Dans l’univers des jeux vidéo, la série The Political Machine fait office d’ovni vidéoludique. En fait, qui s’embarquerait volontairement dans une réplique du cirque politico-médiatique de la présidentielle américaine? Et pourtant, explique Derek Paxton, vice-président chez le développeur Stardock, la bataille pour la Maison-Blanche attire son lot de curieux.
«Stardock aime les jeux de stratégie. Brad (Wardell, le président) est un peu un accro de la politique. Peut-être pas autant qu’à l’époque, mais il continue de s’intéresser à tout. En 2004-2008, il a réalisé qu’au coeur de toutes les décisions prises par les candidats se trouvait un jeu de stratégie. Il y a donc deux facteurs qui ont contribué à la création de la série : d’abord, nous aimons les jeux de stratégie, et nous aimons pouvoir poser ces différents gestes et en constater les effets. Ensuite, il y a cette possibilité d’entrer dans des environnements où des jeux n’existent pas habituellement.»
Stardock a fait ses classes, mais avec The Political Machine 2016, il s’agira aussi de la quatrième mouture de cet étonnant simulateur de campagne électorale au pays de l’Oncle Sam.
Il est vrai que les jeux de stratégie se cantonnent habituellement aux sous-genres très connus que sont les jeux de stratégie en temps réel (Command and Conquer, Starcraft, Total Annihilation), ou encore les jeux au tour par tour – les fameux 4X, pour explore, expand, exploit et exterminate (explorer, prendre de l’expansion, exploiter les ressources et exterminer les adversaires). Stardock est d’ailleurs surtout connu pour avoir développé ou publié des jeux du genre, comme Galactic Civilizations, Sins of a Solar Empire, ou encore Ashes of the Singularity et Offworld Trading Company, ses deux plus récents titres encore en développement.
Stardock a fait ses classes, mais avec The Political Machine 2016, il s’agira aussi de la quatrième mouture de cet étonnant simulateur de campagne électorale au pays de l’Oncle Sam.
Sortir des sentiers battus
«Il n’y a pas beaucoup de jeux qui sortent le joueur du champ de bataille ou d’une carte de la galaxie pour le faire entrer dans un autre monde, celui du processus électoral, par exemple», mentionne M. Paxton.
The Political Machine 2016 donne l’occasion au joueur de choisir un parti (démocrate ou républicain) et un candidat pour tenter de remporter la présidentielle qui aura lieu l’an prochain chez nos voisins du Sud. Au cours d’une campagne d’au moins 21 semaines, il s’agira de parcourir les États-Unis pour séduire l’électorat en prononçant des discours, en lançant des campagnes publicitaires, mais aussi en amassant de l’argent et en embauchant des spécialistes pour obtenir des appuis politiques ou lancer de la boue à votre adversaire. L’un des grands changements apportés dans cette mouture 2016, à l’exception d’une nouvelle fournée de candidats (oui, il est possible de jouer Donald Trump), consiste en l’ajout d’événements aléatoires.
«Ceux-ci seront inclus dans notre mise à jour prévue d’ici deux semaines. Ces événements vont survenir pendant le processus électoral, et tous les candidats devront y répondre. Ces mêmes événements pourront brouiller les cartes en influençant l’opinion de la population. Nous croyons que c’est véritablement quelque chose que les vrais candidats doivent gérer, surtout alors que les médias sont partout, aujourd’hui. Vous pourriez faire pression sur les sujets qui vous tiennent à coeur, puis quelque chose d’important se passe et vous devez réagir. L’un des sujets qui feront inévitablement son apparition est la question du port des armes à feu : vous pourriez défendre le deuxième amendement, puis une fusillade survient et vous devez tenir compte du changement de l’opinion publique», indique Derek Paxton.
Reality show
Déjà, le jeu force les candidats à la présidentielle à s’adapter aux enjeux de chaque État. Il est facile d’affirmer que l’on est en faveur de la réduction du chômage, par exemple. Mais s’afficher pro-mariage gai ou défendre l’environnement fera perdre des points chez les électeurs républicains, tout comme vanter une armée forte coûtera des appuis démocrates. Des sujets plus «progressistes» fonctionneront aussi davantage dans des États qui le sont tout autant. Lors d’une partie sous les traits de Bernie Sanders, il est rapidement devenu évident que le Texas et les États du Midwest étaient vendus aux républicains. La Maison-Blanche a été gagnée grâce à la côte Ouest, aux États progressistes de la Nouvelle-Angleterre et à la Floride. Comme dans la vraie vie, donc.
«Bien entendu, nous offrons la possibilité de “mélanger” les enjeux et les événements liés à la campagne électorale, mais nous avons constaté que les joueurs ont bel et bien envie de s’attaquer aux vrais enjeux et parcourir le pays à l’image des vrais candidats.»
«Lorsque nous avons commencé à discuter de l’intégration des événements, nous pensions tout d’abord en faire quelque chose de très spécial, d’étrange, avec des atterrissages d’extraterrestres… Mais nous avons décidé qu’il y a de véritables événements et tragédies qui se produisent. Ce que j’aime le plus, à propos de The Political Machine, c’est de revenir à d’anciennes versions et de rejouer les campagnes de 2008, ou même encore de 2012. On se sent vraiment comme si on est à cette époque. Toutes les entrevues du jeu portent sur la crise financière. Pour moi, quand j’y joue, j’en éprouve de la nostalgie. J’ai même eu droit à des questions sur la controverse de Chick-Fil-A (la chaîne de restauration rapide ayant pris position contre les mariages homosexuels); j’avais complètement oublié ça! Il est donc important que nous fassions la même chose pour la version 2016.»
En fait, M. Paxton souligne que le jeu sera mis à jour au fur et à mesure que s’approchera la date de l’élection présidentielle de novembre 2016. «Nous ne savons pas, pour l’instant, quels seront les sujets qui changeront le cours de la course et qui personnaliseront cette élection.»
Mises en demeure
Aucun candidat n’a en fait été approché pour que son apparence soit reproduite dans le jeu. «Notre intention n’était pas de tourner les candidats en ridicule», précise M. Paxton
A-t-il été difficile d’obtenir la permission du «Donald», ou encore d’Hillary Clinton pour les représenter dans le jeu?
«Bon, là, Hugo, tu essaies de faire en sorte qu’on me poursuive!», lance Derek Paxton, avant d’éclater de rire. Aucun candidat n’a en fait été approché pour que son apparence soit reproduite dans le jeu. «Notre intention n’était pas de tourner les candidats en ridicule», précise le vice-président de Stardock. Tous les personnages disposent de plus ou moins de points de charisme, d’influence sur les médias ou les grands donateurs, etc. Il est même possible de créer son propre candidat à la présidence.
«C’est une satire… nous n’avons jamais reçu de plaintes, ce qui signifie que les candidats sont d’accord avec ce que nous faisons. Du moment qu’ils ont entendu parler de nous, bien sûr.»
«Et nous travaillons vraiment fort pour qu’il n’y ait aucun biais négatif envers les candidats, et ce peu importe les opinions politiques des gens qui travaillent sur le projet. Nous avons même constaté, en fait, que les développeurs plus démocrates étaient plus sévères envers les démocrates, tout comme les républicains faisaient de même pour les gens du parti qu’ils soutiennent. Il a tout de même fallu être raisonnables. Aucun personnage du jeu n’a une intelligence d’un seul point, par exemple.»
À l’instar de Democracy 3, possiblement le seul autre simulateur politique mainstream, The Political Machine 2016 a aussi une mission éducative. Des copies seront ainsi distribuées dans des écoles américaines pour que les élèves puissent apprendre les rudiments du système électoral de nos voisins du Sud, un système d’ailleurs passablement complexe.
Regarder vers l’avenir
Outre The Political Machine 2016, qui est déjà disponible sur Steam en version bêta, Stardock continue de travailler sur ses jeux plus traditionnels.
Le troisième opus de Galactic Civilizations a été mis à jour à la version 1.4, «après avoir d’abord passé plus d’un an en version test». Quant à Ashes of Singularity, un jeu de stratégie en temps réel (RTS) dans le sens plus classique du terme, le titre recueille déjà bon nombre de commentaires positifs depuis son apparition en Early Access sur Steam, en octobre. Idem pour Offworld Trading Company, un simulateur économique se déroulant sur une autre planète.
«Bien avant l’apparition de la tendance du early access, Stardock travaillait déjà avec les joueurs pour obtenir de la rétroaction et des commentaires dans le but d’améliorer nos jeux», précise Derek Paxton, avant d’ajouter, comme cela est aussi indiqué sur Steam, que les jeux présentés par le studio sont déjà entièrement financés. Histoire, certainement, de prendre ses distances avec les développeurs s’appuyant sur cette phase de test – parfois de manière un peu douteuse – pour obtenir les dollars manquants à la réalisation du jeu. Pas question de lancer de l’argent dans le vide en espérant de bons résultats, à la manière d’une campagne de sociofinancement.
Le studio semble bien en selle. À quand une version canadienne de la Political Machine? «Pourquoi pas, un jour?», répond Derek Paxton. Après tout, 25% des ventes du jeu sont effectuées à l’extérieur des États-Unis…