Les Clameurs de la Ronde, d’Arthur Yasmine

Par Lacritiquante

Il y a bien un genre dont je parle peu sur ce blog : la poésie. Et pourtant, qu’est-ce que j’en lis ! Surtout des classiques, surtout mes chouchous (et en premier lieu Verlaine), mais il m’arrive aussi de lire quelques contemporains, notamment Edith Azam. Alors, pourquoi j’en parle si peu ici ? Eh bien, tout simplement parce que je trouve qu’il n’est pas simple d’écrire toute une chronique sur une œuvre de poésie : le ressenti à ce genre de lecture est vraiment très subjectif et il n’est pas facile de le retransmettre à un public. Déjà que je trouve qu’on lit trop souvent « le style/ l’écriture est poétique » dans mes chroniques habituelles, alors qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire d’un livre de poésie ? Bon, toutefois j’aime les défis, et j’ai très envie de partager avec vous ma dernière lecture, Les Clameurs de la Ronde que son auteur, Arthur Yasmine m’a très gentiment fait parvenir.

Ce livre est le résultat de sept ans d’écriture et c’est la première œuvre éditée d’Arthur Yasmine. Alors, qu’est-ce qu’on y trouve ? Tout d’abord, un mélange de forme codifiée de la poésie (sonnet, rhapsodie) le plus souvent sous forme de fragments, mais aussi un échange épistolaire ainsi que des choses pas totalement identifiées. De ce point de vue là, il y en aura tous les goûts. Mais ce qui marque le plus et dès les premières lignes, c’est le ton et le style très incisif de l’auteur. Il n’est pas le poète éthéré qui se balade dans les hautes sphères après avoir fumé trop d’opium, et c’est agréable de retrouver un poète qui va au fond des sentiments, des douleurs, qui les vit viscéralement et nous les retransmet de façon si directe. Il faut dire que tous ces poèmes sont destinés à des personnages en particulier, la parole n’est pas adressée directement au lecteur donc il n’y a pas de censure, on est les spectateurs directs d’une relation souvent passionnelle ou explosive.

Bon, disons-le tout de suite, à part quelques lignes moins marquées par le côté terriblement humain des sentiments, le livre ne respire pas le joie de vivre. C’est, je trouve, une tendance assez marquée du XXIe siècle de faire des poèmes « qui vont mal », qui sont torturés par la violence des émotions, du monde qui entoure le poète, ce dernier ayant d’ailleurs un statut à part car il n’est plus porté aux nues comme il a pu l’être jadis, mais est plutôt pointé du doigt ou ignoré dans le meilleur des cas. Poète est un métier précaire (vocation précaire?) et j’ai l’impression que celui qui écrit de la poésie a tendance à plus souffrir que les autres, ou à ressentir plus profondément la souffrance. Toutefois cela donne de magnifiques pages.

Il y a tout d’abord l’amour et le rapport charnel sublimement décrit et écrit dans ce livre, suivis des affres des relations amoureuses : l’incompréhension, cette propension à se faire du mal en s’aimant follement en même temps. On ne s’ennuie pas à cette lecture et je dirais même qu’on s’y implique, relisant patiemment les mots (maux) pour s’en laisser pénétrer avant de tourner la page. Je lis peu de poésie (puisque je relie toujours les mêmes poèmes en réalité…), et je redoute toujours la poésie incompréhensible, la poésie trop élevée, la poésie qui rejette son lecteur. Arthur Yasmine évite à tout prix cet écueil, puisque chaque mot, chaque ligne est accessible à tous, il suffit juste de prendre son temps pour savourer le poème. Mais on se laisse vite emporter par ces magnifiques strophes célébrant les muses ou les courbes de la femme aimée, on vibre au même rythme que le narrateur lors de l’échange épistolaire, et globalement Les Clameurs de la Ronde est vraiment un ouvrage réussi.

On peut toutefois regretter la police minuscule – munissez-vous d’une loupe – et quelques manques de modestie qui venant d’un auteur « né à Paris au début des années 90 » (très jeune donc) peuvent désarçonner et mettre mal à l’aise. Je ne sais pas s’il faut en rire ou s’en réjouir, mais vous pourrez également lire une lettre de l’auteur à différentes maisons d’édition où il propose son livre en même temps qu’il les gratine de quelques insultes et remarques bien écrites sur leur façon de gérer la poésie. Bon… pourquoi pas, mais ça casse un peu le rythme du livre. Ce retour à la réalité brutale et la lecture en soi de la lettre, je m’en serai sûrement passé, et ça m’a un peu gâché la fin du livre, mais heureusement de beaux vers sont venus conclure cette œuvre pour finir sur une note plus agréable.

En résumé : un très bon livre pour un auteur en début de carrière, et je pense qu’il faudra garder à l’œil Arthur Yasmine car il est bien parti pour progresser et devenir un très bon poète – selon mon avis très personnel et subjectif bien sûr. Je vous invite à tenter cette lecture. Elle est rapide et change agréablement de ce que l’on a l’habitude de lire en poésie.

Toi aussi tu me manques. Je voudrais faire revenir ton visage pour boire la mémoire qui s’écoule de ta bouche. Je voudrais l’avaler comme un miel glacé. Tu me reverras. C’est certain. Je ne pense plus qu’à toi maintenant. Mais ne sacrifie rien de toi. Ne te sépare de rien. Je te veux entièrement.

Arthur Yasmine, Les Clameurs de la Ronde, Carnet d’Art éditions, 9€.