Dans un beau coffret, les Editions Arté regroupe les deux parties du documentaire Andy Warhol, le pape du Pop Art, sorti en DVD le 3 novembre 2015. Réalisé par James Sanders et Ric Burns, ce film fleuve reprend la trame quasi-intégrale de sa carrière pendant près de quatre heures. Tels les deux faces d’une même médaille, il explore les ambiguïtés d’un personnage encore aujourd’hui considéré soit comme un génie majeur soit comme un charlatan manipulateur. Malgré l’exploitation inédite des archives du Musée Warhol de Pittsburgh, l’histoire de celui qui a poussé la sérigraphie à ses limites n’arrive pas à passionner pendant un temps si long. Seul les passionnés d’histoire de l’art y trouveront peut-être leur compte.
Andy Warhol est né à Pittsburgh aux États-Unis après que sa famille est immigré dans le quartier slave. Élevé dans la religion et l’abnégation par ses parents, le jeune Andy a très tôt montré de l’intérêt pour les arts plastiques avec l’entremise de sa mère. Renfermé et timide, à l’écart des activités des autres garçons, il préférait dessiner. A vingt ans, il décide de quitter sa famille pour tenter sa chance à New-York où le vivier créatif et intellectuel l’appelle inexorablement. Andy Warhol, le pape du Pop Art est l’histoire de la lente ascension de ce jeune immigré d’Europe de l’Est dans le milieu artistique américain dont il prendra la tête après avoir été rejeté car il venait du monde de la publicité.
L’œuvre de Warhol est protéiforme. Touche à tout, l’homme a évolué dans le dessin, la peinture, la sculpture, la musique, le théâtre et même le cinéma. Visiblement empathique et réunissant surtout les témoignages d’admirateurs de l’époque qui le sont restés, Andy Warhol, le pape du Pop Art ne manque pas de superlatif pour qualifier son œuvre, peu importe le support. Son bras droit, Billy Name, gardien de la Factory et d’Irvin Blum, longtemps son galeriste attitré ne tarissent pas d’éloge. Étant pourtant sensible à l’art contemporain, il est difficile de s’enthousiasmer devant les dessins publicitaires de Warhol. Le documentaire a beau nous vanté les courbes évocatrices des corps, l’émotion ne naît pas. Non, à mon humble avis, si génie il y a, celui de Warhol n’est pas dans sa production elle-même, somme toute assez laide mais plutôt dans l’exploitation qu’il en fit et la provocation qu’elle fût à l’establishment du marché artistique. En effet, l’incroyable réussite de Warhol fut avant tout de s’imposer dans un monde de l’art qui refusait avec dédain, d’une part de promouvoir des artistes homosexuels et d’autre part de laisser poreuse la frontière entre le graphisme et l’art autorisé. C’est grâce à lui, en grande partie, reconnaissons-le que les graphistes et les auteurs de bande dessiné ont accédé, plus tard, à un statut d’artiste reconnu par leurs pairs. C’est aussi un coup de maître d’avoir réconcilié l’art avec l’artisanat en ramenant les objets du quotidien au rang d’œuvre artistique. L’idée très prolétarienne fondatrice de l’œuvre de Warhol est effectivement que la différence entre la manufacture, l’artisanat et l’art ne repose que sur le regard du spectateur. Ne reconnaissons nous pas fréquemment comme une forme d’art les antiquités plus ou moins anciennes que nous chinons parfois ?
Mais comment s’extasier devant son œuvre cinématographique ? Des œuvres comme Sleep, où il filme son petit ami dormir pendant près de six heures sont difficilement accessibles au commun des mortels. De manière générale, les films de Warhol sont de piètre qualité scénaristique et même esthétique, filmés avec la tremblotte, souvent flous, toujours (ou presque) vulgaires. Leur aspect élitiste dépassent largement leur côté underground mis en avant par James Sanders et Ric Burns. Durant les années soixante où il acquière une renommée internationale, Warhol fonde la Factory, un espace ouvert où se croisent marginaux, drag-queens et des têtes d’affiches comme Bob Dylan, où toutes les expériences sont possibles. Mais Andy Warhol, le pape du Pop Art mais en avant un aspect méconnu du grand public. Celui-ci a été souvent vécu comme un manipulateur qui promettait monts et merveilles à ses collaborateurs. Profitant de l’effervescence créatrice qui l’entoure, il a été accusé par de nombreux collaborateurs de leur voler leurs idées. S’il y a beaucoup de fantasme à ce sujet, il s’est certainement plus inspirés de l’asile de fou qu’il avait créé, des délires des junkies qui l’entourait qu’il leur a confisqué leurs propres travaux. Néanmoins, Warhol fut surtout l’homme des promesses non tenues et de la froide empathie pour ses proches. C’est ainsi qu’il regarda sombrer Edie Sedgwick, pourtant prometteuse, dans la drogue sans lui apporter son aide, elle qui avait tout miser sur cet homme qu’il admirait. C’est aussi ce qui lui valu une tentative d’assassinat de la part de Valerie Solanas, militante féministe qui lui avait confié un manuscrit et qu’il traita avec mépris malgré ses promesses de la produire. Drôle de conclusion, après des années 60 effervescentes et créatrices, ayant frôlé la mort et prenant peur de Dieu, il s’enferma dans ce qu’il avait au final poursuivi dès le départ avant de s’égarer dans ses expérimentations, une marchandisation à outrance de son art. Acceptant toutes les commandes qui lui parvenait, il poussa à son paroxysme le système qu’il avait créé en devenant une entreprise avant d’être un artiste.
De nombreux critiques ont salué son jusqu’au boutisme, nous pensons plutôt qu’il s’agit là d’une renonciation à la provocation, de l’ouverture d’une ère où les bazar de quartier seront bientôt envahi d’art bon marché reproduit par centaines dans des presses chinoises. Si Warhol a redonné ses lettres de noblesses à l’artisanat et qu’on peut lui reconnaître un certain génie dans sa manière de se vendre lui-même avec succès et désinvolture, il est aussi l’exemple parfait des errements du marché de l’art pensé dans un système consumériste et capitaliste. Si Warhol est devenu une multinationale, combien n’ont jamais pu vivre de leur art ? Andy Warhol, le pape du Pop Art donne à voir tous les aspects du personnage mais sombre trop souvent dans l’hagiographie et l’admiration béate. C’en est parfois gênant et même ennuyant. Le sujet, traité en quatre longues heures, est éprouvant. Il n’y a finalement rien de bien palpitant chez un homme plus policé que révolté, plus que jamais suivant le sens du vent que remontant le courant. Warhol apparaît au final comme un produit de son temps plus que comme une révolution.
Boeringer Rémy