" Pour les prochaines élections, il faudra faire le choix entre l'urne ou l'autre. " (Damien Caillaud).
Les enjeux du second tour des élections régionales qui a lieu ce dimanche 13 décembre 2015 sont multiples. C'est le dernier scrutin avant une période seize mois de silence électoral qui sera interrompue par l'élection présidentielle. Autant dire que les nouveaux rapports de force vont déterminer pour longtemps les stratégies futures.
Même si, en nombre de voix (6 018 672), le FN n'a pas recueilli plus de suffrages qu'au premier tour de l'élection présidentielle du 22 avril 2012 (6 421 426), le premier tour des élections régionales du 6 décembre 2015 reste caractérisé par le tsunami de l'extrême droite qui a su mobiliser son électorat dans un scrutin particulièrement peu suivi mais aussi attirer de très nombreuses nouvelles catégories de la population, et même, pour ainsi dire, toutes les catégories de la population, y compris les jeunes et les cadres supérieurs et professions libérales.
Pourquoi un FN à 27,7% ?
Il y a à l'évidence au moins deux FN, en fait, bien plus, puisque le FN a justement vocation à être le ramasse-miettes des autres partis, à rassembler les déçus, les pessimistes, les gens en colère, les gens inquiets, etc. On parle souvent de deux FN qu'on pourrait symboliser par les deux régions les plus fortes du FN. Un FN des champs et un FN des villes. Un FN de droite, de droite extrême si ce n'est d'extrême droite, que séduisent les discours ultrasécuritaires mais aussi libéraux, néo-poujadistes, proches des petits commerçants, qu'on retrouve en région PACA. Et un FN de gauche, de gauche radicale si ce n'est d'extrême gauche, que séduisent les discours europhobes, protectionnistes, jacobins, antilibéraux, antiparlementaristes, qu'on retrouve en région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
L'origine de cette forte poussée du FN, observée depuis au moins les élections législatives partielles de 2013, où les candidats du FN ont pu se maintenir au second tour et ont réussi à doubler leur score entre les deux tours, rassemblant presque une moitié de l'électorat, a sans doute des causes multiples. J'en citerai trois mais il y en a forcément d'autres.
1. La courbe du chômage
Beaucoup de commentateurs expliquent que la courbe du FN suit la courbe du chômage. C'est vrai que les difficultés économiques engendrent souvent un sentiment de repli sur soi, une défiance de la classe politique et une stigmatisation de certaines catégories de la population devenues boucs émissaires de tous les maux. Ce genre de phénomène a été déjà expérimenté au cours d'autres périodes, d'autres lieux... mais il n'explique pas tout.
Il n'explique pas, par exemple, comme le faisait très justement remarquer l'ancienne ministre Delphine Batho sur LCP le 9 décembre 2015, pourquoi Jean-Marie Le Pen a fait un bond à 18% en 2002 alors que la période du "quinquennat" Jospin avait eu la chance de se dérouler dans un contexte économique international à la croissance (même si à partir de 2001, la crise des télécommunications a provoqué de nouvelles tensions économiques).
2. Le discours d'une certaine droite
Depuis que Nicolas Sarkozy a pris la suprématie du discours du principal parti de droite, c'est-à-dire depuis 2004, la ligne Buisson est plus ou moins utilisée. Nicolas Sarkozy est convaincu que la droitisation de son discours permettrait le siphonage des voix de l'extrême droite. Et il est convaincu que cette stratégie a fonctionné lors de son élection de 2007 avec un score assez faible de Jean-Marie Le Pen, mais ce dernier, vieillissant et fatigué, n'avait pratiquement pas fait de campagne. Enfin, il est persuadé que ce fut grâce à la droitisation de sa campagne en 2012 qu'il a pu rattraper son très grand retard, mais il a quand même perdu et beaucoup de commentateurs ont pensé, au contraire, que cette droitisation l'avait privé du vote d'électeurs modérés.
Il est clair que sur le long terme, tout discours tendant à justifier le discours de l'extrême droite renforce le FN avec ce proverbe lepénien : l'original vaut mieux que la copie. Mais qui fait vraiment la copie ?
Car si le FN est arrivé en 2012 avec 18% des suffrages, donc une augmentation entre le début et la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il faut rappeler que c'était le niveau de 2002 et que pendant la dizaine d'années où l'UMP était au pouvoir, entre 2002 et 2012, le FN a fluctué entre 15 et 20% mais est resté assez stable sur un palier.
3. Le PS au pouvoir
Qui fait vraiment la copie ? Peut-être plus le PS que Les Républicains. Les mesures ultrasécuritaires prises après les attentats du 13 novembre 2015, ou l'utilisation de l'expression "Français de souche" ( j'y reviendrai un jour) par le Président de la République lui-même, ainsi que les nombreuses maladresses comme l'expulsion de Leonarda, qu'il voulait séparer de ses parents, ont renforcé la base idéologique du FN.
Mais il y a aussi des discours électoraux parfois scandaleux, comme le dérapage très choquant de Claude Bartolone dans "Le Nouvel Obs" le 9 décembre 2015 qui a montré sa vision très raciale de la société en parlant ainsi de Valérie Pécresse : " Avec un discours comme celui-là, c'est Versailles, Neuilly et la race blanche qu'elle défend en creux. ". Amalgames, vision raciste de la société, discours d'exclusion, insultes : une erreur magistrale qui est très contreproductive. On préférerait que Claude Bartolone dise aux Franciliens quel est son projet pour l'Île-de-France (à part changer son nom) et les rassurer par rapport à sa gestion clientéliste du département de Seine-Saint-Denis.
En dehors du scandale de l'insulte, Claude Bartolone, comme l'écrit le maire de Janvry, Christian Schoettl, sur son blog le 10 décembre 2015, " confère une validité à ce concept, [et] valide l'imaginaire nauséeux, soit parce qu'il est un raciste qui s'ignore, soit parce qu'il estime que tout est bon pour gagner une élection, même de légitimer les thèses les plus insupportables ". Président de l'UDI et dernier sur la liste de Valérie Pécresse pour la Seine-Saint-Denis, le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde a exprimé sa colère et son indignation le 9 décembre 2015 à Issy-les-Moulineaux : " Et ça finit par être insupportable ! " et a réclamé le lendemain sur Europe 1 des excuses : " Et en Île-de-France, il veut faire croire que Valérie Pécresse est l'enfant naturel de Mussolini et d'Eva Braun ? Je lui demande de s'excuser et de retirer ce qu'il vient de dire. ". Cela augure mal du respect des personnes en cas de victoire...
La réalité, c'est que chaque fois que le PS est au pouvoir et prend des décisions qui révoltent une partie de la population (augmentation des impôts et taxes, etc.), le FN étend son audience. C'est le cas aussi avec le cynisme déployé régulièrement pour faire pousser la graine du FN dans les plantations de leurs concurrents de droite et du centre, tant par François Mitterrand que le couple actuel au pouvoir, François Hollande (et sa finance internationale) et Manuel Valls (le pompier pyromane qui voudrait se retrouver seul, sur l'échiquier politique, face au FN).
Les étapes de la progression du FN ont systématiquement eu lieu sous des gouvernements socialistes : l'irruption dans la vie nationale avec environ 10% aux élections européennes de juin 1984 ; l'élection de 36 députés FN en mars 1986 grâce au scrutin proportionnel concocté par François Mitterrand avec cette finalité, l'accession au second tour de Jean-Marie Le Pen lors de l'élection présidentielle de 2002 avec un nouveau seuil de 18% (malgré l'implosion de l'appareil du FN qui a suivi majoritairement la sécession de Bruno Mégret en 1998-1999), et enfin, depuis le quinquennat de François Hollande, les records ne cessent d'être battus, en atteignant 25% aux élections européennes de mai 2014 et en frôlant les 30% aux élections régionales de 2015.
Les attentes pour le second tour
L'incertitude reste très grande sur l'issue du second tour. En effet, il pourrait y avoir six régions qui passeraient au FN (la Bourgogne-Franche-Comte, le Centre-Val de Loire et la Normandie, avec des triangulaires, peuvent être, elles aussi, conquises par le FN et ont été visiblement abandonnées par la morale socialiste). Dans l'état actuel des choses, Florian Philippot est certainement la tête de liste FN qui, aujourd'hui, a le plus d'atouts pour devenir président de conseil régional (dans le Grand Est grâce le maintien complètement narcissique de la liste de Jean-Pierre Masseret contre la volonté de plus de soixante-dix membres de cette liste ; bonjour le respect de ses colistiers et dans tous les cas, bonjour le champ de ruines au PS dans ce territoire !).
Au contraire, il pourrait aussi y avoir un ressaisissement de l'électorat de gauche qui se rassemblerait derrière la liste du PS et pourrait sauver les meubles du PS dans de nombreuses régions.
Mais ma question est alors : pourquoi n'y a-t-il pas eu déjà cette prise de conscience dès le premier tour alors que tous les sondages annonçaient cette vague de fond du FN et que Manuel Valls lui-même avait envisagé le retrait de listes PS en cas de mauvais score ? C'est sans doute que les électeurs de gauche qui ont refusé de voter "utile" au premier tour en votant pour le Front de gauche ou pour les écologistes n'ont aucune envie de voter PS, et que la puissance électorale du FN n'effraie visiblement plus. C'est sans doute l'effet du Père Noël : les socialistes y croient encore dur comme fer. Sera-t-il en avance ?
Le PS avait rassemblé les régions dans ce seul but électoral : permettre de préserver au mieux ses chances électorales en noyant l'Alsace qui ne sera jamais socialiste dans une grande région sans âme ou en verrouillant l'Aquitaine en lui collant le Limousin. Une stratégie qui a surtout bénéficié au FN qui a pu sans difficulté contester ce tripatouillage territorial et rembrayer sur la désertification des services publics dans les zones rurales (un thème très porteur à l'élection présidentielle de 2012).
La dernière possibilité, c'est que l'alliance LR-UDI-MoDem finisse quand même par conquérir une majorité des régions, comme c'était prévu il y a plus d'un an.
Le cynisme des socialistes
Tout reste donc très ouvert pour le second tour, et les logiques électorales n'ont rien à voir avec les logiques mathématiques. L'avantage de cette situation de crise de l'offre politique, c'est que les choses sont au moins claires.
Le PS, qui joue à fond sur la morale et le barrage contre le FN, au point de se saborder lui-même dans deux ou trois régions, comme la flotte de Toulon, ne cesse pour autant de dire que l'alliance LR-UDI-MoDem aurait le même discours que le FN (encore Claude Bartolone en Île-de-France). Comment les socialistes peuvent-ils être compris en se retirant pour voter pour des candidats qu'ils ne cessent d'insulter à longueur de journées ? Mystère et boule de pétanque.
Parmi les responsables socialistes, seul Jean-Yves Le Drian a eu un comportement exemplaire et respectueux de ses électeurs en refusant une fusion de sa liste avec les écologistes, et en ne bidouillant pas son programme entre les deux tours.
Au moins, l'alliance LR-UDI-MoDem aura été claire jusqu'au bout, sans compromission d'aucune sorte, ni du côté du FN ni du côté du PS. Il aurait été sans doute préférable, d'un point de vue moral, que la liste de Dominique Reynié se retirât en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon même si, comme le pense Joseph Macé-Scaron (sur iTélé le 7 décembre 2015), le retrait de la liste aurait certainement bénéficié à la liste FN de Louis Aliot en récupérant tous les opposants à la gauche régionale.
La justice va rarement de paire avec la logique électorale, et ces élections régionales seront peut-être un cas éclatant où des victoires électorales pourraient être ...vraiment trop injustes, comme dirait Caliméro !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 décembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les enjeux du second tour des régionales de 2015.
Valérie Pécresse.
Claude Bartolone.
Résultats des élections régionales de décembre 2015.
Le premier tour des régionales du 6 décembre 2015.
Les enjeux des élections régionales de décembre 2015.
Réforme territoriale.
La réforme des scrutins locaux du 17 avril 2013.
Le référendum alsacien.
Élections municipales des 23 et 30 mars 2014.
Élections européennes du 25 mai 2014.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Élections départementales des 22 et 29 mars 2015.
Les dernières élections régionales des 14 et 21 mars 2010.
Le ni-ni Doubs.
La poussée annoncée du FN.
Le vote électronique, pour ou contre ?
Le Patriot Act à la française.
Changement de paradigme.
Mathématiques militantes.
2017, tout est possible...
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151211-regionales-2015C.html