[Critique] AU CŒUR DE L’OCÉAN

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] AU CŒUR DE L’OCÉAN

Titre original : In The Heart Of The Sea

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Ron Howard
Distribution : Chris Hemsworth, Benjamin Walker, Cillian Murphy, Ben Whishaw, Tom Holland, Brendan Gleeson, Charlotte Riley, Frank Dillane, Michelle Fairley…
Genre : Aventure/Drame/Adaptation
Date de sortie : 9 décembre 2015

Le Pitch :
Hiver 1920, Nouvelle-Angleterre. Le baleinier Essex quitte les côtes de la Nouvelle-Angleterre afin de ramener un maximum de barils d’huile de baleine. Devant la pénurie de cétacés, le navire se voit contraint de s’aventurer plus loin, en espérant faire bonne fortune. C’est alors que l’équipage est victime de l’attaque d’un gigantesque cachalot particulièrement malin, qui semble vouloir couler l’embarcation. Complètement pris de court, le capitaine George Pollard et son second, le marin aguerri Owen Chase, tentent de sauver ce qui peut l’être, à commencer par leur vie. Histoire vraie…

La Critique :
Non, le nouveau film de Ron Howard n’est pas l’adaptation de Moby Dick, le roman emblématique d’Herman Melville. Il s’agit en fait de celle du livre éponyme de Nathaniel Philbrick, qui raconte les mésaventures de l’équipage de l’Essex, un baleinier pris en chasse par un cachalot géant. Une histoire ayant donc inspiré Melville. L’auteur figure d’ailleurs dans le métrage, sous les traits de Ben Whishaw. C’est lui qui vient frapper à la porte du dernier survivant de l’Essex, plusieurs décennies après les faits, pour lui demander de conter un récit devenu mythique. Ainsi, pas la peine d’espérer trouver l’équivalent « réel » du capitaine Achab, pris dans la quête maladive d’un monstre marin doué d’une intelligence extraordinaire. Au Cœur de l’Océan raconte davantage une épopée plus terre à terre où la survie tient une place prépondérante. Au fond, la baleine, qui est en fait un cachalot, n’y apparaît pas autant que prévu, laissant la place au calvaire des hommes contraints d’affronter les conséquences de leur arrogance.
Un aspect important du film, tant celui-ci s’attache dans un premier temps à suivre ces tueurs de baleines dans leurs exactions. Chassées pour l’huile qu’elles fournissaient et qui servait ensuite de carburant pour éclairer les villes, et pour leurs os (entre autres choses), les baleines étaient à l’époque au centre de toutes les convoitises. Même si le contexte est clairement exposé par Howard, difficile alors de prendre en sympathie des types acharnés, désireux de massacrer le plus de mammifères possible. L’aspect violent de leur métier n’est pas occulté, même si le plaisir qu’ils en retirent tient plus à l’argent que leurs proies représentent. Les trophées qu’ils arborent servant ensuite de vecteurs de respectabilité, quand bien même le vrai bénéfice revient aux puissants restés à terre. On remarque d’ailleurs un petit sous-propos politique plutôt bien vu, et tant pis si on a déjà vu plus percutant ailleurs car au fond, là n’est pas l’essentiel. C’est ensuite que le long-métrage délivre un discours là encore attendu, mais bien vu, quand la baleine réveille la conscience du héros, en le mettant face à l’absurdité de ce qui fut jusqu’alors sa raison de vivre.

Plutôt balisé dans sa progression, avec ses personnages attendus, le récit ne réserve aucun surprise particulière. Nous avons ce héros blond comme les blés et fort comme un dieu nordique, incarné avec une conviction de tous les instants par Chris Hemsworth, cet alcoolique repenti campé par Cillian Murphy, ou encore ce capitaine fils à papa imbuvable interprété par Benjamin Walker. Sans oublier le mousse courageux, qui sera amené plusieurs années plus tard à raconter son histoire à Melville. Personne ne manque à l’appel. L’équipage est au complet, prêt à incarner une épopée classique à l’américaine, dans la grande tradition d’un cinéma fondateur plein de souffle. Ron Howard de son côté, semble d’ailleurs surtout se concentrer sur les images et force est de reconnaître, sans tergiverser, que Au Cœur de l’Océan est l’un de ses plus beaux films. Soutenu par la sublime photographie d’Anthony Dod Mantle, et par des effets-spéciaux ahurissants servant admirablement l’histoire, l’ex-Ritchie d’Happy Days livre des plans à couper le souffle, et en profite pour conférer au spectacle un charme à l’ancienne de toute beauté. Ses mouvements de caméra, tantôt amples, tantôt au plus prêt des visages, amplifient l’immersion et placent le spectateur au centre de l’action. En cela, le premier morceau de bravoure, à savoir la tempête, s’avère époustouflant à plus d’un titre. Et encore, la baleine n’a pas encore fait son entrée. Et c’est quand elle se pointe, que Au Cœur de l’Océan largue les amarres pour s’imposer avec puissance et force, grâce au talent d’un cinéaste inspiré, parfois audacieux, et bien évidemment en pleine possession de ses moyens. Un peu plus de 2 ans après l’excellent Rush, Howard continue d’impressionner par sa propension à capturer l’essence d’une action XXL, et par son désir de ne pas exclure le spectateur, auquel il offre une vraie expérience.

Dommage que la forme fasse de l’ombre au fond. Au Cœur de l’Océan a beau s’avérer plus spectaculaire que 90% des films du genre, il peine étrangement à faire décoller l’émotion. Surtout si on le compare, non pas aux adaptations de Moby Dick, mais plutôt à Orca, le chef-d’œuvre de Michael Anderson de 1977, qui, avec beaucoup moins de moyens, mais doté d’une histoire plus viscérale, proposait un spectacle à fleur de peau et ô combien marquant.
Au Cœur de l’Océan, à contrario, avec ses sublimes images, sa musique grandiloquente et ses acteurs charismatiques (Hemsworth semble tout droit sorti de l’âge d’or du cinéma d’aventure hollywoodien), ne parvient pas à toucher au vif. Parfois il s’en approche vraiment, mais jamais il ne donne suffisamment d’ampleur à ses thématiques. Trop souvent il se disperse, gère maladroitement sa rythmique. Au final, si on comprend où il veut en venir, on peine à se sentir touché comme espéré. La faute à un scénario un peu bancal, qui accorde trop de place à certains poncifs. C’est regrettable, mais au fond préférable à ces œuvres qui veulent à tout prix à tirer les larmes à grand renfort d’effets rabattus. Encore une fois, Ron Howard ne semble pas chercher l’émotion à tout prix. Concentré sur le rendu visuel, il nous fait la flamboyante démonstration technique de ses compétences. Et tout compte fait, c’est déjà énorme compte tenu de la beauté du résultat. À cheval entre classicisme et modernité, ce voyage au bout de l’enfer a de la gueule. Vraiment beaucoup de gueule.

@ Gilles Rolland

  Crédits photos : Warner Bros. France