Pour beaucoup cette première brève description conviendrait plutôt au live à New York de Nirvana, album que j’ai beaucoup écouté et qui est objectivement un live plutôt sympa. Mais comment rivaliser avec la charge émotionnelle, les arrangements, les mélodies et plus globalement le talent de la bande à Staley ? A tel point qu’après avoir vu cette performance, Nirvana en est réduit à un groupe banal jouant quatre chansons au coin du feu sur des instruments désaccordés.
Ce live d’Alice in Chains est un putain de testament , un véritable chant du Cygne et à ce titre, je vous conseille grandement la version vidéo.
J’ai connu cet unplugged avant de connaître les vrais albums, du coup pour moi Alice In Chains n’est pas cette bête « heavy-grunge » sombre aux riffs saturés et angoissants. Il m’est même difficile, voire pénible d’écouter les albums studios du groupe. A mes oreilles et à mon cœur, Alice In Chains, c’est avant tout ce live acoustique, les voix de Staley et Cantrell, sortes de Simon and Garfunkel d’un soir, en plus crades et dépressifs.
Les différences avec le live de Nirvana sont nombreuses. Là où Cobain and Co ont choisi pas mal de reprises et de jouer en électro acoustique sur certins titres, Alice In Chains puise uniquement dans son propre répertoire, l’occasion de revisiter totalement leurs morceaux et surtout aucune note de guitare électrique n’est présente tout au long des treize trésors de l’album.
Pour se remettre dans le contexte, nous sommes en 1996, la déferlante grunge est passée, et Alice in Chains en fut l’une des figures de proue au sein du « Big Four » de Seattle en compagnie de Nirvana, Soundgarden et Pearl Jam. Pour beaucoup, le grunge, voire le rock sont morts et enterrées avec la mort de Cobain (foutaises !!!!!)
Alice In Chains, s’est toujours senti à l’étroit dans cette appellation, se revendiquant plus de Black Sabbath et de Led Zeppelin que du punk rock américain. En 1996, le groupe a déjà pas mal d’albums à son actif (Dirt , Alice In Chains notamment) et n’ont plus grand-chose a prouver. D’autant plus que le groupe est miné par les problèmes de drogues de son chanteur Layne Staley, déjà accroc à l’héroïne, addiction ayant entrainé la suspension de concerts du groupe durant une bonne partie de l’année 1994.
Au moment d’enregistrer ce live, le groupe est au bord de l’implosion, n’a pas donné de concerts depuis trois ans, et tout l’entourage du groupe se demande même si l’état physique et mental de Staley lui permettra d’aller ne serait-ce que des loges à la scène… Et puis vint le moment où résonnent les premiers accords tout doux de la guitare de Cantrell (tête pensante du groupe) sur « Nutshell », et enfin l’arrivée de Staley, maigre, presque tremblant, et affublé de lunettes noires.
Des les premières lignes de chant, la magie opère littéralement, la voix de Staley est éraillée, presque écorchée, et est un contre-point parfait aux lignes vocales de Jerry Cantrell. Le son y est tout bonnement excellent, on distingue facilement chaque ligne de guitare, chaque attaque de mediator de Cantrell, les rondes de basses qui construisent l’architecture sonore des morceaux sont omniprésentes et mixées quasi à la même hauteur que la guitare lead. Ces mecs là sont des musiciens accomplis (coucou Nirvana), y compris pour le batteur Sean Kinney qui joue juste, sans fioriture et où chaque coup de caisse claire ou cymbale semble pesé et mesuré.
Avis aux amateurs de doubles voix et d’harmonies, ce live en est truffé d’un bout à l’autre ( le pont a capella de « Brother » en est un parfait exemple, parmi tant d’autres). Cette complicité vocale entre Staley et Cantrell transpire littéralement et tout au long de la prestation, on apercevra régulièrement le regard de Cantrell, concentré, bienveillant sur son ami Staley, lui qui le sait si fragile et si malade. Un regard que j’aime à interpréter comme « t’inquiète mon pote, je suis là, tout va bien se passer« .
C’est aussi dans ce sens que la version video est largement supérieure. Comme si chaque membre savait que ce soir-là était un peu spécial. On y voit le groupe concentré, appliqué notamment au début du set, où tous sont pendus aux lèvres et aux démons de Staley. La vidéo permet aussi de voir des moments beaucoup plus spontanés quand Staley se viande sur les paroles de « Sludge Factory » et qu’il balance un gros « Fuck » qui oblige le groupe a recommencer. Ou quand ils balancent l’intro d' »Enter Sandman » de Metallica tout en sachant que le groupe est dans le public.
Mais revenons à la musique. Y a t-il une meilleure intro que ce « Nutshell » absolument parfait de douceur et d’émotion. Les premiers accords de Cantrell, l’arrivée crescendo de la basse, la clameur à l’apparition de Staley jusqu’au dernier coup de baguette, tout y est juste parfait.
Difficile d’isoler d’autres instants forts de cette soirée tant tout l’album est homogène, poignant et limpide.
Je parlais d’harmonies vocales plus haut, écoutez « No excuses », morceau peut-être moins sombre que le reste et où les 2 lignes de voix sont bien distinctes (couplet et refrains) et où Cantrell nous gratifie d’un solo à tomber par terre.
En parlant de guitare sèche, c’est une véritable démonstration de classe et de feeling que livre Cantrell, si vous avez été sensible au Mtv Unplugged de Clapton, Cantrell rivalise allègrement (en pas toute objectivité) !
L’autre grand moment de ce début d’album est sans contestation le funeste « Down in a hole », déchirant, où les paroles se passent de commentaires et où on sent la voix de Staley au bord du précipice, à bout de souffle quasi sur chaque fin de phrase sans jamais s’effondrer. « Down in a hole » a longtemps été ma préférée mais l’infime once d’espoir que l’on percoit dans l’atmosphère de « Nutshell » l’a remplacée depuis quelque temps.
De l’espoir il n’y en a pas beaucoup dans les sonorités et dans l’ambiance générale d’Alice In Chains. Si je ne m’intéresse que très peu aux textes, on sent bien que les paroles tournent autour de la dépression, de la mort et de la mélancolie en général. Je connais d’ailleurs assez peu d’albums aussi mélancolique (suis pourtant spécialiste en la matière) mais une mélancolie non feinte, qui ne tombe pas dans le pathos et le cliché du « I hate myself and I wanna die ».
Le génial « Rooster » par exemple qui évoque, à la facon d’Alice In Chains, les traumatismes des vétérans de la guerre du Vietnam.
Si l’on cherche un peu d’espoir, on se tourne vers « Got me Wrong » à l’ambiance un peu plus enjouée et où la aussi les harmonies vocales et les lignes de guitares quasi blues sont absolument divines.
Pas une seule fausse note ni faute de goût quant au choix des chansons, même le faussement naïf « heaven besides you » prend une tournure différente, là encore grâce au talent de Cantrell à la guitare.
Les chevaux sont lâchés, l’angoisse et la tension du début du concert sont maintenant loin, Staley s’autorise même à tomber les lunettes de soleil, on comprend alors à la vue de ses yeux, de son regard livide et de ses cernes à quel point la prestation de ce soir-là tient du miracle…
S’en suit un des innombrables high lights de l’album, le dantesque « Would » son riff de basse pachydermique qui vous encercle les oreilles et les neurones, et où Cantrell et Staley s’alternent au chant (Cantrell sur les couplets et Staley sur les refrains, des refrains acérés comme des lames de rasoirs).
Dernier moment à retenir, l’incroyable version d' »Over Now », au titre quasi prémonitoire et où le solo de guitare sur le pont justifie à lui seul l’achat du Dvd.
Que dire de plus sur ce chef d’oeuvre si ce n’est que tout connaisseur de musique rock se doit de regarder ce quasi documentaire. Alice in Chains est loin d’être mon groupe préféré mais si je devais sauver un seul disque de toute ma collection, je prendrais celui ci en premier avant n’importe quel autre classique plus évident.
Au dela de la qualité musicale, ce live a évidemment pris une tournure testamentaire avec l’arrêt du groupe et la mort de Staley en 2002. Et si le groupe continue d’exister aujourd’hui, rien n’égalera la dimension émotionnelle de ce putain de soir d’avril 96 devant les caméras de Mtv.
It’s Over Now.