Laurent Bouvet, politologue. est l'auteur de "L'insécurité culturelle"
Pour lui, la crise économique ne suffit pas à expliquer la montée du FN: "elle témoigne aussi d'un doute profond et insidieux sur ce que nous sommes, sur "qui" nous sommes". Bouvet défend ainsi la notion d' "insécurité culturelle". Celle-ci mêle deux inquiétudes nées de la mondialisation et de l'ouverture des frontières chez les classes populaires: la peur économique et sociale du déclassement mais aussi l'angoisse identitaire de voir disparaître leur héritage culturel.
Pour Bouvet, l'insécurité culturelle se trouve notamment "dans les craintes exprimées à longueur d'enquêtes d'opinion par ceux que l'on nomme trop facilement les "petits Blancs", parce qu'ils rejettent l'immigration au nom de leur survie économique ou l'islam au nom de la volonté de préserver leur mode de vie". La grande force du FN est de répondre à cette insécurité culturelle à travers un programme qui articule à la fois protectionnisme économique et protectionnisme culturel dans une sorte de souverainisme intégral. "Le contrôle étroit des frontières que Marine Le Pen propose s'étend de manière continue des capitaux aux personnes.", souligne Bouvet. Cela explique pourquoi Jean-Luc Mélenchon ne parvient pas à concurrencer le Front national malgré un programme économique très proche.
Si le leader du Front de gauche rejoint Marine Le Pen dans sa critique de la construction européenne, il se montre en revanche beaucoup plus libéral en matière de mœurs et d'immigration. Quant au PS, pris en étau entre les exigences imposées par Bruxelles et les aspirations sociales de son aile gauche, il parvient à séduire une partie de la bourgeoisie urbaine des grandes métropoles protégée économiquement et favorable aux réformes sociétales, mais est désormais rejeté en bloc par les classes populaires Pour Laurent Bouvet, la gauche radicale et le Parti socialiste ont pour point commun une vision individualiste et multiculturaliste de la société tournée vers les minorités culturelles. Et c'est finalement la stratégie du think thank Terra Nova, -qui, durant la présidentielle de 2012 recommandait au PS de se tourner vers les jeunes, les diplômés, les femmes et les immigrés, plutôt que vers les classes populaires- qui s'impose.
Selon lui, il s'agit d'une faute politique: les intérêts catégoriels des différentes minorités sont trop disparates pour former une coalition électorale stable et cohérente. Mais aussi d'une faute morale: la gauche s'éloigne de son ambition originelle d'émancipation sociale et collective et ouvre la porte aux communautarismes sur fond de choc des civilisations. Injustement accusé de dérive identitariste, Bouvet semble au contraire profondément redouter la guerre du tous contre tous.
A travers son livre, il appelle avant tout la gauche à renouer avec un projet commun. Dans une interview récente à l'excellent site Philitt, il rappelait ainsi: "Le "jeune de banlieue" et le "petit blanc" ou "Français de souche" ont davantage d'intérêts communs que divergents, ils ont en commun des intérêts sociaux notamment, et disent la même chose de ceux d'en-haut. Ils leur reprochent la relégation, l'abandon, l'oubli... les choix de politiques publiques."
Manuel Valls les entendra-t-il?