Au moment où paraîtront ces lignes l'oeuvre d'Olafur Eliasson, érigée sur la place du Panthéon à Paris au terme d'une logistique impressionnante, aura peut-être déjà disparu.
Ice watch Olafur Eliasson Place du Panthéon Paris décembre 2015
La mise en place d'une telle installation monumentale a pourtant mobilisé des moyens considérables. Six énormes porte-conteneurs venus du Danemark ont acheminé, depuis des entrepôts frigorifiques de Copenhague où ils étaient conservés, des morceaux du glacier de Nuuk au Groenland, fragments tombés naturellement dans la mer sous l'effet du réchauffement climatique. Toute une nuit des équipes ont travaillé dans la capitale pour mettre en place un « cadran polaire » composé de douze blocs de glace pure et millénaire. En novembre 2014, Olafur Eliasson présentait sa première installation glaciaire sur la place de l'Hôtel de Ville à Copenhague.
Ice watch
Ice watch Olafur Eliasson Place du Panthéon Paris décembre 2015
L'artiste danois d'origine islandaise a impliqué son travail dans cette préoccupation affichée : « Faire saisir le plus simplement du monde les enjeux de notre planète ». Ce Ice watch a donc vocation, par son inexorable disparition, a matérialiser le compte à rebours implacable de la fonte des glaces sur la planète. Cette opération, sponsorisée par le groupe Bloomberg Philanthropies s'inscrit dans le cadre de la réunion internationale de la COP21, conférence des Nations-unies sur le Climat. Serait-ce cette connivence avec la tenue de l'événement institutionnel qui provoque, notamment chez certains artistes, le scepticisme voire l'opposition à cette action artistique ? Des commentaires apparus ici et là plus particulièrement sur les réseaux sociaux, expriment parfois cette attitude de rejet. Sur place le sentiment est tout autre. Au Panthéon le public accueille, je peux en témoigner, avec un intérêt manifeste et une certaine exaltation cette proposition d' Olafur Eliasson. L’œuvre attire comme des aimants les photographes captivés par la vision de cette glace d'une pureté de cristal. Chaque visiteur éprouve le besoin de toucher, voire même de faire corps avec ces blocs à la transparence magnifiée par le soleil. "C'est de la neige compressée, or la neige est faite d'eau distillée, parfaitement pure" nous explique-t-on. Quand bien même la présence de cette œuvre s'articule avec une question majeure de civilisation, ce cercle des glaciers disparus s'impose également comme un geste artistique qui mérite, me semble-t-il, d'être pris en compte pour cette spécificité.
"Quand l'art repart de zéro"
Ice watch Olafur Eliasson Place du Panthéon Paris décembre 2015
Car cette réalisation réunit dans un même geste artistique des données au premier abord contradictoires. L'installation de ces quatre vingt tonnes cristallines sur la place du Panthéon rappelle le déploiement de ces chantiers réservés aux sculpteurs rompus à la manipulation des masses de granit érigées sur les places publiques, pièces indestructibles placées là pour des décennies. Un tel investissement physique et matériel se voit ici destiné à un art de l'éphémère davantage coutumier des interventions légères comme une plume, évanescentes. Ce contraste saisissant souligne encore davantage le propos d'une telle démarche.
Dans un film récent "Quand l'art repart de zéro", le travail d'Olafur Eliasson s'est vu associé dans sa démarche avec celle du groupe historique Zéro créé en 1957 à Düsseldorf par les artistes allemands Heinz Mack et Otto Piene. Avec cette même volonté de faire table rase, l'artiste danois part d'éléments fondamentaux à la manière de ses illustres aînés.
Ce disque de cristal, atterri en pleine nuit dans l'espace urbain parisien, semble venu d'ailleurs comme un signal énigmatique disparaissant avec autant de légèreté qu'il s'est imposé par sa masse écrasante. Son message n'est pas délivré par la force d'une image agressive ou provocatrice. Il passe par la seule force de conviction de cette glace limpide à la transparence millénaire. La nuit, ce cercle arctique scintille à la manière d'une étoile polaire tombée du ciel.
L’œuvre d'Olafur Eliasson ne peut être petitement réduite à une expression opportuniste associée à une manifestation politique internationale, création vécue (peut-être) par d'autres comme une compromission. Avec sa beauté fugace elle nous rappelle seulement que son éclat est fragile, provisoire et cependant, pour reprendre les mots de l'écrivain et plasticien Michel Seuphor, que "l'éphémère est éternel".
Photos:
vue nocturne : Anna Enberg
vue de jour générale : studio Olafur Eliasson
vue de jour détail : de l'auteur
Ice watch
Olafur Eliasson
Du 3 au ? décembre 2015
Place du Panthéon
75005 Paris