François à la Courneuve et Manuel aux Mureaux, en octobre dernier. Ces deux visites se sont soldées par un échec. À la Courneuve, le chef de l’État a essuyé des huées de protestation. Aux Mureaux (photo ci-dessous), pour éviter ce type d’incident, les services de sécurité ont fait le vide autour du Premier ministre. « Pourquoi n’allez-vous pas à la rencontre des habitants des quartiers ? » ont ironisé des journalistes. « Un lundi matin, il y a moins de monde, c’est normal : les gens travaillent et nous sommes dans la période des vacances », s’est défaussé Manuel Valls.
Deux visites, deux échecs. Décidément, le courant ne passe pas entre la banlieue et les politiques. Voilà quarante ans que cela dure. La politique de la ville a commencé à s’écrire à la fin des années 70 sous le gouvernement de Raymond Barre. Depuis 100 milliards au bas mot ont été engloutis pour y ramener la sécurité, rehausser le niveau d’éducation, faire baisser le chômage et créer des emplois locaux. Le bilan parle de lui-même.
Question sécurité, les règlements de compte entre dealers ont déjà fait plus de 15 morts dans les quartiers Nord de Marseille depuis le début de l’année, dont deux nouvelles victimes, le 10 novembre dernier. Des jeunes des cités se radicalisent, à Toulouse, Marseille, ou dans la banlieue parisenne, des territoires qui servent de base arrière à des menées criminelles ou terroristes, comme lors des tueries du vendredi 13 novembre et de Charlie Hebdo.
Même bérézina en ce qui concerne le niveau scolaire. Malgré les renforts pédagogiques, le suivi individualisé des élèves, et une notation conciliante, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Ce n’est pas uniquement durant les périodes de vacances, mais tous les jours que les élèves ont envie de mettre les cahiers au feu et le maître au milieu.
Selon une étude de l’Institut Montaigne, les conseillers d’orientation sont haïs encore plus fortement que les policiers par certains « jeunes » pour qui l’école est l’objet de toutes les frustrations, de tous les ressentiments.
En 2013, l’ONZUS (Observatoire national des zones urbaines sensibles) soulignait que le taux d’illettrisme dans les quartiers est deux fois supérieur à celui du reste du pays. Il atteint 15% en ZUS contre 6% dans le reste du pays (chiffres de 2011). Près de 50% des personnes en difficulté dans les quartiers « sensibles » sont d’origine étrangère, notamment d’Afrique noire et du Maghreb.
Les écoles sont de plus en plus souvent victimes de saccages. À Nice, quatre établissements ont été vandalisés entre août et novembre 2015. Même situation à Marseille, où l’école des Aygalades-Oasis, dans le XIVe arrondissement, a été incendiée début novembre 2015. À chaque fois, les auteurs des faits sont des adolescents âgés de 12 à 14 ans.
Cette situation d’échec scolaire a des conséquences en termes d’emplois. D’après l’ONZUS, le taux de chômage dans les ZUS (zones urbaines sensibles) est de 23,2% contre 9,3 % ailleurs (chiffres 2012). Les jeunes de 15 à 24 ans sont les plus nombreux à rester sur le bord du chemin : 42% de cette classe d’âge est concernée par le chômage dans les ZUS, soit deux fois plus que dans les zones « conventionnelles ».
Erreur d’aiguillage il y a 50 ans
Pour comprendre comment la France a pu construire une telle machinerie de l’échec, de tels ghettos, il faut revenir sur l’erreur d’aiguillage qui a été opérée voici un demi-siècle. Un reportage réalisé en 1960 et extrait de l’émission « Cinq colonnes à la une » résume la situation. Pendant de longues secondes, un plan filmé à partir d’un d’hélicoptère montre une accumulation de barres d’immeubles, de milliers de logements empilés les uns sur les autres, dans la droite ligne des préconisations urbanistiques de Le Corbusier. Les cités sont présentées comme un éden urbain. Ces « grands ensembles doivent permettre aux familles de vivre loin de l’agitation et de l’air malsain des grandes cités », affirme la voix off. Les barres de Sarcelles et leurs 10 000 logements sont décrits comme une Jérusalem céleste si on les compare à la vieille ville, « fatiguée » et promise à un « état de dépendance ».
Entre 1959 à 1976, 300 ZUP ont été bâties à la va-vite. Beaucoup de ces cités dans lesquelles la police ne se risque plus de crainte de provoquer de nouvelles émeutes sont devenues de véritables poudrières. Ces quartiers sont classés par l’administration, selon leur niveau de dangerosité. Au niveau 1, le plus élevé, la délinquance est quasi-quotidienne. Il concerne de grands ensembles répartis à travers tout le pays. Dans le « 9.3 » bien sûr, mais aussi le 78 (Mantes-la-Jolie…), le 92 (Nanterre…), le 93 (Montfermeil…), le 94 (Grigny…), le 95 (Garges-lès-Gonesse…), etc. La province est aussi gangrénée. Même Paris (18e et le 19e arrondissement) n’est pas épargnée.
Dans ces cités, les immigrés sont surreprésentés. Fatigués de vivre dans des barres immeubles impersonnelles et excentrées, les autochtones qui s’y étaient installés au moment des Trente Glorieuses, ont fini par s’en détourner au milieu des années 1970. Ils y ont été encouragés par l’État. La loi Barre de 1977 a constitué une bascule. Elle a fait porter l’aide de l’État sur les ménages plutôt que sur le logement collectif, ce qui a incité les classes moyennes à s’installer dans les zones pavillonnaires.
Les logements qu’elles ont libérés ont été récupérés par des travailleurs immigrés qui les occupent dorénavant en masse. D’après les travaux des démographes Bernard Aubry et Michèle Tribalat, la Seine-Saint-Denis a, par exemple, vu la proportion de jeunes d’origine étrangère passer de 18,8 à 50,1% entre 1968 et 2005 contre 16 % à 37 % dans le reste de l’Île-de-France. Si les communes de la région parisienne sont les plus impactées par ce changement de population, les métropoles régionales sont de plus en plus concernées. Par exemple, à Vaulx-en-Velin, dans la périphérie lyonnaise, où la part des jeunes d’origine étrangère est passée de 41 à 61% durant la même période.
21% : c’est le taux de familles monoparentales dans les ZUS ( zones urbaines sensibles) contre 15,7% pour l’ensemble de la France métropolitaine
On y a vu des personnalités fantasques comme Bernard Tapie, nommé à deux reprises sous le gouvernement Bérégovoy. Des personnalités plus marquantes comme Simone Veil, nommée par Édouard Balladur qui a conservé ce maroquin pendant deux ans. Des fanions de la diversité comme Fadela Amara dont François Fillon a voulu faire un symbole d’unité nationale. Ou encore Jean-Louis Borloo qui a lancé un vaste programme de démolition/reconstruction des barres d’immeubles en 2003.
Point commun des tous ces ministres : avoir dépensé beaucoup d’argent sans que personne ne sache exactement combien ! D’après une litote de la Cour des comptes en 2012, « l’analyse de l’évolution de ces crédits est rendue difficile par de nombreux changements de périmètre de l’enveloppe, d’une année à l’autre ». Traduction : la politique de la ville est une véritable usine à gaz.
Collectivités territoriales, associations, entreprises et autres machins publics y trempent sans coordonner leurs efforts. Édiles, acteurs économiques, syndicalistes, responsables associatifs, tout le monde à son mot à dire quand il s’agit de distribuer l’argent des contribuables dans le formidable labyrinthe que forme le « zonage ». Des ZUS aux CUCS, des ZRU aux ZFU, de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) au CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires), le millefeuille ne cesse de s’épaissir… Où va l’argent ? Mystère !
Des subventions massives sont notamment attribuées à 15 000 associations qui ne rendent pas toujours des comptes. Les milliards se perdent dans un gouffre sans fond de plans, de pactes, de programmes… d’une telle opacité que, durant un temps, la Cour des comptes a utilisé le terme de « machine sans compteur » pour résumer le financement de la politique de la ville. Et la valse des milliards n’est pas près de s’arrêter : un nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU) vient d’être lancé. Il consommera 5 milliards d’euros d’ici à 2024 sans compter les extras…
Fabrice Durtal
La politique de la ville en 9 dates
– 1977. Premier plan banlieue « Habitant et vie sociale » sous Valéry Giscard d’Estaing.
– 1981. Premières émeutes significatives dans le quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône) et création des ZEP (zones d’éducation prioritaires).
– 1983. Plan « Banlieues 89 » pour rénover les grands ensembles.
– 1996. Création des ZUS (zones urbaines sensibles), des ZFU (zones franches urbaines) et des ZRU (zones de redynamisation urbaine).
– 2000. La loi SRU contraint les villes à construire au moins 20 % de logements sociaux.
– 2003. Loi Borloo. Elle prévoit notamment la destruction et la réhabilitation des logements sociaux vétustes ainsi que de nouvelles constructions.
– 2005. Émeutes de Clichy-sous-Bois (93).
– 2007. Émeutes de Villiers-le-Bel, suivies un an plus tard par le plan « Espoir banlieue » de Fadela Amara.
– 2014. Réduction du nombre de quartiers prioritaires de 2500 à 1500.
Une politique fiscale incitative
Outre les fonds d’investissement destinés à financer des projets d’entrepreneurs situés dans les quartiers populaires, les banlieues profitent d’un certain nombre d’exonérations découlant de la création des zones franches urbaines (ZFU). Les entreprises qui s’y implantent et y embauchent une main-d’œuvre locale peuvent bénéficier (sous conditions) d’exonération de charges fiscales. Par ailleurs, elles profitent d’une exonération de l’impôt sur les sociétés dégressive sur 8 ans (100% pendant les cinq premières années).
Les sociétés créées entre janvier 2015 et le 31 décembre peuvent bénéficier d’une exonération dégressive de la cotisation foncière des entreprises (CFE), et profiter d’un abattement sur la valeur ajoutée, d’exonérations de taxes sur le foncier bâti… Ce généreux dispositif a été utilisé par certains trafiquants pour blanchir de l’argent. Aussi, les établissements créés à partir du 1er janvier 2016 devront-ils passer un « contrat de ville » avant de profiter du dispositif. F.D.
Les banlieues, des territoires pauvres ?
Contrairement aux idées reçues, le niveau de vie dans certains « quartiers » dépasse celui des zones rurales.
« Les catégories populaires d’origine européenne éligibles au parc social s’efforcent d’éviter les quartiers où les HLM sont nombreux. Elles préfèrent déménager en grande banlieue, dans les petites villes ou les zones rurales pour accéder à la propriété et acquérir un pavillon », observe pour sa part le géographe Christophe Guilluy. Ce constat est partagé par le criminologue Xavier Raufer qui rappelle, en citant l’INSEE, que le « 9-3 » est le 15e département le plus riche de France, voire le 5e, si on y ajoute les milliards clandestins de la drogue. Le taux de mobilité dans ce département est de 61%, l’un des plus élevés de France, un peu comme si une vague de migrants chassait la précédente… F. D.