« Je voyais briller la lumière du café de l’autre côté de la Seine, au coin du quai. L’homme était-il déjà arrivé ? J’aurais voulu disposer d’une paire de jumelles très puissantes pour l’observer. Lui aussi, du café, pouvait vérifier s’il y avait de la lumière aux fenêtres de l’appartement. Et cette pensée me causait un sentiment brusque d’inquiétude, comme si un piège se refermait sur moi.
— Qu’est-ce que tu regardes ?
Elle était allongée sur le canapé. Sa jupe et son pull-over traînaient au milieu de la table basse.
— J’attends le bateau-mouche, lui ai-je dit.
J’ai entrouvert la fenêtre. Le quai Conti demeurait vide pendant un long moment, le temps que le feu passe au vert, là-bas, à la hauteur du Pont-Neuf. Et avant que les rares voitures apparaissent de nouveau, il se faisait un silence, le même sans doute que mon père avait connu les soirs de l’Occupation derrière la même fenêtre. »
Patrick Modiano, Un cirque passe, Gallimard ed, p.135. 1992