La première personne est toujours bien singulière dans les livres de Brigitte Giraud. Celui-ci commence avec un « nous » qui désignera tous les personnages du roman. Le « nous » englobe Olivio, le narrateur, sa mère, Max que la mère présente comme le père, alors que le père est mort au Portugal sous la dictature de Salazar, et le père d’Olivio est aussi dans le « nous », et bien sûr Ahmed, et le chat Oceano, et tous les autres. « Nous », ce sont les héros du roman. Un roman, en France. Où la langue française est une langue de l’exil. Le héros, dans le sens héroïque, est mort. Et le fils du héros le croit mort au milieu de l’océan, comme un Ulysse qui ne serait pas revenu. Jusqu’à ce qu’il apprenne que partir du Portugal, dont il ne reste que de rares souvenirs d’enfance, comme jouer au ballon autour d’un cactus, ce n’était pas pour le plaisir, mais parce que la vie même y était menacée, comme ce chaton rescapé de la tempête et qui accompagnera l’adolescence d’Olivio, une adolescence dans un monde sans père et sans repère, sans héros. Jusqu’à ce qu’il escalade un mur, en contrebas de la prison où le père est mort, sans doute sous la torture. Escalader, monter sur le toit, Olivio le fait souvent : pour respirer, pour voir plus loin, peut-être aussi pour partager l’expérience du chat interdit de séjour dans la maison de Max. Il lui faut trouver sa propre existence, sans triche, voire à l’écart du monde avec le seul ami qui lui reste quand Océano meurt, Ahmed. Nous, lecteurs, n’aurons pas le dernier mot. Sans doute parce que ce mot n’est pas écrit, n’a jamais été écrit. C’est un livre qui commence par « Nous vivions » et s’achève par cette ouverture : « aujourd’hui ».