L'amoureuse est divine.
Son patron à la banque le sait aussi. Alors quand est venu le temps de faire une "soirée de fidélisation à la clientèle" et qu'une paire de billets se libérait pour le spectacle de l'OSM de Kent Nagano accompagné de Fred Pellerin, le patron de la belle lui a glissé les billets dans les mains, confiant que son charme naturel saurait ravir les invités, des clients fortunés de la banque.
Pour l'amoureuse, autant que pour moi, c'était une première
a) d'aller entendre en direct l'OSM sous la direction de Kent Nagano (ou de quiconque à la barre de l'OSM pour tout dire, on avait jamais entendu l'OSM tout court)
b) D'aller entendre Fred Pellerin sur scène
c) d'assister à tout ça dans la luxueuse Maison Symphonique de Montréal.
Et si l'amoureuse c'est l'élégance même, moi je suis le citoyen plus Portland que Vienne.
De l'arbre Nagano et l'arbre Pellerin, je suis la pomme qui tombe de l'arbre Pellerin. La soirée a d'ailleurs commencée avec des résistances entre l'amoureuse et moi sur ce que je devais porter. C'est fou de réaliser qu'à l'aube de nos 23 ans de vie amoureuse, on soit tant aux antipodes sur ce que l'on aime sur l'autre. Tout ce qu'elle trouvait beau sur moi, je le trouvais pénible et vice-versa. Elle a insisté pour que je portes des souliers d'une laideur pointue, oubliés dans un placard à son travail. Ce que j'ai nettement refusé. Si ils avaient été laissés là, c'était en 1992, quand ils n'étaient PLUS à la mode et risibles. J'ai mis les miens. Malgré son boudeur "C'est ça la mode!". (Comme si la mode se dessinait dans le bureau des banques) Je ne suis pas les modes de toute manière, je les créés,
Et comme terrain de paix entre nous deux, j'ai accepté de fermer mon veston sur le devant afin que l'on ne voit pas que ma chemise était hors de mes pantalons. C'était, après tout ses clients, ses patrons. Mais je n'ai rien à voir avec eux. Elle n'aimerait pas que je la traite en Barbie non plus si c'était moi qui la sortait.
Non, si j'en avait fait qu'à ma tête, j'aurais porté un veston et un jean et des souliers plus sports. Mais bon. C'était sa soirée à elle.
Ce n'est qu'en route qu'on a appris que:
a) Montréal affrontait Boston au centre ville, il y aurait du traffic avant et après.
b) que Nagano viendrait s'entretenir avec nous avant le show
c) que c'était à la Maison Symphonique de Montréal.
Nous pensions depuis le début que c'était à la Place-des-Arts. Mais de toute manière, la somptueuse Maison Symphonique est une appendice de la Place-des-Arts. Et si l'endroit est somptueux, les gens qui y travaillent sont aussi extrêmement raffinés. Beaux garçons et très charmantes jeunes femmes nous servant vin et petites bouchées dans un salon privé sur du Dave Brubeck. Tout ça était d'un chic qui ne me correspondait pas naturellement, mais dans lequel j'ai baigné comme le plus grand des entertainer. Ce n'est pas le côté chic ou distingué qui me manque, c'est le côté artificiel qui vient souvent avec. Ça, je suis moins bon. Trop spontané et vrai. Pas assez "fake". Ça c'est moins naturel pour moi.
Jasant ici avec le client de chose, qui se remettait d'un accident de hiking, et jasant ailleurs avec docteur X dont le mari venait de s'acheter une voiture et ne cessait de nous en parler, nous mettant même la clé de sa nouvelle voiture dans les mains, avant même de se présenter tellement il était excité. Finalement, grâce à ce car lover, ce ne serait pas moi qui ferait honte ce soir-là.
"Maestro" comme appelle Nagano l'agent de communication de l'OSM, nous as vite avisé qu'il ne serait pas en mesure de venir s'entretenir avec nous finalement. (on a dû lui dire que je voulais surtout voir Fred). Ce serait le premier violon qui viendrait à la place. Et il fût bref, gracieux, drôle et a pris des photos avec certains d'entre nous. Il avait son violon dans les mains et certains ont insisté pour qu'il nous joue un petit quelque chose. Il nous as poliment faire comprendre que si nous étions humoristes, il ne nous demanderait pas de nous sortir une joke comme ça, on the spot. Il venait de jouer dans trois autres salons privés. Le petit singe dompté voulait se reposer avant le vrai show.
Avant que le show ne débute, je remarquai dans le livret que sur le déploiement des morceaux que nous entendrions, le nom de Pellerin apparaissait seulement en fin de programme. Je m'étais résolu à ne le voir qu'en fin de parcours. ET BEN NON! L'OSM a ouvert avec du Beethoven, puis on a applaudi l'arrivée de Fred qui nous as bordé la musique de l'OSM de ses contes sur St-Élie-de-Caxton pendant 1h30. Il chanterait même un morceau en clôture, voilà pourquoi son nom apparaissait en fin de programme, ce morceau était de lui.
Pellerin et Nagano nous tremperaient dans leurs univers entrecroisés de musique et de contes.
Des contes formidables où se mêlent nostalgie, fabuleuses tournures de langage, humour, chaleur, poésie rustique et surréalisme. J'ai tout de suite vu que c'était à peu près comme Fred que je voulais m'habiller pour assister à ce show et finalement fût content de ne pas l'avoir fait, j'aurais eu l'air de l'avoir copié comme un fan fini.
Sans le savoir complètement, je serais ce soir-là, un véritable fan fini.
Essuyant une larme de rire au coin des yeux pendant toute la première partie et ne cessant de jubiler des chaque ligne de ce superbe orateur. Je n'ai pas toujours été convaincu du lien avec l'OSM en tout début, ayant l'impression d'assister à deux univers parfaitement parallèles. Mais à partir d'un numéro musical plus moderne de Unsuk Chin en milieu de spectacle, qui s'arrimait à un moment ferroviaire frôlant le tragique dans la narration de Pellerin, la bande à Nagano se mariait audiblement et admirablement bien au texte de Fred.
Un parfait croisement de finesse et de rugosité trempé dans le pittoresque.
Fred est tout simplement sensationnel dans sa livraison comme dans son écriture, je le répète.
Quand Pellerin raconte, je n'ai pas besoin d'être souverainiste, mon pays existe tout simplement.
Et on vole dans l'hiver de nos vies dans la plus fameuse des magies.
La chute inattendue, sur le 150ème anniversaire de Ste-Élie-de Caxton et l'année 1922, est tout à fait réussie et n'arrache même pas les rires puisque ceux-ci coulent tout naturellement du début à la fin du spectacle quand Pellerin parle, telle une rivière puisant à la source d'un total bonheur contagieux.
Ce soir là, de chansons et de parlage, nous avons goûté au merveilleux. J'avais les yeux qui brillaient toute la soirée et les oreilles qui scintillaient. J'en ai encore le coeur gonflé.
Y a de ces vents qu'on prendrait tout le temps.
J'y repense et je frisonne encore.
Je recommande ce merveilleux spectacle à quiconque aime la vie.
Fred Pellerin est divin.