L'actrice sera la première grande vedette internationale, à une époque (1862-1923) où la publicité artistique et les séjours à l'étranger sont extrêmement rares ou novices en la matière. Sarah sait se créer un mythe. Elle sait comment vendre sa salade. Elle sait mentir au bon endroit pour que l'éclairage lui soit favorable.
Alors que par la passé, des hommes se travestissaient en femmes pour incarner les rôles féminins et jouer du théâtre sur scène, Sarah révolutionne en faisant le contraire. Elle sera entre autre Hamlet.
À une jeune débutante (qu'elle méprise) qui, elle, prétend ne pas comprendre pourquoi elle ne ressent pas le tract, Sarah lui répond "Vous verrez ma chérie, ça viendra avec le talent..."
Celle que l'on surnomme "la divine" ou "la reine parisienne" ou "l'impératrice du théâtre" aime le trouble. Et le sème.
Elle est venin.
Quand elle remet sa démission à la Comédie Française, ceux-ci veulent la poursuivre pour bris de contrat. Elle en profite pour faire une tournée en Amérique en 1880, et se faire oublier de l'Europe.
Bernhardt sera la première artiste de scène à faire 5 continents en tournée. (Et en bateau)
Sa tournée est un vif succès. Elle se promet d'y revenir. Elle a 36 ans, mais ceci ne l'empêche pas de jouer les jeunes premières. Elle se prétend belle, alors tout le monde la croit. Quand elle est sur scène, sa voix est extrêmement affectée quand elle récite ses textes et elle a les cordes vocales chambranlantes. C'est d'une nature presque érotique. Ça irrite le clergé, lourd au Québec. Mais ceci n'empêche pas Miss Bernhardt de se donner en spectacle en 1880, 1891, 1896, 1905, 1911 et 1922 à Montréal.
À Québec, une seule et unique fois. En décembre 1905.
La ville de Québec a un tout nouvel auditorium (aujourd'hui Le Capitole) et veut que Miss Bernhardt y fasse honneur de sa stature. Le clergé sermonne que l'actrice n'est pas de bonnes moeurs, de sa personne comme des sujets qu'elle traite, et recommande que les gens n'assistent pas à ses représentations. À Montréal, on ne suit pas les conseils de Monseigneur Paul Bruchési qui supplie les âmes pieuses familiales si attachées encore au droit et à la vertu d'être sur leurs gardes et de s'abstenir d'assister aux représentations de La Dame Aux Camélias, Angelo, Tyran de Padou et Adrienne Lecouvreur.
Ce sera salle comble les deux soirs à Montréal et même le premier soir à Québec, la critique adore.
Toutefois, le lendemain, ce sera la catastrophe. Mgr Bruchési est déçu de ses ouailles et en rajoute en disant :
"AH! comme il y a des esprits peu logiques et comme les convictions religieuses sont peu profondes dans certaines âmes!". Mgr Bégin s'en mêle et ordonne que personne ne se rende aux représentations.
Bernhardt se sent outrée par l'étouffant étau de l'église et fait remanier le texte d'Adrienne Lecouvreur pour le rendre anti-clérical.
Un groupe de manifestants, partisans d'Henri Bourassa protesteront au nom du respect de la doctrine catholique lors de de la seconde représentation à Québec, la représentation sera houleuse et Miss Bernhardt s'offusque davantage. Elle dira:
Bernhardt s'en souviendra, elle ne remettra plus jamais les pieds dans le poulailler.
Wilfrid Laurier et Henri Bourassa excuseront lâchement publiquement la réaction hostile des gens de Québec quand le reste du Canada et les États-Unis s'intéresseront à ce brouhaha.
Un comité de censure, qui évaluera le matériel avant qu'il ne soit joué sur la scène de l'auditorium et qui jugera si le contenu est approprié sera mis en place et sévira du 31 décembre 1905 au 10 janvier 1906.
Bruchési et Jésus, son ami ont gagné.
Les anglais s'étouffent de rire en soulignant au trait gras que Sarah leur a rappelé qu'ils n'ont rien de français.
La divine ferme la porte à la ville de Québec aujourd'hui, il y a 110 ans.
Le 12, surtitré en anglais.
La pièce traite de ce coup de fouet de 1905.