Exposition Co-Workers :
l’art à l’épreuve des réseaux
Du 09/10/15 au 30/01/16
Au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et au Centre d’art Bétonsalon, de jeunes artistes s’interrogent sur le sens du mot « réseau ». Les approches sont passionnantes, mais il est étonnant que l’exposition ne poursuive pas l’expérience sur internet.
DIS Competing Images, 2012
© Timur Si-Qin/ DIS Magazine
Deux lieux d’exposition :
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11 av du Président Wilson, 75116 Paris
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Tarif : 7 € (tarif réduit : 5 €)
Page officielle sur mam.paris.fr
Bétonsalon, Centre d’art et de recherche
9 esplanade Pierre Vidal-Naquet, 75013 Paris
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Entrée libre
Page officielle sur betonsalon.net
LE CO-WORKING COMME NOUVEAU MODÈLE SOCIAL
Le thème des réseaux est vaste, mais le titre de l’exposition préfigure une approche originale : « co-workers » renvoie à un nouvel modèle social. Au delà de l’aménagement de bureaux collectifs, transparaissent de nouvelles formes d’organisation du travail et de partage des compétences. C’est l’occasion pour les artistes d’interroger la disparition des frontières entre les sphères professionnelle et privée, entre ce qui relève du collectif et de l’individuel.
Quelques artistes abordent avec justesse cette confusion des espaces et des disciplines : dans une section intitulée « extimité » – concept développé par Jacques Lacan pour désigner les rapprochements humains dans le cadre de l’analyse – les artistes mettent en scène la vie intime comme outil de prédilection de la communication contemporaine.
© Nøne Futbol Club, Work n°2B : La Tonsure (after Marcel Duchamp), 2015
Le duo français Nøne Futbol Club en a fait l’expérience en choisissant comme support artistique la tête d’une personnalité qui est un « buzz » incarné : le joueur de football ultra-médiatisé Djibril Sissé. En reproduisant sur son crâne le motif de La Tonsure, une œuvre de Marcel Duchamp et Man Ray conservée au Musée d’Art Moderne, les artistes ont pu éprouver les nouveaux moyens de propagation de l’œuvre et de sa mercantilisation. Il en résulte une installation, présentée comme un rayonnage de magasin, qui est une remise au goût du jour des réflexions du mouvement dada sur la diffusion du signe visuel (voir le site des artistes / la Tonsure de Marcel Duchamp).
RÉAPPROPRIATION DES MÉDIAS
Dans la lignée des ready-made au XXème siècle, les artistes invités se font souvent l’écho du phénomène de ré-appropriation des contenus sur internet. Cette démarche présente le regrettable défaut de déposséder l’artiste d’une partie de sa fonction créatrice, mais elle interroge les processus de transformation artistique.
© Parker Ito, PBBvx.12345678910111213 son_of_cheeto (…), 2015 / Château Shatto
L’américain Parker Ito réutilise des images glanées sur internet pour composer de mystérieuses séries d’œuvres éditées en sérigraphie et tirage UV sur un support vinyle couvert d’un film qui lui donne d’étonnantes propriétés réfléchissantes.
La française Aude Pariset mène encore plus loin la démarche, puisqu’elle délègue une large partie de sa réalisation artistique. Son travail conceptuel détourne des symboles graphiques en les imprimant sur des supports organiques ou en les exposant à la dégradation par le liquide.
CONNEXION ET SOLITUDE
Le ton de l’exposition est le plus souvent optimiste, faisant la louange des échanges entre les disciplines artistiques et scientifiques, le marketing, l’informatique, etc. Mais au Centre d’art Bétonsalon – le deuxième lieu de l’exposition – les œuvres sont rassemblées avec comme sous-titre « Beyond Disaster » et elles empruntent un ton plus grave. Les artistes interrogent les limites ou la dimension inhumaine de l’interconnexion des réseaux.
© L’Artiste / Clifton Benevento Gallery / Michael Benevento / Isabella Bortolozzi
Shape of a Right Statement est une vidéo réalisée en 2008 par Wu Tsang qui adapte le manifeste sur l’autisme rédigé par l’activiste et bloggeuse Amelia Baggs en 2007. Initialement lu par une voix informatique, ce monologue traite de l’intolérance inconsciente qui découle de nos normes de langage.
© L’Artiste / Galerie Chantal Crousel
Dans We’ve Ne’er Gotten, David Douard s’approprie une image d’enfant en souffrance et la met en scène dans une installation claustrophobique qui démultiplie le portrait anonyme à l’aide d’un affichage lumineux – évoquant l’écran informatique – et un miroir sans tain comme allégorie du déséquilibre de nos modes de communication.
L’ART EN LIGNE RÉSISTE AUX MUSÉES
L’exposition Co-workers est le fruit de la collaboration de l’ARC (partie du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris dédiée à l’art contemporain), du programme 89plus de Google Lab et de DIS, un collectif new-yorkais qui a été chargé de la scénographie.
Vue d’ensemble de la scénographie réalisée par le collectif DIS
Le site web dismagazine.com ne date que de 2010 mais il a réussi à devenir un hub créatif incontournable outre-Atlantique grâce à son alliance étonnante de performances artistiques, publications théoriques, banque d’image et boutique en ligne.
Cet acteur influent de la mouvance artistique du post-internet a donc reçu pour mission de mettre en scène l’exposition et il s’en tire à merveille : la scénographie est inspirée par la douceur et la convivialité impersonnelle des open-space ou des halls d’aéroport et fait dialoguer les œuvres dans un contexte de pure neutralité qui convient parfaitement au propos.
Il est néanmoins regrettable que l’exposition n’ait pas de prolongement sur le web. Avec des partenaires aussi « branchés », comment se fait-il que le site web officiel soit réduit à peau de chagrin et que même le DIS Magazine ne mentionne pas l’événement ? Peut-on vraiment, de nos jours, parler des réseaux sans ouvrir un site web ?
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© L’Artiste / galerie Isabella Bortolozzi / Cabinet Gallery