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Méprisées, les élections régionales réveillent enfin le débat politique. Elles révèlent surtout les comportements, et aggravent les postures, comme une répétition générale avant la présidentielle de 2017.
Le Front national frôle les 30% des votes grâce à l'abstention. Pour la gauche désunie, c'est le désastre. le PS se saborde dans ces fiefs historiques du Nord et en PACA. François Hollande se tait. Et Nicolas Sarkozy est en rage. Les "Républicains" sont sortis à la ramasse du FN à l'issue du premier tour.
Ces pompiers pyromanes se réveillent-ils trop tard ?
La fausse surprise frontiste
Dimanche, Marine Le Pen n'a pas raté son affront national. Les sondages l'annonçaient, Marine l'a fait. Avec le même nombre de suffrages qu'au premier tour de l'élection présidentielle de 2012, et une campagne totalement nationalisée sur des thèmes sans rapport avec nos régions (lutte contre le terrorisme, islamisme et immigration), la fille du borgne est parvenue à semer le trouble et chiper la victoire à l'union des droites classiques.
L'abstention est gigantesque - un électeur sur deux ne s'est pas déplacé. Près de 70% des 18-25 ans se sont ainsi abstenus. Sur le tiers restant, les votants ont été majoritairement frontistes. Dans le Nord comme en région PACA, le PS se saborde, et retire ses candidats arrivés troisième, au nom d'un front qu'il voudrait républicain contre la probable victoire des Le Pen. Dans l'Est, le candidat socialiste Masseret refuse le retrait que lui impose la direction nationale. "C'est un déni de démocratie !" proclament en coeur des sympathisants ou militants socialistes déçus, Nicolas Sarkozy et, bien sûr, les leaders du FN. "Il faut permettre au peuple de gauche de voter et, pour qu’il puisse voter, il lui faut des candidats" écrit l'acteur Philippe Torreton dans l'Humanité. Mais on oublie l'essentiel: ce sont les électeurs qui ont abandonné la gauche de gouvernement comme d’opposition au premier tour. Et ils avaient leurs raisons.
Egaré, l'économiste Jacques Sapir explique dans les colonnes de Marianne que puisque le PS est capable de "s'allier" à la droite contre le FN, une alliance avec FN des souverainistes de gauche comme de droite serait bien légitime.
Toute la semaine, les ténors des partis socialistes, UMP, centristes ou Front de Gauche se sont enchaînés sur les plateaux pour commenter un scénario pourtant connu d'avance. Et chacun d'accuser l'autre de toutes les responsabilités. Ces pompiers pyromanes sont nombreux, mais ils n'ont visiblement pas fini de jouer avec les allumettes.
Nous n'avions qu'un message, simple et direct, à leur adresser:
"ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE !"
Ce message s'adresse naturellement à la droite devenue furibarde, incapable d'autre chose que de suivre la voie pétainiste et anxiogène du frontisme mariniste. Ce message s'adresse aussi au centre-droit qui s'est laissé embarquer sans résistance ni débat dans une campagne sarkozyste aux relents xénophobes pour conserver quelque sièges. Ce message s'adresse bien sûr, et en premier lieu, à François Hollande dont l'action a découragé l'immense majorité de ses électeurs de 2012; au Parti socialiste qui gouverne à droite de son programme législatif de 2012, qui laisse sans broncher Hollande trianguler le camp adverse à coup de déchéance de nationalité, politique de l'offre et autre "macronnerie". Ce message s'adresse enfin à la "vrauche" (ou "vraie gauche") éparpillée façon puzzle dans 4 combinaisons politiques pour ce scrutin politique, et qui n'est pas parvenue à construire une opposition de gauche accueillante mais vigilante, crédible et durable. Jean-Luc Mélenchon fut l'un des rares à exprimer avec lucidité l'état du pays, y compris de son propre mouvement.
Abstentionnistes ... du second tour.
Voter ou ne pas voter, telle est donc encore la question que certains se posent pour le second tour des élections régionales. L'offre politique déçoit, et encore plus après les retraits socialistes du Nord et du Sud.
Les abstentionnistes du second tour, comme du premier, comptent des indifférents... et des anti-frontistes. Les mêmes à dénoncer le Front national s'affaissent par doute sincère ou posture coincée à refuser de voter pour les UMP Xavier Bertrand (contre Marine Le Pen) ou Christian Estrosi (contre Marion Maréchal-Le Pen). Cette démarche est révélatrice d'une confusion générale.
Parfois, on avance que droite et extrême droite seraient finalement similaires. On confond certaines copies avec l'original. On oublie d'où vient et où est encore la hiérarchie frontiste. La dédiabolisation du FN est un mythe: "Quoi qu’en dise sa présidente, le Front National n’a jamais cessé d’être raciste et xénophobe, à en juger par l’opinion de ses adhérents et sympathisants" explique Nonna Mayer, chercheuse du CNRS.
D'autres expliquent que voter pour une liste d'union de la gauche qui comprend le PS est pire encore que laisser passer le Front national ou la droite furibarde. D'autres, parfois les mêmes, fustigent l'imposture démocratique qui consisterait à interdit la moindre manifestation au nom de l'état d'urgence et en même temps réquisitionner le vote de chacun au nom de la lutte contre le fascisme montant. Puisque la démocratie serait déjà morte et enterrée, pourquoi donc suivre ces injonctions au barrage républicain contre l'extrême droite ? Ils récusent en fait ce qui n'est qu'un constat: le FN mobilise ses troupes mieux que les autres, lesquelles sont découragées par trop de renoncement.
Dans 8 régions, les différentes listes de gauche s'unissent voire fusionnent, au grand dam de quelques irréductibles. Ainsi en Rhône-Alpes Auvergne, où le candidat de la droite furibarde Laurent Wauquiez est arrivé largement en tête et le candidat socialiste bon troisième, Paul Ariès dénonce la "trahison" du Front de gauche local. Corinne Morel-Darleux lui répond aussitôt: "se pincer le nez de loin est facile". Elle explique aussi et surtout que fusion des listes ne signifie pas solidarité de gestion, bien au contraire. Là comme ailleurs, les élus du Front de gauche ne participeront pas à l'exécutif régional si la liste unie l'emporte.
En d'autres termes, voter contre le FN ne vaut pas soutien au PS ni, évidemment, à l'ex-UMP.
Dans le camp de l'Immonde, l'abstention n'est pas de mise. Marine Le Pen mobilise toujours, et de mieux en mieux, ses supporteurs. Sans surprise, le sinistre Dieudonné appelle à voter Marion Maréchal-Le Pen.
Les errances de Sarkozy
Comme en 2012, les centristes se sont constitués prisonniers de la dérive frontiste de Nicolas Sarkozy. Car l'homme a véritablement tout donné pour siphonner, en vain, l'électorat de Marine Le Pen. Dimanche soir, son échec était évident. Jamais depuis son succès de 2007, Nicolas Sarkozy n'est parvenir à contenir l'irrésistible ascension du FN.
Et pourtant, il s'obstine. Ainsi refuse-t-il de rendre la pareille au PS, c'est-à-dire les désistements de listes, alors que le PS se saborde dans ses deux régions historiques - le Nord et la Provence. En Languedoc-Roussillon-Midi Pyrénées, l'UMP/UDI Dominique Reynié, arrivé bon troisième derrière le PS et le FN, maintient donc sa candidature.
Deux jours après le premier tour, l'ancien monarque paraît usé, fatigué, égaré sur sur France 2. Il s'embrouille dans ses formules: "Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Ce n’est pas : Passe-moi la salade, je t’envoie la rhubarbe". La phrase fait les délices des réseaux sociaux et des moqueries du Petit Journal.
En Charentes-Maritimes pour soutenir une autre candidate, Virginie Calmels, Nicolas Sarkozy ouvre grandes les portes à l'électorat frontiste: "le vote pour le FN n'est pas un vote contre la République sinon la République aurait du interdire le FN". L'ancien monarque se trompe: depuis l'origine, la République tolère des partis qui ne sont pas républicains, à gauche comme à droite. Sarkozy oublie notre Histoire, comme cette majorité monarchiste dans l'Assemblée Nationale de 1871 ou, plus récemment, ces quelques mouvements d'extrême gauche qui réclamaient le communisme. Il y a même encore aujourd'hui quelques élus de la République qui espèrent le retour à la royauté.
Samedi, Sarkozy fait la une du Figaro, quand son épouse Carla la couverture du Figaro Magazine, le weekend du second tour.
Manoeuvres hollandaises
"Photographier la politique est un sport de combat." nous explique Les Jours. Le nouveau quotidien digital, bientôt à paraître, fondé par de anciens de Libération et quelques autres, s'inquiète et s'interroge. "Nous sommes requis" proclame Edwy Plenel, "La France est à la merci d'un accident historique : l'élection à la présidence de la République, en 2017, de la dirigeante d'extrême droite, Marine Le Pen." Et le fondateur de Mediapart d'ajouter: "nos votes ne suffisent pas à enrayer son ascension. Car ils sont suivis de politiques qui lui font la courte échelle, épousant ses thématiques."
La gauche s'inquiète, quelque soit son orientation.
A deux jours du second tour, Manuel Valls paraît usé, fatigué, égaré sur France inter.
Il refuse de critiquer les dérives de l'état d'urgence, qualifiant 7 militants écologistes assignés à résidence de "dangers pour la République"; il répète comme un robot que sa priorité est la lutte contre terrorisme. Il évacue toute critique sur son inefficacité contre le chômage.
François Hollande ne dit rien. Mais a-t-il compris ? La période est détestable de cynisme. On sait combien il travaille à un scénario à la Chirac-2002, un second tour face à Le Pen pour provoquer un réflexe républicain sur sa personne. On sait bien qu'il entend récolter les fruits politiques de ces désistements régionaux du PS. Hollande veut réduire notre démocratie à un référendum contre le Front national.
Est-ce pour autant une raison pour déserter les urnes et faciliter l'accession au pouvoir des sbires de Marine Le Pen ?
Ami citoyen, va voter !