grandissent pas les hommes et la fonction politique. Une fois élus quelques-uns ont évoqué aussi le climat de défiance du peuple qui exprime son rejet parfois violent de ses représentants et ses méthodes. Comme quoi le constat est fait. Mais rien ne suit, et surtout pas les préoccupations premières des citoyens, quel que soit le parti et le mandat. Un peu comme pour la COP21 : c’est un bel accord, mais d’un point de vue pratique, il est inutile. Ce qui compte vraiment pour la planète en l’occurrence, ce sont les actes concrets. Comme en politique.
Il reste 18 mois avant l’échéance la plus importante : l’élection présidentielle. Dans ce genre de consultation sans filet, la sanction sera immédiate si toute la gauche continue de la sorte. A quoi rime la belle tirade du «Moi Président» quand on nomme Manuel Macron ministre de l’économie et des finances ? Comment les socialistes ont-ils pu se couper de cette manière de son électorat ? Comment ses alliés naturels peuvent-ils préférer favoriser le camp adverse ? Il reste bien peu de temps pour redresser la barre, mais bien assez pour donner un peu de cohérence au mandat et de l’espoir aux gens.
C’est franchement pas difficile : arrêtez de faire une politique de droite.