Expositions de collections particulières :
les fondations montrent l’exemple
En 2015, les occasions sont encore bien rares pour les collectionneurs d’exposer leurs trésors dans les musées français. Quelques fondations invitent de grandes collections privées, mais les plus petites n’ont que trop rarement voix au chapitre.
Entrée de l’exposition De Leur Temps au Musée des Beaux Arts de Nantes en 2013 © ADIAF/JR
- Un engagement des collectionneurs mal valorisé par les musées
- En France, l’anonymat reste de mise
- La Maison Rouge : l’action salutaire d’une fondation privée
- « De leur temps » : la réponse collective de l’ADIAF
- Succès et déboires des fondations privées
- Une initiative exceptionnelle à Poitiers en 2015
UN ENGAGEMENT DES COLLECTIONNEURS MAL VALORISÉ PAR LES MUSÉES
L’art doit beaucoup aux collectionneurs privés. Les amateurs les plus avertis constituent parfois des ensembles d’une grande cohérence, tandis que d’autres défrichent la création contemporaine et s’engagent aux côtés d’artistes encore ignorés par les institutions publiques. D’après une étude* diligentée par le Ministère de la Culture, les galeries réalisent les trois quarts de leur chiffre d’affaires auprès d’eux. Ils seraient même le débouché exclusif de plus du quart des marchands.
Dans ces conditions, le regard subjectif du collectionneur devrait être considéré comme un témoignage aigu de son époque, un complément indispensable à l’approche scientifique des musées. Mais les institutions font preuve d’une certaine ingratitude : elles se font prêter des œuvres pour alimenter leurs expositions temporaires, elles se les font offrir pour leurs collections permanentes, mais elles rechignent à les exposer dans leur intégrité, négligeant le travail de collecte passionnée qui en est le moteur et qui mériterait d’être encouragé.
L’ANONYMAT RESTE DE MISE
En 1995, l’exposition « Passions privées » révèle un malaise. Cette initiative pionnière du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris a rassemblé pour la première fois un ensemble d’œuvres détenues en main privée. Malheureusement, parmi la centaine de prêteurs, les deux tiers n’ont pas souhaité se démasquer.
Vue du parvis du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Cette discrétion symptomatique s’explique d’abord par une certaine pudeur caractéristique de l’hexagone. Elle peut aussi être rapprochée d’une crainte des vols, puisque la plupart de ces ensembles ne sont pas assurés. Mais surtout, elle tient à une peur du fisc qui est alimentée régulièrement par les projets parlementaires – sans cesse avortés – de l’intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’impôt sur la fortune.
Les choses n’ont guère changé depuis cette époque comme en témoigne l’exposition « Passions secrètes : collections privées flamandes » qui s’est tenu au Tripostal à Lille fin 2014. Rassemblant des ensembles d’œuvres de grande importance, le catalogue taisait cette fois l’identité de tous les collectionneurs qui en étaient les artisans et occultait ainsi leurs motivations.
LA MAISON ROUGE : L’ACTION SALUTAIRE D’UNE FONDATION PRIVÉE
La Maison Rouge est devenue le lieu de référence pour l’accueil de collections privées (voir l’exposition de la collection Walther jusqu’au 17/01/2016). Il s’agit d’une fondation privée créée en 2000 par Antoine de Galbert, héritier du groupe Carrefour et grand passionné d’art contemporain. Après avoir bataillé trois ans pour obtenir la reconnaissance d’utilité publique, son espace d’exposition situé près de l’Opéra Bastille s’est appliqué à inviter tous les ans de prestigieuses collections particulières.
Façade de La Maison Rouge (Fondation Antoine de Galbert) à Paris
Le mécène est attaché à « l’intimité de l’art ». Dans une interview diffusée sur le site de la fondation, Antoine de Galbert se dit attentif « à choisir des collectionneurs ayant un jugement personnel et des engagements marqués », qui donnent à voir « des artistes oubliés, des œuvres à réactiver, à faire redécouvrir. »
Et certains des accrochages de la Maison Rouge ont fait date : c’est le cas notamment de « L’Intime, le collectionneur derrière la porte » en 2004 qui reconstituait les intérieurs d’où provenaient les œuvres prêtées, ou de « Le Mur » où Antoine de Galbert déballait à touche-touche l’intégralité des œuvres murales de sa collection.
« DE LEUR TEMPS » : LA RÉPONSE COLLECTIVE DES COLLECTIONNEURS
« De leur temps » est un cycle triennal d’expositions d’œuvres détenues en main privée organisé depuis 2004 par L’ADIAF, une association de collectionneurs dont nous avons déjà parlé, puisqu’elle organise tous les ans le Prix Marcel Duchamp.
Vue de l’exposition De Leur Temps au Musée des Beaux Arts de Nantes en 2013 © ADIAF
Si ces expositions régulières présentent les défauts habituels du genre (dans l’édition 2013, la moitié des prêteurs ont refusé que leur nom apparaissent), elles présentent deux atouts de taille : elles sont organisées en collaboration étroite avec les Musées ou les centres d’art en région et elles se focalisent sur des acquisitions de moins de trois ans. Cette triennale est donc une occasion unique de saisir sur le vif les options prises par les collectionneurs français.
SUCCÈS ET DÉBOIRES DES FONDATIONS PRIVÉES
Les très grandes collections privées cherchent tôt ou tard à se doter d’un lieu d’exposition. La France a connu dans ce domaine quelques échecs retentissants : on se souvient de la fuite de la prestigieuse collection de François Pinault, que la ville de Boulogne-Billancourt n’a pas su retenir sur l’île Seguin et qui s’est installée à Venise en 2005. La fondation de Jean Hamon n’a pas eu plus de succès, puisque son projet pour l’île Saint-Germain s’est soldé par une sombre affaire judiciaire et a dû être abandonné.
Le Palazzo Grassi à Venise abrite depuis 2005 la collection de François Pinault © Jean-Pierre Dalbéra
Mais d’autres mécènes ont connu des résultats plus convaincants et, même si les expositions de collections privées demeurent des phénomènes isolés, ces fondations valorisent de manière pérenne des ensembles artistiques constitués par de grands passionnés.
C’est le cas de la fameuse fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence qui a exhibé dès 1964 ce qui était alors une collection d’art contemporain ou plus récemment les fondations créées par Jean-Marc Salomon dans les hauteurs d’Annecy ou par Françoise et Jean-Philippe Billarant qui exposent leur collection d’art conceptuel dans un silo à grain du Vexin. La dernière née est la Rosenblum Collection : le jeune fondateur du site Pixmania a ainsi investi un local de 1500 m² dans le 13ème arrondissement pour exhiber sa collection d’art du XXIème siècle.
UNE INITIATIVE EXCEPTIONNELLE À POITIERS EN 2015
L’exposition Engagements/ collectionner/ partager à Poitiers s’engage enfin véritablement pour révéler l’esprit des collections qui la composent. Cet événement, qui a été organisé conjointement par le Musée des Beaux Arts et l’ArCEN (Art Collection European Network) a eu pour mérite de « s’intéresser davantage à la figure du collectionneur qu’à celle de l’artiste ».
Carlos Aires, Llorando, 2010 / collection Alain Servais / photo Arcades
Cette belle initiative a donné la parole à de jeunes collectionneurs par un système vertueux de parrainage : chaque prêteur a choisi un artiste ainsi qu’un jeune collectionneur passionné qui a présenté à son tour un jeune artiste. Cette exposition a reçu le label « exposition d’intérêt national », attribué par le ministère de la Culture pour récompenser les musées de France qui mettent en œuvre des expositions remarquables.
Espérons que le succès de cette expérience essaimera dans d’autres institutions et que les collectionneurs français auront réalisé l’intérêt pédagogique qu’il peut y avoir à se démasquer.
* F. Benhamou, N. Moureau, D. Sagot-Duvauroux (2001) Les Galeries d’art contemporain en France : portrait et enjeux dans un marché mondialisé, La Documentation Française