" Les profanes s'imaginent qu'écrire et dire expriment une activité identique. On se mettrait à écrire parce qu'on a quelque chose à dire. Rien n'est plus faux. Il arrive, et plus souvent qu'on ne le pense, qu'il faille des années à un écrivain pour entrevoir ce qu'il aspire à dire ; et s'il le dit, c'est, plus souvent encore, à son insu. Car l'écrivain habite le silence. On reconnaît l'exacte nécessité des mots qu'il emploie à la gangue de silence dont ils sont enveloppés. paradoxalement, écrire, c'est d'abord se taire, c'est se recueillir, c'est plonger dans le silence et se familiariser avec sa pénombre où, telles des algues et des fougères sous-marines, évoluent des formes imprécises. On est bien loin, dans ces régions de ténèbres et de pulsations abyssales, des évidences de la réalité, de la dure consistance des apparences. Mensonge et réalité, songe et vérité se mêlent et se confondent. Tout l'effort consiste, en bougeant le moins possible, en devenant pure attention, à ne rien déranger de l'étrange alchimie qui défait et refait les formes..."
Michel Del Castillo : extrait de "La gloire de Dina" Éditions du Seuil, 1984