Artiste protéiforme et méconnu, créateur de mondes oniriques où la qualité de la photographie dispute la palme aux scénarios captivants, Philip Ridley n’a pas eu la chance de connaître le retentissement qu’il mériterait dans l’Hexagone. A l’image de sa dernière œuvre, Heartless qui n’aurait pas connu le marché francophone sans le soutien du magazine Mad Movies, L’enfant-miroir, pourtant salué à Cannes en 1990, vient juste d’être édité chez Blaq Out et sortira le 7 décembre 2015. On y retrouve Viggo Mortensen dans l’un de ses tout premiers rôles. L’enfant-miroir restera surement, avec Martin de George A. Romero, l’un des films de vampires les plus insolites et captivants qu’il nous ait été donné de voir.
Dans les années 50, au milieu des champs de blé d’un patelin de l’Amérique rurale, Seth Dove, un enfant élevé par une mère humiliante (Sheila Moore) et un père lâche, s’imagine des histoires farfelues à propos des habitants du village.
L’enfant-miroir revêt tous les aspects du rêve. La photographie de Dick Pope est tout simplement une merveille. A perte de vue s’étale les champs de blé aux couleurs d’or dont la perspective d’infinité n’est brisé que par les vieilles masures délabrées qui semble littéralement les peupler. Dans ce décor à la fois banale et sublime surgit l’irréel et parfois l’horreur sans que le spectateur ne puisse en être averti d’une quelconque manière. C’est le règne de l’insolite et de l’étrangeté. Vu à travers les yeux d’un jeune enfant qui trompe l’ennuie de sa campagne avec ses amis, L’enfant-miroir est une ode à l’imagination fertile tout autant qu’un cauchemar éveillé. Pour le garçon, l’ésotérisme est une façon de donner du sens à un monde adulte sûrement plus fou que celui qu’il rêve et dont il peine à trouver du sens. Seth Dove (Jeremy Cooper) subit de plein fouet la perte de l’innocence consécutive à la sortie de l’enfance. Pour la préserver le plus longtemps possible, il n’a pas d’autre choix que de broder sur la réalité des actions héroïques et des rebondissements macabres pour faire l’apprentissage de l’absurde prégnance du sordide dans les mœurs des adultes. Très graphique, L’enfant-miroir est mis en scène avec des idées géniales qui permettent l’irruption abrupte de la violence dans un monde qui semble policé aux premier abords. Parmi ces trouvailles, échos de la cruauté enfantine, on y trouve un crapaud qui éclate, un père qui s’embrase ou le cadavre d’un nouveau né confondu avec un ange déchu.
A travers les délires du jeune Seth Doven, auxquels le réel n’a rien à envier, Philip Ridley donne à voir une Amérique pas si fantasmée que cela. Seth imagine que sa voisine, Dolphin Blue (Lindsay Duncan que l’on a vu dans Birdman) est une vampire. Ce n’est que par le biais déformé de ses propres interprétations fantasques qu’il en vient à cette conclusion. Elle n’est rien d’autre qu’une jeune veuve éplorée qui lui explique avec beaucoup de poésie et sans doute trop d’emphase comment elle se sent vieillie depuis la perte de l’être aimé. Alors que sévissent de vrais pervers, enlevant des enfants et les tuant, Seth faisant l’expérience précoce de la perte à son tour, tous les regards bien attentionnés se tournent vers son père Luke Dove (Duncan Fraser) que l’on a surpris, il y a fort longtemps, en train d’embrasser un garçon. Dans cette Amérique profonde, il n’est pas rare que l’on confonde homosexualité et pédophilie. Son frère, Cameron Dove (Viggo Mortensen), revenu du front du Pacifique, perd ses cheveux et ses dents se déchaussent. C’en est assez pour que Seth pense qu’il se fait vampiriser par la voisine. L’imagination du gosse lui permet d’échapper à une réalité bien plus triste et violente. On comprend aisément que Cameron a participé de prêt ou de loin aux attaques nucléaires sur le Japon et qu’il souffre de l’irradiation.
La magnifique édition de Blaq Out regroupe également un entretien avec le réalisateur et deux courts métrages. Ces deux films supplémentaires complètent tout à fait la vision de l’artiste sur la perte de l’innocence et le flou entre apparences et vérités. Visiting Mr. Beak, sauvé de l’oubli, perdu un temps, puis retrouvé chez son directeur de la photographie, est une fable onirique où tous les adultes vieillissant, avide d’une nouvelle jeunesse, débarassée de souvenirs encombrants, cherche à voler à un jeune enfant le bien précieux qu’il cache entre ses mains. Il s’agit d’un rire de nourrisson qu’il a réussi à capturer et qu’il veut offrir à Mr. Beak. The universe of Dermot Finn est un conte très charmant et totalement loufoque où s’immiscent à nouveau le fantastique. Il évoque l’incompréhension inévitable entre deux familles d’un milieu différent dont les enfants, l’un humain, l’autre oiseau, file finalement un parfait amour et décide de se moquer des préjugés.
Indispensable, pour les amateurs de cinéma qui aiment être surpris et sortir des sentiers battus, L’enfant-miroir est un objet filmique non identifié qui mérite à être connu et qui vous marquera indéniablement.
Boeringer Rémy
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