"Memory Box"
Avec une seule œuvre emblématique de son travail, Géraldine Cario définit le cadre de sa relation au monde, de son rapport à l'objet. "Memory Box" met au premier plan en effet des appareils photographiques des années 1930-1945 dans une scénographie qui pourrait rappeler la présentation d'une collection paléontologique au muséum d'histoire naturelle.
"Memory Box" Géraldine Cario
Mais, au-delà d'une démarche scientifique, l'artiste suggère une approche inédite pour notre regard. Avec une curiosité qui aurait pu seulement se réduire à une envie de collectionneur, elle débouche sur une réflexion artistique et littéraire qui accède alors à une toute autre préoccupation. Déjà la nature même de cet objet participe, dans l'histoire de notre société contemporaine, à une aventure unique. Cette chambre noire, héritée des peintres avant de donner à la photographie la matrice de son invention, apparaît comme une boite mystère source de toutes les illusions. Lorsque l'avènement des pellicules rapides révolutionne l'usage de cette chambre encombrante, assure la conquête de l'instantané et donne à tous la liberté de son usage tout terrain, une nouvelle histoire commence, celle qui transforme chacun de nous en acteur/commentateur quotidien du monde. Géraldine Cario, à l'évidence fascinée par la charge historique et culturelle de cet instrument apparemment si modeste, entreprend alors une investigation qui relie art et écriture dans une même introspection. Mémoire de cet appareil manipulé par quel photographe ? Dans quels lieux ? Mémoire volatile de ce support argentique peut-être encore prisonnier de cette boite mystérieuse, dernier espoir pour révéler un souvenir enfoui. On peut imaginer combien de romans pourraient voir le jour pour "développer" à la manière du traitement d'une pellicule ce fascinant rapport à la mémoire. Il faut se rendre à l'évidence : mémoire, ce mot générique, recouvre des réalités multiples : de la pellicule à notre cerveau, que reste-t-il de notre présence au monde ? "Memory Box", à la croisée de ces questions, illustre le positionnement de l'artiste dans cette relation spécifique à l'objet. On peut alors aborder les autres œuvres présentées actuellement à la galerie Laure Roynette à Paris.
Volontairement ou non, l'exposition, exclusivement en noir et blanc, accentue avec un contraste saisissant sur les murs blancs de la galerie cette référence à l'invention de la photographie. Ce sont d'autres rapports affectifs et mémoriels à l'objet que l'artiste met alors en situation.
"Emballements" Géraldine Cario
Mythologies personnelles
Avec " Emballements" , rassemblant des objets qu'elle ne pouvait se résoudre à jeter, Géraldine Cario, revisite la mémoire familiale attachée au geste de déchirement d'une chemise au terme d'un deuil : "Aujourd’hui, vendredi, j’ai déchiré des chemises, j’en ai fait des lambeaux, j’ai emballé des objets et je suis parvenue à oublier un certain nombre de choses."
Ce rituel participe à cette "réparation" évoquée par le titre de l'exposition.
Cette réappropriation du réel avec une "narrativisation" du quotidien inscrit Géraldine Cario dans cette longue chaîne d'écrivains et d'artistes qui, après Roland Barthes, explorent les mythologies personnelles. Depuis que les "Mythologies quotidiennes" organisée en 1964 par le critique Gérald Gassiot-Talabot au Musée d'art moderne de la Ville de Paris révélaient cette nouvelle approche de l'art dans la peinture, puis « Individuelle Mythologien » célébré par le commissaire d'exposition Harald Szeemann à la Documenta 5 en 1972, ce mode d'investigation prend une part majeure dans la démarche des artistes. Géraldine Cario apporte sa contribution personnelle à ce questionnement et cette forme d'archéologie contemporaine, au-delà de sa vocation thérapeutique personnelle, concerne et touche chacun de nous.
Après l'allégorie de la caverne de Platon, le mystère de la chambre noire accapare désormais notre attention dans cette lancinante question du réel et de sa représentation. On peut imaginer que Géraldine Cario n'en a pas terminé avec cette exploration mentale. Ce noir et blanc obsédant de la photographie originelle irradie l'ensemble de l'espace de la galerie et fait de l'exposition elle-même un objet unique plastiquement puissant.
Photos: Géraldine Cario/Galerie Laure Roynette
"Réparation" Géraldine Cario
Du 3 décembre 2015 au 16 janvier 2016
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris