Article écrit en commun par h16 et Nathalie MP.
Et les abeilles ? Vous y pensez, vous, aux abeilles ? Non ? Eh bien vous devriez ! Parce que d’après Ségolène Royal le 13 avril dernier sur I-télé, « Les Français ont envie de revoir des papillons et des abeilles ». Pour la ministre de l’Écologie, des Petits Oiseaux et des Petites Abeilles, il semble en effet que ces dernières aient disparu.
Plus exactement, Ségolène explique, en vrac, la situation ainsi :
« (ces abeilles) ont dramatiquement disparu et qui sont en voie de réduction dramatique parce que c’est ce qui porte atteinte à la pollinisation. »
Et de fait, depuis quelques années, la presse s’est largement fait l’écho d’une disparition catastrophique des abeilles domestiques et des autres insectes pollinisateurs dans de nombreuses zones de la planète, soulignant les risques élevés que cela fait courir à nos ressources alimentaires.
Et les médias auraient tort de se priver : les abeilles domestiques ont toujours suscité l’intérêt et la sympathie du public, qui les associe spontanément à la douceur du miel, à l’aspect naturel de sa production, et à l’image paisible et fleurie d’une belle journée d’été. La menace de leur disparition a donc un impact émotionnel fort, au moment où l’apiculture tend même à devenir une activité de loisir très appréciée, aussi bien à la campagne qu’en ville, où il est devenu ultra-tendance d’installer des ruches sur le toit des immeubles. À cela, s’ajoute leur pollinisation du tiers des plantes que nous consommons, et notamment les fameux cinq fruits et légumes que nous devons consommer quotidiennement pour avoir vivrensemble, vitamines, sels minéraux et éco-conscience alimentaire au top de la forme.
Ségolène aurait donc raison ? C’est suffisamment improbable pour qu’on mène l’enquête, d’autant plus que les médias grand public ne se donnent guère cette peine.
Premier constat : les chiffres d’effondrement hivernal des colonies d’abeilles parfois avancés à plus de 50 % sont très surestimés, notamment pour l’Europe où les taux 2012-2013 établis par les services de l’Union européenne vont de 3,2 % à 29,3 % suivant les pays. Avec 14,2 %, la France reste dans la marge jugée normale (10 à 15 %). Les taux observés à l’hiver 2013-2014 sont encore plus bas.
Comme souvent lorsqu’elle cherche un coupable présentable pour jouer sur les peurs et les émotions de l’opinion publique, l’écologie médiatique (rejointe par des parlementaires vibrant d’écologisme électoral) s’est jetée avec délice sur les pesticides à base de néonicotinoïdes produits par les grandes firmes agrochimiques mondiales, tels que le Gaucho de Bayer (Allemagne) et le Cruiser de Syngenta (Suisse). Un autre produit chimique, le Fipronil commercialisé sous le nom de Régent TS par BASF(Allemagne), est également concerné.
Et de fait, la Commission européenne a décidé en 2013 d’interdire pour deux ans trois molécules de la famille des néonicotinoïdes. À partir de fin 2015, elle « entamera (…) un examen des nouvelles informations scientifiques qu’elle aura reçues.» En France, gold plating oblige, cette disposition européenne a été complétée par un amendement qui interdit tout usage de tout néonicotinoïde à partir du 1er janvier 2016.
Bien sûr, cela n’empêche pas une partie des acteurs de la vie écologique et apicole de se lamenter sur le trop faible rayon d’action du moratoire, pendant qu’une autre partie (les industriels phytosanitaires, la majeure partie de la communauté scientifique et même de nombreux apiculteurs), moins émotive et plus scientifique, commence à faire remonter des informations sur ce syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, qui apparait plutôt comme un phénomène multi-factoriel dans lequel les pesticides ne joueraient qu’un rôle secondaire.
Il faut dire que malgré les interdictions de ces pesticides, la récolte 2014 de miel est tombée à 10 000 tonnes(*) en France (pour 14 800 tonnes en 2010), alors même que la mortalité des colonies d’abeilles en sortie d’hiver était conforme à la normalité, soit environ 10%. Selon Philippe Lecompte, apiculteur bio professionnel et Président du Réseau Biodiversité pour les Abeilles :
L’action des pouvoirs publics s’est concentrée sur le facteur « pesticides » en oubliant le reste, à commencer par la ressource florale et le volet sanitaire. Force est de constater que c’était une erreur.
D’autant plus que la mortalité de masse des abeilles n’est pas nouvelle et qu’elle est documentée depuis l’Empire romain, où elle était déjà normalement située aux alentours de 10 à 15%. Au Moyen-Âge, de nombreux effondrements sont signalés et à la fin du XVIIème siècle, les causes identifiées -– mauvaises conditions météorologiques et parasites –- sont l’objet d’études attentives.
Selon un rapport publié récemment par Coralie van Breukelen-Groeneveld, Directrice du Centre de Protection des Abeilles de Bayer, il n’existe pas de données statistiques confirmant le déclin des colonies d’abeilles dans le monde. On assisterait même plutôt à une légère croissance depuis les années 1960, même si des effondrements inhabituels sont observés en Europe et en Amérique du nord.
Quant à la recherche scientifique, elle cite en premier un acarien parasite des abeilles, le varroa destructor, qui tue aussi bien les adultes que les larves, et qui transmet également un certain nombre de virus très hostiles aux abeilles. Face à ce type de menace, il convient de désinfecter systématiquement les ruches avant réutilisation et d’appliquer ensuite des traitements vétérinaires adéquats, proposés par l’industrie phytosanitaire depuis plusieurs années. Cependant, la recherche continue. Depuis 2004, il faut ajouter à cela la prédation du frelon asiatique qui pénètre dans les ruches et se nourrit tant du miel que des larves et des ouvrières. Contrairement à leurs consœurs d’Asie, les abeilles européennes n’ont pas développé de défenses à son encontre. Là encore, la recherche phytosanitaire est à la manœuvre.
Au-delà de ces aspects spécifiques et récents, on peut aussi noter la déstabilisation de l’apiculture depuis la révolution verte des années 1970 qui, par extension des monocultures intensives sur des milliers d’hectares, a profondément transformé l’organisation de nos paysages. Fini les multiples petits champs bordés de bandes herbeuses et florales où nos abeilles se retrouvaient pour papoter et butiner. Confrontées à un durcissement de leur environnement, constitué de vastes étendues sans fleurs, elles peinent à trouver leur nourriture. Ici, la remédiation consiste à rétablir autant que possible des bandes florales autour des champs, et à fleurir largement tous les espaces publics disponibles. La proposition de Ségolène Royal de retarder le fauchage des bords de routes va dans ce sens, à condition qu’il s’agisse bien de bordures comportant des fleurs, et pas seulement des graminées.
Dans ce tableau clinique, on arrive enfin à la délicate affaire des néonicotinoïdes.
Introduits dans l’agriculture vers le milieu des années 1990 pour aider à la protection des récoltes avec un pesticide plus simple, plus favorable à l’environnement et moins toxique pour l’homme que les produits antérieurs, les néonicotinoïdes sont appliqués une fois sur la semence à l’automne et protègent la plante pendant toute sa croissance, sans vaporisation foliaire supplémentaire.
Pour les ONG environnementales, des poussières imbibées de produit seraient diffusées dans l’air au moment de l’ensemencement. La haute neurotoxicité du produit pour les insectes agirait donc aussi sur les abeilles qui, désorientées, n’arriveraient plus à regagner leur ruche et en mourraient. Diverses études scientifiques (comme celle de Henry et al. 2012) ont tenté de répondre à cette question, mais en dépit de tout le sérieux consacré à ces travaux, de nombreuses critiques ont montré que les expériences avaient peu de rapport avec les conditions de vie réelles des abeilles et qu’elles avaient été exposées à des dosages bien supérieurs à ce qui se passe en plein champ.
Bien que ces études aient motivé le moratoire mis en place, il apparait de plus en plus que ces néonicotinoïdes, pour peu qu’ils soient utilisés correctement, sont loin de représenter un facteur important des effondrements des colonies d’abeilles constatés en Europe et aux États-Unis, où le Président Obama a justement demandé une étude spécifique sur le sujet.
Or, la conclusion du rapport rendu en septembre 2014 est très nette. À la question « Is Varroa Destructor or Neonicotinoid Pesticides Responsible for Bee Health Decline? » (Le Varroa Destructor ou les pesticides néonicotinoïdiques sont-ils responsables du déclin de la santé des abeilles ?), le rapport conclut (page 20) :
The state of the science makes clear that (1) Varroa destructor is, by far, the greatest threat to bee health; and (2) Neonicotinoids used according to regulatory requirements pose little threat to bees.
L’état de la science montre de façon clair que (1) le Varroa destructor est, de loin, le plus grand danger pour la santé des abeilles, et (2) que les néonicotinoïdes utilisés dans le cadre spécifié causent peu de dangers aux abeilles.
L’obsession européenne centrée sur la culpabilité des néonicotinoïdes est donc non seulement inefficace, car l’interdiction des ces produits ne changera rien à la situation des abeilles, mais elle est aussi dangereuse dans la mesure où des récoltes importantes sont menacées.
À l’automne 2014, à l’issue d’une saison agricole parfaitement normale du point de vue météo (mais sans néonicotinoïdes du fait du moratoire) on a observé la destruction de 20 à 50 % des récoltes de colza en Allemagne, en Pologne et au Royaume-Uni. Paradoxalement donc, en interdisant ces pesticides, on provoque une nouvelle situation de stress pour les abeilles, le colza, plante à fleurs, étant en effet un de leurs habitats privilégiés ! Encore un exemple de politiques désastreuses basées sur des actions scientifiquement mal-fondées d’activistes de l’écologie médiatique niaisement anti-capitaliste.
Remarquons enfin, comme on peut le lire dans la conclusion d’un rapport de 2014 de l’Australian Pesticides and Veterinary Medicines Authority, qu’en Australie, pays utilisateur des néonicotinoïdes à grande échelle et complètement à l’abri du varroa destructor en raison de sa stricte politique sanitaire, les colonies d’abeilles ne sont pas en déclin.
Conclusion
Mieux que personne, les écologistes et les ONG environnementales devraient être sensibles à l’aspect systémique du monde ce qui rend étonnant, voire suspect, leur attitude sans recul pour désigner une seule cause possible de l’effondrement des colonies d’abeilles, les pesticides néonicotinoïdes, quitte à en exagérer tous les défauts pour crédibiliser leur thèse.
Leur orientation systématiquement anti-industrie finit par occulter la réalité du terrain et nous entraîne dans des politiques inadaptées, provoquant même des pertes de production agricole qui s’avèrent néfastes pour les abeilles qu’on déclarait vouloir sauver.
Reste, heureusement, de bonnes nouvelles !
La première, c’est que la baisse est loin d’être aussi catastrophique que ce qui est rapporté par les écologistes. Il existe en outre des méthodes de réparation, d’autant plus faciles à mettre en œuvre qu’on a bien identifié l’aspect multi-factoriel des problèmes.
La seconde, c’est que les abeilles en ont vu d’autres depuis quelques millions d’années, ne sont pas en déclin au niveau mondial, et seraient même plutôt en légère augmentation.
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(*) Encore que ces chiffres (production, nombre de ruches, taux d’effondrement) soient complexes à obtenir. Par exemple, selon les sources Le Monde et notre-planète.info, la production fut de 10 000 tonnes en 2014, mais tandis que Le Monde fixe le nombre de ruches à 1,3 millions, planète-info.fr n’en compte que 650 000 et indique que des milliers d’autres petites coquines échappent aux recensements.
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