J’ai longtemps cru Londres semblable à Paris. Lorsque nous avions des amis de passage, je grommelais volontiers, d’un ton désinvolte : « On n’est pas trop dépaysés, quand même ».
Etonnamment, c’est au bout d’une décennie (ou presque) d’expatriation que le sentiment d’étrangeté se fait de plus en plus nettement sentir.
Surtout lors de mes retours à Paris.
A ma descente de l’Eurostar, que je connais désormais comme ma poche (éviter la voiture 16, toujours pleine, lui préférer la 17, voire la 18, soi-disant réservée aux familles mais en réalité souvent vide), me frappent une multitude de détails, comme un tableau impressionniste dont je ne saurais dire s’il est beau ou laid.
Il fait froid. Pas le froid londonien un peu mou, l’éternel 11 degrés automne comme hiver, non, un vrai froid, celui qui nécessite des gants, un bonnet, voire une cagoule pour les enfants, accessoire inconnu des petits Britanniques.
Hein que ça a l’air confortable !
Ou alors, il fait chaud. Vraiment chaud. Pas la chaleur londonienne un peu hésitante, l’éternel 17 degrés printemps comme été, non, une vraie chaleur, qui nécessite une petite jupe, des sandales ouvertes, voire une robe d’été, vêtement bien connu des petites Britanniques, qui en portent sans paraître souffrir des 17 degrés.
Un père accueille son fils d’une affectueuse bourrade et d’un tonitruant « How are you, fiston ? ». J’ai mal à mon pays dont les enfants – moi la première – quittent le navire à la recherche d’un boulot, d’une ville plus dynamique – combien de fois ai-je entendu « Bien sûr, j’adore la France, mais je ne me vois pas du tout rentrer », d’un ailleurs anglo-saxon ô combien accessible et tellement branché.
J’évite les taxis (chat échaudé craint l’eau froid) et me dirige vers le métro, avec l’impression de sillonner entre les mendiants et les SDF. Les gens se bousculent sans dire pardon. Je rentre enfin dans le métro – sale, malodorant et bondé – et un jeune homme blond, plutôt mignon, bien sous tous rapports, me regarde. Je suis si déshabituée de ces regards que je me demande si mon sac / mon chemisier / mon pantalon est ouvert. Non. Pour une raison qui m’échappe, il cède la place à un autre jeune homme au look très « banlieue ». Amateurs de clichés, vous allez être servis. A peine assis, l’intéressé dégaine son téléphone et marmonne « Ouais, frère, j’ai pas répondu au téléphone, j’étais en garde à vue. Ouais, depuis jeudi, la police elle m’a arrêté. Pourquoi ? Ben, parce que j’ai frappé un mec ».
(sic)
Tout en faisant semblant de ne rien entendre, je m’éloigne un peu – réflexe de survie ? – me rapprochant imperceptiblement du jeune homme qui doit être en train de se féliciter d’avoir proposé sa place à notre voyou de voisin.
Arrêt suivant. Les portes s’ouvrent, et un homme crache dans l’intervalle entre la rame et le quai, comme s’il n’y avait rien de plus naturel. Mon dégoût ne semble rencontrer que l’indifférence du reste du wagon.
Et puis.
Sur le quai, j’aperçois des affiches pour des pièces de théatre ultra-pointues, des expositions, du vaudeville. Des films avec des stars dont je connais encore les noms, et d’autres qui ne m’évoquent rien, puisqu’elles ont dû accéder à la célébrité au cours des dix dernières années. Des publicités pour Décathlon, Picard et Monoprix.
Je sors du métro et arpente les rues, dévorant du regard bistrots pleins malgré la peur des attentats, les pharmacies où l’on peut se gorger de médicaments qui n’existent même pas en Angleterre, les petites boutiques indépendantes.
Je me noie dans les beaux yeux du boulanger passionné qui me présente avec fougue « son » pain aux noix, « son » pain au kamut et « sa » brioche aux pralines. Je finis par tout lui acheter, et il m’offre un pain au cacao cru et baies roses pour me remercier.
Les gens ont l’air français. C’est peut-être les chaussures bateau, les petits foulards au cou des femmes, une certaine suffisance, que sais-je.
Je suis chez moi.