Poezibao a posé à plusieurs de ses correspondants la question suivante :
L’art est-il, pour vous personnellement, dans votre vie quotidienne, un recours en ces temps de violence et de trouble(s) et si oui en quoi, très concrètement, littérature, musique, arts plastiques ?
Réponse de Laurent Albarracin :
"Je dirais, pour mon cas, et au risque de surprendre, que rien n'est changé, ou pas grand-chose. Que le recours à la poésie, aux arts en général et à la littérature en particulier, n'est ni plus ni moins qu'avant (avant les attentats et la montée du Front national, par exemple) une nécessité et un plaisir. Tout juste les œuvres prennent-elles une résonance et un écho particuliers dans le contexte qui est le nôtre. Mais en aucun cas leur légitimité et leur portée ne sont remises en cause, atteintes, entamées par ce qui se passe et en rien leur fonction ne doit changer, à mes yeux. Je ne lis pas pour trouver des réponses ou des solutions globales, au monde comme il (ne) va (pas). Je lis plutôt (j'ai toujours lu et je lirai toujours) pour m'interroger, trouver une forme à mes questionnements, et parce que l'accès à la connaissance de soi et des choses me semble pouvoir être le mieux approchée par l'activité de la pensée, et de la lecture en particulier.
Surtout, l’œuvre d'art a sa justification en soi, je veux dire qu'elle vaut pour celui qui s'y adonne, hélas jamais comme instrument en vue d'un progrès général.
Oui il faut, on peut continuer à lire, à écrire, à écouter, à regarder, et pas parce que ce serait là soi-disant un acte de résistance ou avec l'espoir d'une quelconque efficacité contre la montée en puissance de la bêtise assassine, mais parce que je ne vois guère que ça à faire d'intéressant, de réjouissant.
Ça n'est pas son utilité, même en des temps troublés, qui légitime le recours à l’œuvre d'art. Elle n'est pas un rempart à la barbarie. On le sait au moins depuis les travaux de George Steiner. Mais a contrario ça n'est pas la barbarie imbécile qui peut abîmer sa gratuité magnifique, le dégagement libre qu'elle est, le pas de côté salvateur hors des horreurs de ce monde. La liberté se moque des assassins.
Pour être concret et personnel (comme on nous le demande), je me permets de renvoyer à quelques lectures récentes faites depuis le 13 novembre. Elles ne renvoient pas spécialement, voire pas du tout, aux événements, et n'y renvoyant pas, j'affirme que ceux-ci ne touchent pas, qu'ils n'attentent pas à notre liberté : Olivier Rolin, Alain Suied, Raymond Carver (note à paraître dans Poezibao), Baudouin de Bodinat."
Laurent Albarracin, le 07/12/2015