Il y a environ 150 ans, Gustave Courbet, alors âgé de 35 ans, peignait L'atelier du peintre (© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski), qu'il présente en ces termes : "C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi. À droite, tous les actionnaires, c'est à dire les amis, les travailleurs, les amateurs du monde de l'art. A gauche, l'autre monde de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort". Il s'agit d'allégories.
Emmanuelle Lainé, née en 1973, réalise pour la Biennale d'art contemporain de Lyon (2015) une oeuvre qui nous fait entrer dans l'atelier de l'artiste. S'installe une relation très particulière entre le visiteur que je suis, soudain inscrit dans une oeuvre dont certains éléments expriment le temps qui passe et d'autres témoignent du passage à l'acte. Il s'agit d'éléments concrets.
Et le tableau de Courbet m'est revenu en mémoire dans la salle d'Emmanuelle Lainé. Me permettant de mesurer (très subjectivement) l'évolution de la place de l'artiste dans la société, sa façon de se saisir du matériau d'un siècle à l'autre (après la traversée du XXe siècle), sa capacité d'agir et son rapport aux choses et aux êtres. Dans la toile de Gustave Courbet, l'artiste est au centre ; dans l'installation d'Emmanuelle Lainé, on ne voit pas l'artiste. Dans la première, l'ordre n'est pas naturel ; dans la seconde, le désordre est lié au travail en cours. Et, quand on se recule un peu, on prend conscience d'être à l'oeuvre (la plante retournée sur son étagère fane au premier plan) dans la pièce d'Emmanuelle Lainé, tandis qu'on n'entrera jamais que symboliquement dans celle de Gustave Courbet.