Notre bande d'hédonistes s'était juré de revenir au Petit Pressigny en période de chasse, histoire de déguster une belle recette de gibier. Notre exilé breton est parmi nous et a emmené dans ses bagages un vigneron mythique du Muscadet : André-Michel Brégeon.
Qui lui-même a emmené dans ses bagages cinq bouteilles. Qui elles-mêmes... Non ça s'arrête là.
Xavier, le talentueux et joyeux sommelier du restaurant est fidèle au poste
Dans la première mise-en-bouche, il y a tout ce que l'on trouve dans un sandwich jambon-beurre, mais c'est le pain qui est découpé à la trancheuse à jambon. C'est bon, mais rien de renversant. Par contre, la tomate cerise farcie de pain, beurre et herbes est délicieuse et très parfumée, même si un peu hors saison.
Nous buvons avec celles-ci un Champagne Orizeaux Extra-Brut de Chartogne Taillet (base 2008). Ce 100 % Pinot noir est une petite merveille, alliant vinosité intense et grande fraîcheur, avec des bulles très fines mais toniques, et une aromatique plutôt évoluée, à l'image des vins du maître à penser du vigneron : Anselme Sélosse. Très très beau Champagne !
L'huitre sur une gelée de tomate et compote d'artichaut n'était pas prévu dans le menu: c'est un cadeau de Jacky Dallais pour accompagner les cinq Muscadets amenés par André-Michel Brégeon. La légère amertume de l'artichaut et le côté salin/acide de la tomate se mariaient très bien avec l'huître spéciale particulièrement iodée.
Sèvre et Maine 2015 : brut de cuve, avec une robe trouble mais déjà très plaisant à boire. C'est bien mûr, avec une belle fraîcheur. Prometteur.
Sèvre et Maine 2013 : plus frais et cristallin, avec une acidité bien intégrée, pas du tout agressive. Idéal avec les huîtres.
Gorges 2005 : nez évolué et complexe, avec une belle sensation de maturité. La bouche est ample, mûre, avec une belle tension et une sacrée intensité.
Gorges 2000 : nez qui fait presque penser à un Riesling avec ses notes d'hydrocarbure. La bouche est plus chablisienne, avec une minéralité bien présente, et une finale saline. Très beau vin.
Gorges 1995 : nez très complexe, faisant penser à un Bourgogne blanc du même âge. La bouche est aérienne, d'une fraîcheur cristalline, avec d'étonnantes saveur d'ananas frais. Finale interminable. Grand vin.
Une dernière mise en bouche : l'oeuf avec royale de foie gras et noisette, potimarron et pain brûlé. Elle se marie superbement avec le Gorges 2005.
Après ce long et agréable préliminaire, arrive enfin le premier plat du menu : Saint-Jacques crues, pomme verte, voile de navet et mouillettes au beurre d'algue. Ce n'est pas révolutionnaire, mais c'est d'une justesse totale, avec des contrastes de matières (craquant du navet, moelleux de la Saint-Jacques), de saveurs (fine amertume du navet, acidité de la pomme, sucrosité de la Saint-Jacques) et goûts (fruité, noiseté,iodé, salin...). Ca donne envie de le refaire chez soi. C'est avec le Gorges 2000 que l'accord est le plus enthousiasmant. À tomber !
Et voilà un plat légumier : carottes, champignons et persil. Les champignons, ce sont des chanterelles jaunes et grises. Là aussi, d'une grande simplicité, mais que de goûts, de textures et de saveurs ! Arrive pour l'accompagner un vin mystère : le nez est sur des notes de zeste d'agrume, de pomelo et de craie humide. La bouche est tendue, précise, tout en offrant de la rondeur et de la gourmandise. La finale est crayeuse à souhait. Nous partons plutôt pour Sancerre. Perdu, c'est un Chenin tourangeau :
Montlouis Clef de sol 2014 de Damien Delécheneau
Et voici le homard bleu de casier, haricots blancs, suc de tomate, jus iodé. La chair goûtue du crustacé est d'une tendre fermeté. Les cocos de Paimpol sont moelleux. Mais c'est la sauce d'une intensité incroyable qui m'épate. Elle déchire grave, comme dit aujourd'hui, très marquée les saveurs marines.
Le vin servi en aveugle déchire tout autant. Au nez beurré/citronné/noiseté, on est clairement sur un Chardonnay. Mais l'on se demande s'il vient du Chablisien ou de la Côte de Beaune. Car il n'a pas de rondeur superflue. Il est pur et cristallin, très eau de roche, avec une acidité traçante comme un rayon laser qui ne vous lâche plus jusqu'à la fin de la longue finale. J'avais déjà eu l'occasion de déguster les vins de ce producteur. Ce vin aurait dû m'y faire penser, car ils sont tous dans le même esprit : c'est un Meursault 2011 de Jean-Marc Roulot.
Et voilà le plat que nous attendions : le lièvre à la royale, macaroni "Zita" farcis de foie gras. Que dire, si n'est que c'est à se damner : c'est d'une concentration folle, hymne aux saveurs giboyeuses avec ces relents d'entrailles, de truffe, d'épices. Une bouchée est plus riche en arômes que ce vous mangez d'ordinaire en une journée. Mais il n'y a aucune lassitude. Au contraire : c'est diablement addictif.
La purée qui l'accompagne
Le vin qui l'accompagne fait au nez très "Médoc à maturité" : boîte à cigare, cèdre, cassis, graphite. En bouche, on retrouve la tension inflexible du Cabernet, enrobée d'une matière ronde et soyeuse, presque aérienne. L'absence de notes d'élevage nous fait penser que ça pourrait être un Clos Rougeard. C'en est un. Celui que nous avions déjà bu ici la dernière fois : Poyeux 1997. L'accord avec le lièvre était pas mal, mais je pense qu'une Syrah rhodanienne eût été plus appropriée.
Choix de chèvre régionaux (+ quelques intrus)
Pouligny, Sainte-Maure, Camembert.
A ce moment, j'ai regretté que l'on ait bu tous les blancs jusqu'à la dernière goutte...
A partir du dessert, Jacky Dallais nous tient compagnie (fô pas se fier à la photo : il ne faisait pas la g...)
Le dessert, si on avait été dans un resto branché, se serait intitulé tarte tartin revisitée & sorbet à la Granny Smith. Ici, c'est : pomme cuite, allumette caramélisée et sorbet pomme verte. Le sorbet fait un joli contrepoint frais et acidulée à la pomme chaude et carémalisée/beurrée. L'ensemble est gourmand et digeste, à l'image de tout le repas.
Comme il faisait encore soif, la maison a offert un Champagne Brut 2004 de Pierre Legras. Je ne suis pas spécialement fan de ce type de vin à la fin du repas, mais ses onze ans d'âge et son dosage font qu'il passe très bien. On y prend même du plaisir ! On est sur des notes de brioche toastée et de fruits secs, ce qui est finalement bienvenu.
Quelques friandises pour ceux qui ont encore faim...
La discussion s'est longuement prolongée puisque nous ne sommes partis que vers 19 h... Evidemment autour du vin, de la cuisine... et du vin avec la cuisine. Comme quoi, il n'y a pas que les femmes qui sont bavardes !... Et comme ça donne soif, de causer, une autre bouteille de champ' a été ouverte : les Vignes de Montgueux de Jacques Lassaigne. Moins dosé que le précédent, mais comme le repas était maintenant loin, il fallait plus voir comme le vin d'apéro du repas suivant ;-)
Finalement, il a bien fallu partir et se séparer, mais ça été un peu dur. Dieu merci, les souvenirs, eux, resteront.