➜ Xavier Raufer, dans quel contexte sont nées les premières politiques de la ville ?
Il faut remonter aux Trente Glorieuses, lorsque la moitié de la population française se déplace sur le territoire national. La première migration est connue. Il s’agit de l’exode rural : beaucoup de gens partent de la campagne pour s’installer dans les villes. Deux facteurs expliquent ce phénomène. D’une part, l’industrialisation et, d’autre part, la mécanisation de l’agriculture. Mais cette population ne s’installe pas en centre-ville. Elle prend position en périphérie pour une raison très simple : l’habitat y est bien moins cher.
Dans le même temps, une seconde migration a lieu. Cette fois, ce sont les habitants des centres-villes qui quittent ces zones pour s’installer, eux aussi, en banlieue. La cause n’est autre que l’insalubrité des logements d’alors, à laquelle il faut ajouter la noirceur des villes. Cela dit, il ne faut pas se tromper. La population rurale s’installe dans des HLM de la périphérie des métropoles tandis que la population quittant le centre-ville prend racine dans la banlieue chic. En peu de temps, ce déplacement de population aura concerné 50% des Français.
➜ Ce mouvement a été spontané, non orchestré par l’État. De quelle manière celui-ci a-t-il réagi ?
Du point de vue sécuritaire, mon domaine d’analyse, l’État n’a pas accompagné cette transformation du paysage français. Alors et pendant longtemps, les campagnes, sensiblement désertées, grouillent toujours de gendarmes. Les villes, elles, peuvent compter sur la police. Mais entre les deux, en périphérie, il n’y a rien.
« La fameuse « police de proximité » de Lionel Jospin est peut-être la seule mesure intelligence d’une politique de la ville. »
➜ Comment l’expliquez-vous ?
C’est simple. Par lâcheté, le ministère de l’Intérieur ne prend plus de décisions depuis des décennies. Les véritables propriétaires des emplois policiers sont les syndicats ! Lorsque le ministère tente de réorganiser les forces de police sur le territoire, en expliquant qu’il faudrait s’installer ici ou là, les policiers répondent « non ». Et tout reste figé. Il faut bien avoir à l’esprit que, jusqu’à la fin du XXe siècle, la dernière grande réorganisation de la police, sur le territoire français, remonte à la Seconde Guerre mondiale sous Pétain et Laval !
➜ Il ne s’est donc rien passé depuis ?
La migration de la population n’a pas été suivie d’une migration des commissariats. Il faudra attendre Jospin qui, dans un acte de courage, tentera de faire bouger cette carte. Mais, devant les nombreuses oppositions, cela ne portera que sur quelques milliers de policiers. C’est ce qu’on avait appelé la fameuse « police de proximité ». Peut-être la seule mesure intelligence d’une politique de la ville.
➜ Ces mouvements de population se sont accompagnés d’une immigration importante…
Oui. Progressivement et en 20 ans, une population nombreuse va arriver sur le territoire français. Des migrants étrangers qui, de fait, sont ceux qui auraient le plus besoin d’encadrement. Eux, ils arrivent directement en couronne parisienne. Et cela a un impact énorme. D’autant plus que, une nouvelle fois, l’absence de forces de l’ordre est déterminante. En périphérie des métropoles, trente ans durant, il y a plus de chance de voir une soucoupe volante qu’un car de police ! De ce fait, la situation va lentement se dégrader au fil du temps. Le schéma est connu.
Au départ, les jeunes de ces banlieues se réunissaient en bande amicale. Et puis, les premiers petits larcins sont commis. Face à l’absence de réponse policière et judiciaire, la petite délinquance devient grande et certains deviennent même de véritables criminels. Il suffit d’une génération ou deux pour voir la situation déraper complètement. Pourtant, des études existent depuis les années 1950, sur ce sujet. Les flux migratoires ont, partout, généré de la criminalité. Il suffit de jeter un œil outre-Atlantique avec les mafias italienne ou juive, de 1900 jusque vers 1940. Aux États-Unis, ce phénomène a été étudié par des sociologues comme Daniel Bell. Ses textes auraient dû être lus par les dirigeants politiques français. Cela les aurait incités à mettre en place, dès les premières migrations sur notre territoire, un cadre ferme dans lequel les immigrés apprennent à marcher dans les clous et à respecter les règles.
Rien n’a été fait correctement. Prenons les chiffres. Il y a 15 ans, par exemple, on comptait un policier pour 115 habitants à Paris, un pour 500 en petite couronne et un pour 700 en grande couronne. Alors que les proportions de crimes et de délits sont équivalentes dans ces trois zones. La réponse politique, désastreuse, a laissé la situation pourrir et se dégrader depuis la fin des années 1970. Lors de ces premières agitations dans les banlieues, la seule réponse a été la mise en place de la politique de la ville. Une ânerie sans nom ! Une métaphore s’impose. Une maladie, par exemple, doit être nommée pour être soignée : c’est ce qu’on appelle un diagnostic. Ce que n’ont pas fait les dirigeants de l’époque. Et, sans diagnostic, on ne peut rien guérir.
➜ Quel est le bon remède au mal ?
Tout simplement que le problème, dans les banlieues, n’est pas celui de la ville ! La politique de la ville est devenue un mantra pour tout le monde, jusqu’aux journalistes. Lorsque ces derniers m’appellent ou vont faire un reportage sur un événement criminel à Marseille, sur quoi enquêtent-ils ? Sur les kalachnikovs. Une arme, comme un bâtiment, n’est pas le problème. Ce qui l’est, en revanche, c’est la personne qui s’en sert ou qui y habite. Et là, ça devient plus délicat. Encore une fois, si les politiques avaient le courage de nommer les choses, ils serait obligés de reconnaître que ceux qui posent problème sont, pour beaucoup, les personnes issues de l’immigration. Les pincettes sont sorties et on préfère parler d’un « jeune », d’un « Marseillais »…
➜ La politique de la ville a permis aux dirigeants de jeter un voile pudique sur le problème de fond ?
Marcel Gauchet disait que nous sommes passés, en France, d’une culture de l’affrontement à la culture de l’évitement. On le lit et on l’entend partout : il ne faut pas être clivant, surtout pas faire d’amalgame… À force de ne pas vouloir voir les véritables problèmes dans les banlieues, ils se sont accentués. Il faut bien se rendre compte que même le ministre de l’Intérieur, aujourd’hui, évoque la délinquance dans les banlieues. Ce faisant, il minimise les faits qui relèvent pourtant bien de la criminalité : un trafic de drogue ou le fait de tirer sur la police n’est pas un acte de délinquance. Ce sont des crimes.
Une fenêtre d’opportunité est apparue au moment de l’attentat contre l’équipe de Charlie Hebdo. Là, le gouvernement aurait pu prendre des décisions. L’opinion lui était favorable, le contexte également. Il fallait, alors, prendre la liste des 100 cités les plus dangereuses et y envoyer les gendarmes pour remettre de l’ordre. Une réponse ferme mais indispensable. Au lieu de ça, ont été organisées des cortèges et des discours larmoyants.
« C’est limpide : la politique de la ville est criminogène »
➜ Quel est le rapport entre ces cités et la politique de la ville ?
➜ Les fonds alloués atteignent des proportions démentielles depuis les années 1980.
Rendez-vous compte : 100 milliards d’euros pour la politique de la ville rien que sur les dix dernières années. Si on fait un tableau comptable, on se rend compte combien c’est grotesque ! Je pense souvent aux propos d’un dirigeant politique des années 1980. Il disait que la politique de la ville était l’arme absolue visant deux objectifs : interdire la constitution de ghettos sur le territoire français et briser l’ascension du FN. Il y a de quoi rire, aujourd’hui ! Aucun objectif n’a été atteint.
➜ Êtes-vous consulté par certains politiques sur ce sujet, puisque criminalité et politique de la ville sont liées ?
À chaque évocation de ce sujet avec des responsables politiques, ils demandent ce qu’on peut faire. Je leur réponds qu’il faut arrêter, tout simplement, cette politique de la ville et tout reprendre à zéro. Pourquoi ? Parce que c’est limpide : la politique de la ville est criminogène. En général, quand je leur formule les choses ainsi, les politiques blêmissent et quittent la table, apeurés.
Un cadre d’une cour régionale des comptes du sud de la France, m’a confié récemment qu’il s’était affolé des dizaines de millions d’euros partant en subventions vers d’obscures associations des banlieues. Il l’a dit à son président de Région. Ce dernier lui a répondu « vous voulez la guerre civile ? ». En résumé, la politique de la ville est un mélange de chantage, de racket et de peur. Continuer un tel système est catastrophique. Cela revient à dire que des malfaiteurs peuvent piller l’appareil d’État et le traire éternellement.
« Les dirigeants politiques qui me font venir dans leurs colloques, à la simple évocation de la politique de la ville, sont mal à l’aise et plutôt dans la position de l’autruche »
➜ Peut-on croire à l’apparition d’un député courageux, comme l’avait été Nicolas Perruchot dans son rapport sur les syndicats ?
➜ Tout le monde ferme les yeux. Personne ne sait non plus où atterrissent ces dizaines voire centaines de milliards d’euros depuis 30 ans ?
La seule chose que l’on sait, avec certitude, c’est que l’allocataire des fonds est le ministère de la Ville. Ensuite, c’est le flou absolu. Les milliards d’euros passent par des centaines de canaux et l’argent se perd. Quand vous vous rendez sur le site Internet du ministère, vous n’en croyez pas vos yeux. C’est digne des plus belles heures de la propagande soviétique ! Les documents disponibles sont remplis de belles images, avec des hommes forts et des jeunes filles souriantes. Mais jamais un seul chiffre n’est avancé, ou alors il est tellement général qu’il n’exprime rien. Jamais une ligne, non plus, sur la finalité des dépenses.
➜ Quelle solution, face à cette omerta ?
Nommons des magistrats pour instruire une grande enquête judiciaire sur le gouffre de la politique de la ville et mettons les coupables en prison. Il faut convaincre les profiteurs de la politique de la ville de forfaiture. Prenons le plan Borloo, dans lequel ont été investis 100 milliards d’euros sur dix ans. Où sont-ils passés ? Quels résultats concrets ? Les habitants des quartiers concernés par la politique de la ville ne sont pas dupes. Les sondages récents montraient que 72 % des habitants déménageraient s’ils le pouvaient. Et certains en veulent encore, de la politique de la ville ?
Propos recueillis par Nicolas Julhiet.
Xavier Raufer a publié en 2015 « Cyber-criminologie – détecter, analyser, traiter », CNRS Editions, 240 pages – 20 euros.
Nouveau numéro ! «Politique de la ville : les racines du mal », Les Enquêtes du contribuable #14 décembre 2015/janvier 2016. En kiosque. Vous pouvez commander en ligne ce numéro : 5,50 €€ (port compris).