On a beaucoup publié sur la Grande Guerre depuis 2014 … centenaire oblige. Du meilleur, comme « Au revoir là-haut » de Pierre Lemaître qui obtint le Prix Goncourt, ou encore « Le collier rouge » de Jean-Christophe Rufin, je n’ai pas le temps de lire le pire. On se souvient peut-être moins de ce magnifique livre de Jean Rouaud, paru en 1990 et couronné, lui aussi du prix littéraire le plus prestigieux.
Je l’ai découvert sur les rayons de ma bibliothèque – qui comprend près de 2000 volumes – un peu par hasard … Sans doute ai-je un faible pour la présentation des éditions de Minuit, me souvenant de la lecture de Vercors « Le silence de la mer ». Ce format un peu bancal, cette typographie serrée, le papier aujourd’hui jauni ressemblant à la livrée des Gitanes maïs...
Bref, dès les premières lignes de cette autobiographie familiale, j’ai adoré le style éblouissant de simplicité – avec parfois, tout de même, un petit grumeau de pédantisme comme l’emploi soudain du mot « synecdoque ». Des souvenirs d’enfance, des légendes familiales racontées puis sublimées, une façon de surmonter des épreuves cruelles et répétées. A chaque génération, ses victimes fauchées dans leur prime jeunesse, en particulier pendant la guerre de quatorze avec deux des frères de la délicieuse tante Marie dont on narre la fin de vie déroutante, le père tant aimé de l’auteur qui meurt à 41 ans … Comme je me sens proche de l'auteur (né en 1952), moi dont père et mère furent les héros !
Voici comment on vivait au siècle dernier dans une famille petite bourgeoise du pays nantais, très imprégnée de religion, avec des notations douces-amères sur les petits travers des uns et des autres, leurs délicieuses manies, leurs secrets. La plongée est sincère, on saute du coq à l’âne au gré des bouffées de souvenirs qui jaillissent dans le désordre. La langue est belle, le propos mesuré, respectueux et tendre. Un beau livre qui n’a pas pris une ride.
Les champs d'honneur, roman de Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, aux éditions de Minuit - 158 p. - et en livre de poche.