Cet entretien est extrait des Enquêtes du contribuable #13, octobre/ novembre 2015. Numéro épuisé. Disponible en téléchargement gratuit sur notre boutique en ligne. Bruno Riondel nous a accordé cet entretien au courant de l’été. Nous le diffusons ici dans son intégralité.
➜ Dans quel contexte avez-vous rédigé cet essai ?
Ce qui m’a conduit à écrire cet ouvrage, c’est une colère. Son origine est à trouver dans l’évolution du comportement des élèves dans les classes en 2011, lors des printemps arabes. On aurait pu penser que cela pousserait les élèves à davantage s’intéresser à la démocratie, à la République, aux libertés. Or, c’est bien l’inverse qui s’est produit. Les jeunes musulmans ont été galvanisés par la montée en puissance des partis politiques islamiques en Tunisie ou en Égypte, et cela correspond à une tendance générale en France. Il faut se souvenir que les Français d’origine tunisienne qui votaient pour les élections à la chute de Ben Ali ont porté leur voix, pour 40% d’entre eux, sur Ennahdha ! Ce chiffre est inquiétant pour des gens qui vivent depuis plusieurs années dans notre République française.
➜ Cet intérêt pour l’influence de l’islam dans les collèges et lycées français est-il vôtre depuis toujours?
J’ai voulu croire, au début de ma carrière que cette religion pouvait s’intégrer dans notre système politique et éducatif. C’était la pensée de l’époque ! Mais les réalités ressortent. A la rigueur, si la communauté musulmane était restreinte en nombre, le problème ne se poserait pas. Mais elle devient de plus en plus importante ! Du coup, les musulmans ne cherchent plus à s’intégrer. Nombreux sont ceux qui réclament le port du voile et, pour les plus jeunes, qui revendiquent la culture de leurs parents. On ne peut pas se mentir face à cette situation.
➜ Comment se comportaient ces élèves musulmans quand vous avez commencé à enseigner ?
Disons-le clairement : les jeunes étaient impeccables. Ils cherchaient à s’intégrer. De même pour leurs parents ! En réunion de parents d’élèves, ils nous soutenaient et n’hésitaient pas à nous dire « s’il le faut, engueulez mon fils ! ». La première génération avait connu la colonisation et était parfaitement intégrée.
➜ Selon vous, à partir de quel moment la situation a commencé à basculer ?
La première fois où j’ai été choqué, c’était au milieu des années 1990. Pendant un cours, j’ai entendu des propos très choquants sur la Shoah, du type « Hitler a pas fini le boulot ». Après le 11 septembre 2001, ce genre de phrases est devenu de plus en plus fréquentes ; on assiste presque à une banalisation de ce discours.
➜ Peut-on assurer un cours d’Histoire dans de telles conditions ?
Il faut continuer à enseigner les choses comme on le fait. Ce peut être l’occasion de débats. Mais il faut être réaliste. On (les professeurs) a aujourd’hui des concurrents, notamment internet. Les jeunes croient plus facilement ce qui est écrit sur la toile que ce qu’on leur enseigne. Les théories complotistes, qui ont pullulé après le 11 septembre, ont accentué ce phénomène. Dans certaines mosquées, également, il y a un contre-enseignement. Des imams peuvent être très militants avec une relecture complète de l’Histoire. L’idée, dans le fond, c’est de maîtriser l’Histoire pour maîtriser la vérité. Et un professeur ne peut faire le poids face à l’imam, en termes de légitimité.
➜ Comment évoquer du coup ces thèmes, qui sont d’actualité, avec eux ?
J’attends que les élèves me parlent des sujets liés au complotisme. En cours d’éducation civique, par exemple, le premier sujet dont ils veulent parler n’est plus la drogue, la presse ou la politique… Ce sont les Illuminatis ! Beaucoup imaginent qu’il y a un grand complot. Ils ressortent tout ce qu’ils ont lu sur internet. Mais ces sujets sont directement liés à l’islamisme ! Ils sont repris par certains intégristes. Je cite dans le livre le cheik Imran Hosein. Dans ses vidéos, il évoque clairement le complot américano-sioniste. Pourtant, cet homme est un érudit et auteur de plusieurs best-sellers !
➜ Avez-vous eu affaire à des jeunes qui faisaient ce geste de la « quenelle » inspiré de l’humouriste Dieudonné ?
A une époque, beaucoup de jeunes faisaient la fameuse « quenelle ». Dans un établissement, ils ont même été expulsés pour ce geste ! Pourtant, pour des faits autrement plus graves, ils ne subissent pas les mêmes sanctions. Du coup, on les conforte dans leurs obsessions complotistes.
➜ Vous disiez que les parents, auparavant, vous soutenaient. Et aujourd’hui ?
La plupart des parents ne s’impliquent pas. Aujourd’hui, la tendance est à soutenir l’élève. Même si on ne les voit pas toujours ! Ils victimisent souvent leurs enfants, là où trente ans auparavant, ils étaient beaucoup plus sévères. Quand aux fédérations de parents d’élèves, elles privilégient le développement personnel de l’élève. C’est leur philosophie.
➜ Comment les manuels scolaires traitent-ils de l’islam ?
Il y a trente ans, on ne parlait pas de l’islam dans les manuels scolaires ou très peu. Et puis ces questions ne faisaient pas l’actualité et n’apparaissaient pas comme une menace. Aujourd’hui, non plus, mais le sujet est sur la table, d’une curieuse manière. « Il ne faut pas voir l’islam dans les faits mais dans la manière dont il est ressenti par ses pratiquants ». Cette phrase est celle des pédagogues de l’Éducation nationale ! Cela traduit bien une gêne, un aveu de faiblesse. Autre exemple de précaution abusive : les manuels citent souvent Al-Andalous [les territoires de la péninsule ibérique sous domination musulmane de 711 à 1492, NDLR] comme une merveille de vie en communauté , ce qui est historiquement faux ! Encore une fois, le but est généreux : ne pas accabler les élèves immigrés. Mais ce bon sentiment n’est, définitivement, pas la meilleure idée.
« Il y a des choses qu’il ne faut pas voir. Quand un professeur est le seul à remarquer un problème, il peut se retrouver isolé. »
➜ L’islam à l’école, est-ce un sujet qui revient souvent en salle des professeurs ?
Il y a des choses qu’il ne faut pas voir. Quand un professeur est le seul à remarquer un problème, il peut se retrouver isolé. Pour plusieurs raisons : ses collègues ne sont pas concernés par le problème dans leur matière, ou ils ne veulent pas voir. Parfois, dans ce cas-là, c’est par idéologie.
➜ On dit souvent que le corps professoral penche nettement à gauche…
Les professeurs sont moins à gauche aujourd’hui. Le milieu professoral de gauche, à mon avis, est sur le déclin. Cela dit, l’islam est un sujet que personne ne veut aborder. Les gens l’évitent. Sauf une fois, où un de mes collègues, m’a dit ceci à propos d’un livre que je lisais sur le sujet : « Ah, tu regardes à quelle sauce on va être mangés ! » Nous n’en avons plus jamais reparlé. Dans l’autre sens, a eu lieu, il y a quelque mois, une situation étrange. Suite aux événements de janvier, le Sénat avait diligenté une mission d’enquête dans les banlieues. Certains établissements l’ont refusée ! Par idéologie évidemment, car pour le corps enseignant il s’agissait là d’une tentative de stigmatisation des jeunes musulmans. Certains ont encore une vision qui est celle qu’on pouvait avoir dans les années 1970. Il n’y a aucune remise en question de leur part. Pourtant, il ne faut pas avoir peur d’être moins généreux et plus ferme aujourd’hui. Après, il sera trop tard.
« Les élèves sont beaucoup plus désinhibés qu’autrefois et, aussi, moins travailleurs. »
➜ Quel regard portez-vous sur l’évolution du comportement des élèves, en général, dans vos classes ?
Les élèves sont beaucoup plus désinhibés qu’autrefois et, aussi, moins travailleurs. Parfois, la salle de classe ressemble à une garderie. En seconde, sur une classe de trente, on se demande bien ce qu’on va faire d’une dizaine d’entre eux ! L’idée est toujours la même, conduire l’élève jusqu’au bac. Le lycée est de plus en plus un endroit dont le système éducatif veut faire un lieu de sociabilisation, d’épanouissement créatif. Ce sont de belles et généreuses idées que je peux partager. Le problème est que, dans les faits, cela ne suscite pas le sens de l’effort. Cette idéologie est un peu naïve et peut développer des effets pervers.
➜ Vous parlez également dans votre livre du rôle des Américains qui miseraient sur les jeunes élites musulmanes.
Les Américains jouent clairement un jeu de recomposition de la Méditerranée, de l’Europe et de son affaiblissement. La perspective d’un grand bloc euro-américain est claire dans le fameux rapport Rivkin [Charles Rivkin fut ambassadeur des États-Unis en France de 2009 à 2013, NDLR]. On le voit avec les Young Leaders, la French american fondation. Attention, je ne crois pas au complot. Il s’agit simplement d’être lucide sur une géopolitique pragmatique américaine, quoique teintée de naïveté avec cette volonté d’installer partout une démocratie de marché.
➜ Partagez-vous la vision de Houellebecq, telle que décrite dans son roman « Soumission » ?
Oui, il voit bien les choses. Effectivement, les gens sont trop bien installés dans un confort matériel et intellectuel. Ils se laissent porter par les événements et le futur n’est pas leur problème. Nous avons perdu le sens de l’Histoire. Les islamistes les feront plier par la peur, tout simplement. Les politiques sont responsables de cette situation. En 40 ans, c’est insensé de penser qu’on a laissé une telle situation, dramatique, s’installer. L’actualité montre qu’on est au devant de choses beaucoup plus terribles que ce qu’on a pu voir cette année. Pourtant, au regard de l’Histoire, on aurait pu s’en douter ! Alors derrière, est-ce de la naïveté ou une volonté de mélange des peuples ? Sans doute un peu des deux.
➜ Pourquoi l’islam est-elle une religion si problématique ?
Le problème de l’islam est qu’il est un système total ou, plus précisément, une théocratie. Depuis 2011, je lis beaucoup de choses sur le sujet. Quand vous avez une communauté qui représente aujourd’hui entre 8 et 10 millions de personnes et qui pourrait atteindre 25 millions d’ici 2050, il faut s’en inquiéter. Cela va entraîner l’érection de nombreuses mosquées et la construction d’écoles coraniques puis, par la suite, ils essaieront de peser sur les programmes scolaires. En face, le pouvoir cède facilement et rien ne montre que les choses vont changer.
➜ Que préconisez-vous pour sortir de cette situation ?
Pour moi, il n’y a pas de solution. Il faut poser le débat suivant : quel est le fond de l’islam ? Evidemment, c’est sulfureux. Mais il est impératif de se demander si Mahomet correspond à nos idéaux et ne choque pas nos conceptions. C’est la seule condition pour en sortir.
Propos recueillis par Nicolas Julhiet
«Considérations inconvenantes sur l’école, l’islam et l’Histoire en France à l’heure de la mondialisation» de Bruno Riondel, Éditions de L’Artilleur. 432 pages – 22 €.
«École : nos enfants en péril», Les Enquêtes du contribuable d’octobre/novembre 2015. En téléchargement gratuit sur notre boutique en ligne.