Feu! Chatterton : l’interview fleuve

Publié le 05 décembre 2015 par Swann

Ça fait un moment qu’on voulait rencontrer Feu! Chatterton, dont la carrière a pris une sacrée ampleur ces derniers mois. Tournées, plateau télé, concerts à guichets fermés, critiques dithyrambiques, signature avec Barclay… mais surtout Ici le jour (a tout enseveli), leur somptueux premier album. On a rencontré quatre des cinq Chatterton, Clément (guitare), Antoine (basse), Sébastien (guitare) et Arthur (voix) dans un petit café parisien un soir de semaine, autour de demi, de café, et de diabolo fraise. On a essayé de ne pas leur demander de nous expliquer leur nom ni comment ils se sont rencontrés. À la place on a préféré savoir quelle chanson ils chantent sous la douche, pourquoi ils ne parlent pas d’eux dans leurs textes et comment ils vivent leur pénible filiation au dandysme. Entre autres.

(c) Emma Shindo

Deux Trianon complets, un par mois jusqu’à avril 2016, des critiques unanimes de partout, votre premier album… Quel est votre meilleur souvenir de cette incroyable année 2015 ?

Sébastien : Chacun va en avoir un différent. Moi ce serait les Vieilles Charrues, en terme de concert… On a vu le public se prendre au concert alors qu’on a joué très tôt. Ce n’était pas du tout gagné, car c’était la première fois que l’on jouait sur une scène aussi grande, avec autant de monde. C’était un peu stressant, mais on s’est détendus et on a bien aimé le public breton. À chaque fois on est super bien accueillis. Et le soleil s’est levé au moment du concert…

Arthur : C’était court, mais c’était dense… Apparemment à chaque fois que des Parisiens viennent et disent aux Bretons : « il pleut chez vous », ils répondent : « il ne pleut que sur les cons ».

Clément : On a pas mal de beaux souvenirs en 2015. Il y avait le Paléo en Suisse aussi, le dernier concert de la première tournée. C’était assez fou, un orage est arrivé pile au moment où l’on a commencé à jouer, des éclairs, après ça s’est calmé pendant tout le concert. Et juste après, il a plu, il y avait de la boue partout, mais c’était super !

Antoine : On s’est enlisés aussi.

Arthur : On a un petit camion, et sur les festivals, le terrain c’est de la paille, pas du béton. Après le concert, au moment de s’en aller, paf, notre camion était complètement embourbé. On a dû prendre un tracteur pour tirer le camion, c’était sympa.

C’est un bon souvenir ça ??

Tous : Ouais !

Sébastien : C’était rigolo !

Antoine : Hier on a crevé sur l’autoroute aussi…

Clément : … c’était un bon souvenir ouais ! On n’avait jamais crevé, et c’est arrivé d’un coup comme ça…

Sébastien : À cause du poids ?

Clément : Sûrement… (rires)

Antoine : Notre camion est toujours en surcharge…

Clément : Mais il ne faut pas trop en parler…

Clément : On a sorti un album aussi, c’est un autre bon souvenir. On a fait un Trianon qui était blindé, il y avait toute la ville de Paris, nos potes, nos familles…

Antoine : 10 millions de personnes et voilà !

Arthur : Delanoë aussi !

Sébastien : On était déjà venus jouer en première partie ou pour des finales de concours. Mais là c’était pour nous, donc c’était impressionnant.

Arthur : Depuis tout à l’heure j’essaye de temporiser notre meilleur souvenir de l’année, mais c’est chaud parce qu’en 2015 on a eu une chance incroyable, on a fait des milliards de trucs ! C’était hyper éprouvant, mais on a fait une tournée, un album, on a monté un spectacle avec un écrivain [Éric Reinhardt ndlr], on a joué au Festival In d’Avignon cet été, c’était chouette comme cadre aussi…

Sébastien : On a fait plein de trucs géniaux et on ne le dit même pas : on est allés au Québec, à la Réunion…

Arthur : Oh putain la Réunion, ça c’est le meilleur souvenir !

Sébastien : On a fait des voyages quand même tu vois ! On a pris trois jours de vacances après à la Réunion, tous ensemble… On a failli faire du parapente… Failli…

Arthur : C’est magnifique, il y a des sortes de cirques, des plaines encerclées de grandes montagnes dans les hauteurs, donc tu les vois pas comme ça, il y a une jungle luxuriante, c’est hyper beau…

Clément : On s’est mis à faire des randos, alors que tu vois, on n’est pas trop rando…

Sébastien : On n’est pas trop sportifs ouais.

Arthur : La randonnée c’est cool, mais on n’en fait pas souvent, on peut le dire !

Sébastien : Fais gaffe on peut répondre longtemps (sourire) !

Arthur : C’était qu’une question les gars, faut qu’on se concentre !

Je crois que ça va être dur d’aller jusqu’au bout de l’interview…

Clément : Il y avait une piscine aussi à la Réunion, c’était cool, on était bien contents !

Sébastien : Un super souvenir !

Arthur : Tu te rappelles de la couleur du transat ou pas ?

Clément : Ouais il étaient de plein de couleurs, j’ai des photos.

Vous y êtes allés à la Réunion pour un concert quand même non ?

Arthur : Le concert c’est un prétexte. Nous on est musiciens pour qu’on nous invite à jouer à l’étranger (sourire).

Clément : On était en colloque avec Mina Tindle et Flavia Coelho c’était vraiment cool.

Sébastien : En colloque (rires) !

Arthur : Il y a un festival qui est super, le Safiko, au bord de l’océan. Ce soir là on jouait avec Fauve, Skip The Use…

Clément : C’est le plus gros festival francophone de la Réunion.

Sébastien : On joue sur une grande scène, avec les vagues…

Clément : Tu pars en avion avec toute la scène française, ça fait colonie de vacances.

En parlant de scène française, actuellement on a pas mal de groupes qui chantent en français, et qui essayent tant bien que mal, de se trouver une place sur le marché. Très peu arrivent à attirer autant d’enthousiasme que vous, que ce soit au niveau des médias, et du public. Comment vous expliqueriez ça ?

Clément : C’est dur à dire…

Arthur : Je pense que c’est un hasard.

Sébastien : Aussi, on est arrivés à un moment où il y avait eu avant La Femme, Fauve, Lescop, qui ont ouvert une voie tu vois…

Antoine : Il y a un bon timing…

Clément : Il y avait une meilleure ouverture d’esprit des médias après Fauve pour essayer d’aller chercher et trouver leurs « successeurs ». Mais je ne pense pas qu’il y ait moins de musique en français qu’avant. En tout cas avec le succès des groupes comme eux, ça a un peu décomplexé les médias, les labels…

Arthur : Pas que les médias, même nous, on écoutait de la musique en français. On s’est rencontrés au lycée, on fait des choses en français depuis très longtemps. L’idée c’était un peu de mettre mes textes en musique, et j’écris en français. On ne faisait pas de la pop. Au départ les gens nous disaient : « oula c’est en français, ça va être chaud ! », c’était peut-être une manière de nous dire que ce n’était pas très bien, ce n’était pas très à la mode. Et on a senti quand même à un moment un vent qui a tourné et où pas mal de groupes nous ont excités en français, alors que ça faisait longtemps qu’il n’y en avait pas eus : le premier EP de Mustang, Aline…

Clément : AV, Granville, Lescop… Ce ne sont pas des groupes dont on se réfère pour la musique, mais ils étaient là.

Si tu voulais faire ton intéressant, tu disais que Fauve c’était de la merde.

Fauve s’en est quand même pris plein la figure par rapport à vous…

Arthur : Ils ont eu un succès énorme.

Sébastien : Ils sont devenus hyper connus. Nous on n’est pas hyper connus, on a une notoriété limitée.

Arthur : Fauve c’est devenu un groupe phénomène. Quand t’es un phénomène, tout le monde se positionne via-à-vis du phénomène. Soit t’es pour, soit t’es contre. Nous en gros, il n’y a que quand les gens veulent bien nous aimer, qu’ils viennent vers nous et nous découvrent. Les autres peuvent passer à côté.

Clément : Ils peuvent passer à côté parce qu’on n’est pas un phénomène. Fauve à un moment, tu disais à tes potes : « tu les connais ? » et tout le monde connaissait. Donc si tu voulais faire ton intéressant tu disais que c’était de la merde.

Arthur : Tu disais un peu dans ta question qu’il a des mecs qui font du français pour se faire une place, parce que c’est un peu à la mode. C’est vrai qu’on a un peu vu ça ; des gens qui jusque-là avaient fait un peu de musique en anglais, car ils baignaient dans la culture anglo-saxonne, qui finalement se disaient « il y a une brèche, il faut que je me mette à faire la même musique je faisais mais en français ».

Antoine : Il y a des pastiches de Fauve qui commencent à apparaître qu’on entend à la radio… C’est dingue !

Et du coup ça ne vous fait pas un peu peur que tout le monde se mette à parler de vous comme ça ?

Antoine : Tout le monde ne parle pas de nous…

Quand même !

Clément : Si, il y a eu les médias si tu veux, mais ça ne nous fait pas peur. Quand on arrive dans les salles, elles ne sont pas… forcément… tu vois quoi… remplies de ouf… (les autres rient). Ce ne sont pas des Zénith… On y va tranquille.

Arthur : Pour nous en fait c’est gros, c’est une attention et une chance incroyable, c’est un engouement très fort, un privilège pour travailler, mais on n’a pas l’impression d’un truc spéculatif, d’une illusion, du jackpot. Nous on fait notre musique, on a notre camion, et on voit les choses se construire petit à petit. C’est vrai qu’il y a une propagande assez grosse pour l’album, dans le métro, à Paris, à la télé, c’est vrai… mais…

Sébastien : Mais c’est très progressif.

Clément : En plus, nous on est tellement la tête dans la guidon qu’on ne s’en rend pas forcément compte que les choses évoluent. C’est plutôt des gens qui viennent nous voir, des potes ou de la famille, qui n’ont pas vraiment suivi pendant six mois et d’un coup qui se rendent compte qu’il y a des affiches partout, qu’on passe à la télé… Et du coup on se retrouve avec ce genre de réflexion : « c’est pas bizarre tout ça ? » alors qu’en fait c’est tellement progressif, que ça ne l’est pas.

Ou alors vous êtes super modestes.

Tous : Non.

Arthur : Même pas, on se la pète à mort ! (sourire)

Sébastien : Non mais c’est vraiment pas de la modestie. On a vu Fauve, on les connaît, comment eux du camion ils sont passés tout de suite au tour bus et au semi-remorque…

Arthur : Un truc tout bête tu vois, mais aujourd’hui les fans Facebook ça veut dire un truc. On a 25000 gens qui nous suivent sur Facebook. On trouve qu’à notre échelle, pour une sortie de premier album, après avoir tournés depuis un an en France – ce qu’on a fait l’année dernière –, après un EP qui avait un peu fait parler, ce n’est pas un truc démesuré !

Clément : Ce n’est pas le même public que Fauve non plus.

Arthur : Du coup on n’a pas cette impression de « ouah putain ! Qu’est-ce qu’il se passe autour de nous, c’est la folie ! ». Notre trip c’est d’être musiciens. La musique représente une quête pour nous, et faire de la musique de notre vie, quelle que soit la notoriété – comme un artisanat on fait de la musique tous les jours pendant 10-20 ans – ça nous satisfait. On n’est pas vraiment dans une logique de succès. On est contents que les gens viennent bien sûr… heureusement ! Ça nous touche à mort. Mais on fait notre musique. Donc si on peut faire notre musique tous les jours…

Sébastien : C’est vrai ! On peut en vivre.

Clément : C’est énorme, tu ne te rends pas compte, ça fait depuis mars 2015 qu’on en vit. J’ai eu mon premier virement d’intermittent en mars 2015, donc c’est il n’y a pas si longtemps que ça. On faisait pas mal de concerts, mais on n’en vivait pas. C’est pour ça qu’on se rend compte que c’est encore une chance !

On a le droit de dire, qu’il y a une majorité de gens qui écoute de la mauvaise musique non ?

En ce moment, dans les meilleures ventes de disques en France, on a Kendji Girac, Fréro Delavega, Louane, Maître Gims… Est-ce vous pensez qu’être un groupe plutôt intellectuel vous porte préjudice pour truster le sommet des ventes françaises ?

Clément : C’est toutes nos influences.

Arthur : Ha ha. Ça dépend ce que tu cherches !

Sébastien : Ce n’est pas une question d’être intellectuel, c’est juste qu’avec la musique qu’on fait, on n’a pas l’occasion de passer sur les radios, qui permettent d’atteindre ces niveaux là. Je ne sais pas si c’est une question d’intellectuel ou de temps…

Clément : Je pense que c’est une question de temps, si on continue, on pourra peut-être, éventuellement, un jour être dans les meilleures ventes.

Arthur : Je ne suis pas pas d’accord avec vous, c’est mignon, ce que vous dîtes, moi je suis un peu pessimiste quant à la nature du monde.

Sébastien : Dans tous les cas en vrai, avec la musique que l’on fait de toute façon…

Arthur : On a le droit de dire, qu’il y a une majorité de gens qui écoute de la mauvaise musique non ? Il y a un mélange d’instrumentalisation et de plaisir coupable (sourire).

Okay, donc vous n’êtes pas d’accord.

Arthur : On n’est jamais d’accord !

Sébastien : Si, on est hyper d’accord ! (sourire)

Clément : Moi j’ai envie d’y croire tu vois, un jour…

Sébastien : Aujourd’hui le disque ne se vend pas très bien, et du coup si on avait eu cette chance de sortir un disque il y a 25 ans, dans ces conditions là, avec les médias qui nous suivent et tout…

Clément : Il y aurait toujours des mecs beaucoup plus au-dessus.

Sébastien : Il y en aurait toujours eu, mais on serait peut-être plus dans le top qu’aujourd’hui. Je ne pense pas qu’on ait un public qui achète énormément de disques, mais c’est un public qui vient aux concerts. Si tu compares le nombre de personnes qui viennent aux concerts et le nombre de personne qui vont acheter le disque, tu as beaucoup plus de gens aux concerts. Alors qu’avant, pour venir aux concerts, tout le monde achetait un disque.

Clément : C’est ouf parce que nous, en une semaine de concert, on fait quatre dates, on peut avoir 4000 personnes qui viennent nous voir, toutes salles confondues, et c’est ce qu’on vend en disques. À peu près quoi.

(ils continuent à débattre)

Arthur (en aparté) : On n’est jamais d’accord. C’est ce qui fait notre faiblesse. C’est comme le conseil des chanceliers dans Star Wars…

Bashung parlait d’une « peur des mots », de ses textes trop denses qu’il ne gardait pas, quitte à finalement en faire de l’orchestral. Il y a en France, énormément de pression autour des artistes qui chantent en français, il ne faut pas écrire n’importe quoi… pas du Louane quoi…

Arthur : Elle n’écrit d’ailleurs pas elle-même ses textes…

Sébastien : C’est pas sûr…

Arthur : Eh ! Je dis des choses en connaissance de choses, je me renseigne ! Elle a plein d’auteurs différents. Par exemple « Maman »… Parce que bon voilà, c’est bien mignon de penser que je ne peux écrire que des choses complexes, mais je veux de la simplicité moi aussi ! On peut donner un sens à cette simplicité noble : Maman-je-t’aime. C’est un beau refrain ça non ? (sourire)

D’ailleurs en choisissant le français, vous êtes restreints aux pays francophones non ? Ou vous espérez un jour nous faire une Christine ou Stromae ?

Sébastien : En vrai il n’y a pas de stratégie. La question est bizarre, car en gros il faudrait qu’on y réfléchisse avant…

Beaucoup de groupes préfèrent la facilité de l’anglais… car ça limite forcément quand tu choisis le français… 

Clément : C’est vrai mais la question se pose quand tu commences à devenir très connu en France.

Sébastien : On n’y réfléchit pas.

Antoine : C’est un truc qui vient après, lorsque la musique est faite.

Arthur : Au début on fait de la musique pour un petit frétillement interne (rires), c’est vrai en plus ! Pour avoir ce truc qui s’épanouit en toi personnellement, et ensuite tu le partages avec tes potes. En vrai on ne se pose jamais la question…

Sébastien : Après, tu te dis forcément « ça ne va pas marcher à l’étranger », mais tu te le dis après, pas avant. C’est sûr que ça ne va pas marcher à l’étranger ce qu’on fait, mais c’est pas grave.

Clément : Les artistes qui arrivent à faire ça sont vraiment énormes, ils ont cartonné déjà partout dans le monde, avant les États-Unis… ce n’est pas la même échelle.

Sébastien : Mais peut-être au Canada, en Suisse…

Antoine : Je caresse l’espoir du Japon.

Arthur : Caresse-le bien !

Les Japonais aiment beaucoup tout ce qui est très français, c’est vrai…

Arthur : Ils aiment beaucoup les moustaches d’ailleurs. C’est pour ça que j’en ai une. La moustache c’est pour les Japonais.

Sébastien : C’est notre côté stratégique (rires).

Antoine : Il y a un lien d’amour assez inexplicable entre la France et le Japon. Ça pourrait leur plaire.

Clément : Ils accrochent beaucoup à Richard Clayderman un pianiste…

Antoine : Jean Reno mec ! Ils sont trop fans.

Il y a la Russie alors à ce moment là.

Sébastien : On kiffe la Russie (sourire).

Antoine : On n’est pas assez bling-bling…

Arthur : Eux ils adorent Patricia Kaas, c’est un autre délire ! Il y en a un qu’on oublie aussi, parce qu’il a bientôt 100 ans, mais c’est Aznavour qui règne sur le monde entier ! 100 millions de disques !

Antoine : Lui il représente la France tout seul. C’est l’ambassadeur.

Arthur : Il est beau.

Sébastien : Il est arrivé à une période, dans les années 1970, où la chanson française était internationale.

Arthur : Ça va c’est un peu clair ce qu’on dit ? J’ai l’impression que c’est n’importe quoi.

Clément : Chacun raconte un truc différent.

Sébastien : N’hésite pas à nous dire de passer à l’autre question. Quand tu sens qu’on est en train de répéter tous la même chose quatre fois (sourire).

On est très pudiques. Nos textes partent d’anecdotes, puis autour de ça, on fantasme.

Contrairement à 99% des artistes qui parlent de leur vie personnelle, de leurs relations sentimentales etc., beaucoup de vos textes partent d’anecdotes, puis se transforment en histoire. C’est volontaire de ne pas parler directement de vous dans vos chansons ?

Arthur : Je vais te parler plus personnellement car j’écris les textes. On conçoit la chose assez comme ça, on est très pudiques. Chaque chanson, comme 99% des mecs qui font de la musique, c’est des sentiments amoureux. Mais comme j’ose pas, j’ai pas envie de les dire avec trop d’impudeur…

Sébastien : Il se cache.

Arthur : C’est un peu tortueux, ça part d’anecdotes, et autour de ça, on fantasme. Le Costa Concordia, fait divers, ça devient un mythe (Côte Concorde, ndlr). La Malinche en fait c’est une fille que j’ai vraiment connue, une mexicaine… À l’aube, un titre de l’EP c’était un ami qui a voyagé… Chaque chanson raconte des choses comme ça, même les plus ésotériques, comme Le Long du léthé, qui en fait pour moi est très simple et très claire : « je déambulais le long du Père-Lachaise », parce que j’habitais dans le coin, on s’arrête là.

Antoine : Mais moi je ne vois pas du tout ça, sur cette chanson par exemple.

Arthur : « Le long du Père-Lachaise », toi par exemple je suis sûr que tu vois un cimetière, alors que moi je vois la face bordée d’arbres, comme si je longeais un parc. À chaque fois on peut imaginer un tas de trucs.

Donc vous n’êtes pas trop dans le « je-raconte-ma-vie » à la Adele.

Sébastien : Mais si il raconte sa vie, mais de manière furtive (Arthur rit).

Porte Z c’est une chanson plutôt géniallissime, ma préférée de votre album. Vous pouvez m’en parler un petit peu ?…

Clément : C’est une plaine derrière une autre plaine, derrière une autre plaine…

Sébastien : La plaine de la plaine de la plaine de la plaine…

Antoine : C’est une compo’ de Clément à la base.

En fait je l’ai réécoutée, et j’ai trouvé que les paroles résonnaient beaucoup avec les attentats du 13 novembre à Paris… [l’interview a été réalisée 10 jours après]

Sébastien : Carrément, on s’en est rendu compte après…

Clément : Mais même la plupart des textes ont une résonance particulière après les attentats…

Arthur : En fait Porte Z, elle a plusieurs clés possibles. Ce qui est sûr, c’est qu’à un moment, avec un seul mot, les choses basculent. L’idée de « rien n’était plus beau qu’aujourd’hui, le soir tombait comme un rideau métallique », avant je voyais un rideau de fer, maintenant je vois les devantures des cafés tu vois. « Les jeunes gens s’en allaient »… Au début ça part d’une écriture automatique, c’est à dire que j’écris ce qu’il me passe par la tête, et ensuite j’ai restructuré tout ça en ayant travaillé beaucoup de choses. Il y a toujours quelque chose d’un peu flou, qui penche vers l’angoisse, soit c’est une journée très heureuse dans une plaine, pour de vrai, une partie de campagne, soit c’est quelque chose de plus grave et inquiétant.

Clément : Et la fin du refrain avec « nous n’avions peur de rien », qui est tellement revenu après les attentats,« on n’a pas peur, on reste là »… ça résonne hyper particulièrement.

Arthur : Après il ne faut pas qu’on révèle tout.

Sébastien : Parce que là on va te figer un truc.

Arthur : C’est tragique le sens des textes ! J’aime bien les chansonniers morts, parce qu’il ne peuvent plus rien dire de ce qu’ils ont fait, et la chanson a le sens que tu lui donne, c’est ça qui est fort, elle te dépasse. Et on s’en rend compte quand il arrive des choses terribles, ou très heureuses. Une chanson qu’on a chantée cent fois, on la rechante après les attentats, et putain elle a un nouveau sens, même pour nous. Tu es dépassé par un truc, elle ne t’appartient plus, c’est devenu autre chose…

Franchement les gars, ce que vous avez fait c’est ringard, ça ressemble à un mauvais Michel Legrand…

Il y a cette espèce de gradation des instruments jusqu’à ce passage électro qui fout les poils… Vous ne créez pas tout ça au pif…

Clément : Non, on ne fait pas ça au pif. Mais c’est là que ça devient intéressant d’être en groupe, c’est que tout le monde apporte vraiment quelque chose, c’est très terre-à-terre ce que je dis. Ce qui fait qu’une maquette, un peu plate, devient un objet complètement hybride, avec cette batterie hyper puissante de la fin par Raphaël, alors que sur la version maquettée d’ordi, ça ne donnait pas du tout ça. À la fin, Antoine était dans son coin, en train de faire des claviers, et il a fait cette mélodie qu’on a intégrée dans la chanson. Donc ça a fait des allers retours non-stop entre nous cinq, même dans le texte, à la base c’était une intru qui était juste au piano… La première version de la chanson c’était les mêmes accords, mais au piano, hyper planplan, avec une batterie jazz, la ligne mélodique et le texte étaient complètement différents…

Arthur : C’est peut-être l’un des titres qui a le plus évolué en groupe, et je me souviens quand Clément a fini de travailler dessus et qu’on a écouté l’instru. C’est une des fois où j’ai ressenti le plus puissamment la certitude que ce qu’on faisait à cinq, c’était mieux que ce que l’on faisait lorsqu’on était seuls. Parfois c’est très laborieux de travailler à plusieurs, car tu te dis que ton idée est bien, et que tu vas la faire tout seul. J’étais au Mexique quand il a composé Porte Z et c’était les malettes sur la batterie, un chabada jazz avec un piano… J’étais hyper content, et j’invente une mélodie (il chante), je travaille à fond, ensuite je reviens à Paris, et on repart pendant trois semaines à la campagne pour bosser, et Séb me dit « franchement les gars – on était hyper fiers de nous -, ce que vous avez fait c’est ringard, ça ressemble à un mauvais Michel Legrand »…

Sébastien : C’était du piano-voix… !

Arthur : Chaque jour je leur proposais quatre versions de la chanson jusqu’à ce que Raph vienne à côté de moi et bref… C’était un beau travail.

Sébastien : Quand tu as trouvé la ligne du refrain avec la double-voix, je me suis dit, « ça y est c’est bon ».

Sinon, pas trop blasés de cette constante association de Feu! Chatterton avec le dandysme ?

Sébastien : Ça dépend comment c’est pris, ce qui me dérange, ce n’est pas tant qu’on en parle mais l’image que ça peut renvoyer aux gens. C’est marrant, par exemple, il y a eu un documentaire sur nous par France 4, et j’ai eu plein de retours de gens après qui m’ont dit « mais en fait vous êtes sympas ! ». Il y a un truc derrière l’image du dandysme qui peut être lourd et qui ne nous correspond pas forcément.

Antoine : Pas lourd, mais pédant.

Clément : C’est un truc qui est copié-collé par pas mal de médias, qui ont envie de mettre des qualificatifs, donc qui disent « les parisiens dandys ». Peu de gens savent ce que c’est, alors que c’est une notion assez précise.

Arthur : Aujourd’hui dandy c’est une notion qui est dévoyée. La plupart des gens qui pensent au mot dandy pense juste à un type qui s’habille bien et qui fait attention à son apparence. Et sans doute qui se la pète. Or le dandysme en littérature c’est vraiment un courant du XIXe siècle, qui pour moi était très important, c’est riche, c’est dense, c’est précis. C’est pas de la sape, c’est théorique et ça peut être un manuel de vie à certains moments. C’est une attitude d’abord pleine d’humour et d’auto dérision, ça on l’oublie beaucoup. C’est d’abord pouvoir se moquer à ce point des autres et du sens de la vie, c’est un courant plein de vanités, qui relativise un peu tout, parce que vain, parce que tout ce qu’on fait ne sert à rien. Pour pouvoir se permettre cette cruauté vis-à-vis des autres, il faut être particulièrement cruel vis-à-vis de soi-même. Cette exigence vis-à-vis de soi, cette cruauté qui se transforme forcément en humour, ça nous parle assez je crois, on est tous très durs envers nous-même.

Clément : On ne se revendique pas du tout dandy !

Arthur : Alors que sapologue ouais ! (rires)

Clément : C’est comme si on disait « ils sont existentialistes ».

Arthur : C’est étrange que ça revienne comme ça, car c’est juste parce que j’ai un trois pièces complet noir avec moustache.

Sébastien : Bertrand Belin aussi on dit que c’est un dandy parce qu’il s’habille bien, c’est tout. C’est juste les habits en fait. Les gens l’associent à ça.

Antoine : Du coup c’est un peu énervant quand même…

Clément : … pour les gens, pas pour nous ! Alors que là on est assez normaux non ? J’crois ? Non ? Dis-le. (je confirme)

Sébastien : Non, on n’est pas normaux (sourire).

Ce qui nous dérange, ce n’est pas qu’on nous associe au dandysme, mais l’image que ça peut renvoyer aux gens.

Donc peut-être Arthur, c’est envisageable qu’un jour on te voit sur scène en marcel, short et tongs ?

Arthur : Peut-être…

Sébastien : J’espère pas !

Arthur : Je dis ça par esprit de provocation parce que ça me plaît beaucoup d’être solennel sur scène, j’adore ! Ce n’est pas pour faire le beau, c’est parce que la scène pour moi se joue avec tout un tas d’artifices. C’est important de souligner l’artifice de la scène, ce décalage avec le monde. C’est important pour moi d’arriver avec cette forme de sérieux, qui est aussi une forme d’humour, car on peut très bien dire c’est un dandy cynique et pince-sans-rire, mais on peut très bien dire aussi, c’est un hidalgo de pacotille qui ressemble à un toréador.

Vous vous êtes souvent déjà prêtés au jeu des reprises. Une chanson que vous adoreriez reprendre pour la rendre encore plus connue que l’originale ?

Clément : On avait repris Sale petit bonhomme, de Brassens, c’était marrant. On l’a bien transformée.

(ils discutent)

Sébastien : C’est un hasard, souvent les bonnes reprises qu’on a faites sont arrivées comme ça. On a fait une reprise de Je t’ai toujours aimée de Polyphonic Size, qu’on adore jouer maintenant…

Arthur : J’aimerais bien un jour, c’est pas sûr qu’on y arrive, faire une reprise d’un standard jazz, Strange fruit, en français. J’ai commencé la création du texte, mais peut-être qu’on n’y arrivera jamais. C’est une impro piano-voix…

Beaucoup d’artistes ne se satisfont pas d’une seule carrière. Hugo et Lamartine la politique, Bertrand Cantat la restauration, Johnny et Patrick l’actorat… Et vous qu’est-ce que ça serait ?

Clément : Moi j’ai vu Arthur dans un film il y a pas longtemps…

Arthur : T’as vu la scène ? Elle est bien ou pas ? On a un super pote qui a fait un court-métrage, Clément et Antoine ont fait de la musique dessus, et j’ai joué une scène.

Clément : Ouais elle est super cool. J’ai vu les talents d’Arthur pour la première fois…

Arthur : J’ai joué dans ce film, je ne suis pas comédien du tout et j’ai peur tu vois ! Je me demande si je vais avoir l’air d’un con ou pas. Mais ouais du cinéma, Luc Besson tout ça !

Antoine : Là tu ne parlais que de grands métiers, après la musique je ferai bien de la menuiserie, un truc simple comme ça…

Clément : Moi je serai bien élu, ou patron du monde… (rires)

Arthur : Pas Le Monde le journal…

Clément : Non, le monde entier, the world !

Arthur : Fais gaffe, on va t’accuser de franc-maçonnerie

On est chiants, on est des dandys.

J’avais d’autres questions un peu moins sérieuses, mais si vous devez y aller, je vous libère.

Clément : Si tu as des questions moins sérieuses, vas-y ! C’est bien, faut que…

Sébastien : …faut qu’on soit sympas quand même… (rires). On est chiants on est des dandys.

Chanson de douche préférée ?

Antoine : Heart Song de Mickael Jackson. (ils chantent)

Arthur : Moi ça dépend des moments. Tu connais « hey mambo, mambo italiano » de Dean Martin ? (il chante et danse).

Sébastien : Ouais ça c’est du sale.

Tu fais la choré aussi dessus ?

Arthur : Beh ouais, comme ça, tout nu !

Clément : Antoine il a « papapapapala »…

Antoine : Ça c’est pas dans la douche, c’est tout le temps.

Clément : Il le joue 24h/24h et il le joue sur tous les instruments du monde.

Arthur : Elle s’appelle comment cette chanson ?

Antoine : Pop-corn…

Clément : C’est de qui ?

Antoine : Euh…

Sébastien : Il ne sait même plus, il croit que c’est de lui ! (rires)

Meilleur catering ?

Tous : La Sirène !

Sébastien : C’était hier soir, du lourd !

Clément : Exquis !

Antoine : Sinon il y a le Bikini, qui est supposément le meilleur…

Sébastien : On ne va pas faire de guerre…

Antoine : J’ai kiffé le Bikini.

Clément : On peut parler du pire de France aussi. Je sais exactement où c’est mais je ne vais pas dire où c’est.

(censure/coupe de la rédaction)

Sébastien : Nous on veut revenir dans les salles !

Clément : On vit du spectacle !

Arthur : On a ton adresse, fais gaffe. Non mais La Sirène, les huîtres, salade d’épinards, tartare de saumon… J’ai envie d’y retourner, juste pour manger…

Chanson préférée du moment ? Assumée, moins assumée…

Antoine : J’écoute que des trucs bizarres, donc je ne peux pas dire…

Arthur : Celle que j’assume moins c’est Drake, Hotline Bling(il chante)… Mais ne l’écoute pas, car si tu l’écoutes ça te suce le cervelet.

Sébastien : Moi c’est des albums qui viennent de sortir. L’album de Rover, et Call My Name, je l’écoute tout le temps.

Clément : Helsinki de BabX, et Porte Z, on l’écoute beaucoup. Ça peut te donner des indices…

Rituel préféré avant de grimper sur scène ?

Tous : L’accolade.

Sébastien : On se tapote comme ça.

Arthur : On se tape sur le dos. On se retrouve tous les cinq, on se serre (ils me miment)

Une anecdote préférée sur votre vie en tournée ?

Clément : Y’a des trucs qu’on ne peut pas trop raconter.

Sébastien : De samedi soir ?

Arthur : Woh woh woh ! On va se calmer tout de suite.

Sébastien : Il y en a mais elles sont moins drôles… Des accidents… J’ai cassé une corde sur scène, c’était du lourd, mais ça arrive tout le temps ça !

Clément : Se vautrer sur scène, ça m’est arrivé l’autre jour.

Arthur : Au début de concert, il est tombé par terre (rires), glissade, hop, sur les fesses !

Clément : Il y avait une marche, je suis tombé, voilà. Sinon lorsque tu fais un saut sur scène quand tu as un énorme accord, et que tu te rends compte en faisant l’accord que tu n’as pas le son… À un moment Antoine joue, il avait pris la place de Séb, donc ils n’avaient pas les mêmes retours et il ne s’entendait pas vraiment… (ils parlent tous, et rient).

Arthur : En fait, il était à 3 mètres de là où il était d’habitude…

Clément : …il jouait et son jack était débranché, et moi je le voyais, donc je savais qu’il n’avait pas de son, et lui il jouait à fond…!

Sébastien : On n’a pas de supers anecdotes. Enfin si, mais on ne les dévoilera pas (sourire).

Clément : Des anecdotes de camions, un peu crades.

Phrase préférée qu’on vous a crié depuis le public ?

Clément : À poil !?

Sébastien : Wilson on t’aime ! (ils rient)

Arthur : C’est le nom d’Antoine.

Clément : « À poil » chez les Bretons on le dit pas mal.

Arthur : On a déjà eu « ta gueule » ?

Sébastien : Non, on a eu « connard » !

Arthur : J’ai eu « connard » déjà ?

Clément : Qu’est-ce qu’il disait Gorbatchev là ?

Gorbatchev ?

Sébastien : Il est sorti de sa tombe…

Arthur : C’était à Orthez, il y avait un ivrogne…

Clément : …un pilier de la salle, qui vient tout le temps que le proprio laisse venir. Et il l’appelait Gorbatchev parce qu’il avait une tâche de vin, il était complètement bourré, on ne comprenait pas trop ce qu’il disait, et il n’était pas très content.

Arthur : Il était hostile ! On a donc… discuté, c’était assez drôle.

Antoine : Il n’y a aucune réponse qu’elle peut utiliser ou exploiter là… (rires)

Sébastien : C’est clair !

Propos recueillis par Emma Shindo (merci à Pauline !)

NDLR : Quand tu dérushes une interview, tu te poses toujours cette question formelle : comment vas-tu la mettre en forme ? Pour ne pas vous mentir, j’ai beaucoup hésité à réécrire celle-ci, dans un souci de cohérence et de cohésion des propos. Pour un résultat plus pro’, plus limpide… mais plus fade. Et puis, tu en viens à repenser à cette interview, à cette discussion avec quatre mecs d’une sincère gentillesse. La retoucher serait finalement déformer leur identité, leur complicité, et cette spontanéité rhétorique qui est la leur. On a donc choisi de conserver cette fluidité et franchise de langage parlé, ces répliques qui fusent et se coupent constamment. De ce fait, c’est une interview fleuve, c’est un petit peu plus long à lire, mais on espère réellement que vous êtes allés jusqu’au bout. E.