Lors de la dernière édition du Printemps des poètes, j’ai eu la chance de rencontrer au café L’Antre autre, autour du thème de « L’insurrection poétique », trois femmes assez singulière : Samira Negrouche, Joséphine Bacon (je vous en reparlerai !) et Laure Morali, objet de ce billet.
Entre la présence rayonnante de Joséphine Bacon et la sensibilité à fleur de peau de Laure Morali, sur fond de culture canadienne, le duo de ces deux grandes amies, était particulièrement émouvant. Laure Morali est née à Lyon et a passé son enfance en Bretagne, mais vit à Montréal depuis près de 15 ans. Fille de « pieds noirs », sa poésie est imprégnée de l’exil, des souvenirs des différentes patries traversées, d’instantanés imagés faisant souvent appel aux douceurs de la nature : eau, mer, feuilles mortes, soleil… Les quatre saisons sont mises à l’honneur et rythme le recueil, chacun des huit chapitres étant coloré par l’une d’elle et proposant une ambiance propre : chaleur des intérieurs, paysages enneigés, détails de paysage ou bribes de souvenirs. Le poème se résume parfois à trois ou quatre vers, parfois une ou deux pages. L’ensemble est suivi d’un entretien entre l’auteur et l’éditeur permettant de mettre en écho la vie et les écrits de Laure Morali, de mettre en lumière les spécificités de son écriture de Laure Morali.
Crépitements
au creux de la main
je ferme mes doigts
sur un fruit invisible
sa pelure d’air
son jus de désir
vidé jusqu’aux pépinslune à demi-pleine
La lecture de ces poèmes est surtout pour moi une découverte de la poésie contemporaine. Très ancrés dans les XXème et XXIème siècles par les objets décrits et les souvenirs ébauchés, ces vers me renvoient une certaine sérénité qui passe d’avantage par une compréhension intellectuelle, plus que musicale. Si les émotions de l’auteur transpirent à chaque page, elles passent d’avantage par ce qui est dit, par le sentiment du souvenir, par la sensation, l’odeur ou la saveur de ce qui est proposé et dont je connais personnellement et par ailleurs la consistance (le jus de l’orange sanguine, le café brûlant, les embruns,…) que par une force poétique qui serait d’avantage liée au rythme, ou à la surprise provoqué par l’assemblage ingénieux de mots inattendus. A vrai dire, je ne découvre rien que ce que je ne connais déjà, et qui est extérieur à moi. Je n’ouvre pas d’espaces intérieurs comme cela a pu être le cas à la lecture de Joséphine Bacon pour ne citer qu’elle. Cela dit, est-il bien nécessaire de comparer l’incomparable ? Les deux femmes se complètent mais ne transmettent pas le même message. Ces deux rencontres humaines ont été magnifiques.
Orange Sanguine – Laure Morali
La passe du vent, 2015, 115 p.
Première publication : Mémoire d’encrier, Montréal, 2014
Challenges concernés