Critique de l’École des femmes, de Molière, vu le 4 décembre 2015 au Théâtre 14, par complice de MDT
Avec Pierre Santini, Anne-Clotilde Rampon, Jimmy Marais, Cyrille Artaux, Arlette Allain, Michel Melki, Bertrand Lacy, dans une mise en scène d’Armand Éloi
C’est un spectacle simple, probe et efficace que cette École des femmes, mise en scène par A. Éloi. On ne rappellera pas l’intrigue de la pièce de Molière, dont tant de vers sont ancrés dans la mémoire collective. A. Éloi n’a pas cherché à relire ou rajeunir la pièce, mais il a tout fait pour la rendre évidente, ce que signalent à leur manière les couleurs tranchées des costumes : jaune d’un oiseau en cage pour Agnès, velours pourpre et empesé d’Arnolphe, rubans acidulés d’Horace. Le décor est simple et astucieux : une belle toile peinte d’un vert vibrant au fond évoque l’appel de la nature, et il suffit d’un rien pour transformer une gigantesque cage à oiseau (première image, au lever du rideau) en pavillon de jardin à claire voie ou en grille : le problème que pose l’espace scénique dans cette comédie est relevé avec brio par la scénographe, Emmanuelle Sage.
La légèreté du décor et la gaieté des couleurs, la franchise des lumières, disent le principe qui a guidé la mise en scène : mettre en valeur la force pulsionnelle et libératrice de la jeunesse et de l’amour, que rien ne peut sérieusement entraver. On ne frémit jamais vraiment pour Agnès dans cette mise en scène, et cela permet de reporter une bonne part de l’intérêt sur Arnolphe, dans un ensemble très cohérent.
Le rythme est allant, les personnages secondaires bien dessinés, permettant aux personnages principaux de déployer par contraste leur complexité. Horace évolue bien, de galant audacieux à amoureux révolté par le sort de sa conquête : Jimmy Marais a un jeu à la fois élégamment stylisé et sincère, il est très convaincant ; Agnès (Anne-Clotilde Rampon) fait entendre avec clarté les merveilleuses répliques qu’a écrites Molière, elle a un petit air buté qui convient bien au personnage : son jeu tranchant n’en fait jamais une oie blanche, mais dès le début une jeune femme avide d’émancipation. Pierre Santini joue avec beaucoup d’autorité et de nuance un rôle écrasant, et compose un Arnolphe odieux et pourtant touchant. On rit beaucoup des répliques qui ridiculisent cet homme prétendant garder pour lui seul une toute jeune fille et la couper du monde (« Du côté de la barbe est la toute-puissance »), mais Pierre Santini parvient toujours à faire sentir ce que le personnage peut avoir d’aveuglement, de vanité, et aussi d’inexpérience devant le mystère féminin, ce qui fait que le geste final d’Agnès à son égard (que je ne révèlerai pas) n’est pas incongru. Il est en particulier remarquable dans les nombreux monologues, où, face public, il nous prend à témoin.
Dommage que la scène de reconnaissance qui clôt la pièce, toujours délicate à cause de l’excès de convention qui la caractérise, soit ici un peu bâclée. Mais en dehors de cela, c’est un très bon spectacle, que l’on recommandera en particulier aux scolaires. Molière encore et toujours, et aujourd’hui plus que jamais !