Vire en tête

Publié le 10 décembre 2015 par Rolandlabregere

Dimanche 6 décembre, les sites et les plateaux télé avaient adopté le même costume langagier. A croire qu’ils s’étaient concertés. Pour signifier qu’une liste était en première position, journalistes et commentateurs s’étaient donnés le mot et reprenaient avec avidité  l’expression vire en tête.

La gauche « vire en tête  devant le FN» (www.ladepeche.fr) en Ariège mais le même article mentionne que Louis Aliot (FN) « vire aussi en tête » à Lavelanet. Les Echos semblent se réjouir qu’en Normandie « la droite vire en tête, talonnée par le FN ». En « Auvergne-Rhône-Alpes : Wauquiez vire en tête, le PS derrière le FN », titre Libération.fr. SudOuest.fr n’est pas en reste et affiche à sa une « Régionales en Charente : Calmels vire en tête ». Paris Match dévoile que « Le divers-gauche Giacobbi vire en tête ». Quand les résultats sont donnés par départements, c’est tout naturellement que les mieux placés sont déclarés virer en tête. SudOuest.fr confirme qu’en Vendée, qu’en « Bruno Retailleau vire en tête ». La République des Pyrénées est fière d’informer lecteurs et internautes qu’« Alain Rousset vire en tête dans la région et le 64 ». 20 minutes l’affirme sur son site quelques minutes après la fermeture des bureaux de vote, « Le Front national vire en tête au premier tour des élections ». En Bretagne, sans surprise, Le Télégramme semble satisfait que Le Drian « vire en tête avec 41,95% des voix ». La Tribune souligne que dans « le grand Nord, Marine Le Pen vire largement en tête ». Les têtes d’affiches métropolitaines ne sont pas seules à se mettre en tête d'imiter le concurrence. Dans les DOM, les médias annoncent identiquement les résultats. En Guyane, « Rodolphe Alexandre vire en tête à l'issue du premier tour ». Pour ne pas être en reste, les radios et les chaînes télé ont rappelé que les listes qui étaient en tête ne manquaient pas de virer. C’est vrai qu’en soirée électorale, ça vire pas mal. On se retient de continuer à égrener le chapelet des citations révélatrices de cet engouement langagier. Ce trop plein nous exposerait à chavirer.

Le panurgisme lexical des médias était à son comble. Quand une expression est fétichisée à ce point par les professionnels de la communication, il faut y regarder de plus près. Virer en tête fait partie des expressions qui viennent du sport et sont passées dans le langage courant. Si le sport hippique a permis à un grand nombre d’expressions d’intégrer la langue courante, virer en tête est un transfert issu du vocabulaire du sport automobile. Le véhicule qui fait la course en tête est le premier que le public peut apercevoir à la sortie d’un virage. Dans la dernière ligne droite, il prend une option pour la victoire. A moins qu'il ne se fasse coiffer sur le poteau. Cet emploi excessif d’une expression témoigne de l’uniformisation des modalités d’information. Sites et journaux ne font plus l’effort de se singulariser. En partageant les mêmes usages de la langue, ils espèrent s’attacher la fidélité de leur public cible. C’est ignorer que les mots s’usent si on leur en demande trop. Satisfaits de mobiliser une métaphore de la vitesse porteuse d'un brin de modernité, les journalistes et les rédacteurs ont assimilés l’arène électorale à un circuit automobile. Pourtant tous les candidats ne tiennent pas la route avec la même assurance. Ceux qui virent en tête mettent hors circuit ceux qui sont distancés. Ceux-là ne sont plus dans la course.

Dimanche 6 décembre, et lundi 7 dans la presse écrite, les recalés de la course apparaissaient comme des roues crevées. Ceux qui ont viré en tête sont gonflés de joie et de satisfaction. Le deuxième tour du circuit dira, dimanche prochain, si la tête ne leur a pas tourné. Les mêmes pourraient alors virer leur cuti.