(De notre envoyé spécial.) Salonique, 30 novembre. (arrivée le 2 décembre.)
La campagne d’Orient va-t-elle brusquement changer de face ? La nouvelle que nous avons eue hier que les Allemands marchaient vers la Bulgarie n’était pas fausse. Ce matin, l’état-major d’Orient a reçu cette dépêche : « Les Austro-Allemands changeant de direction se dirigent en toute hâte vers la Bulgarie. » En 1914, les Allemands descendaient directement sur Paris. Sans que l’on sût d’abord pourquoi, on les a vus obliquer ; leur plan avait été subitement changé. Ici, sans aucun doute, les Austro-Allemands descendaient aussi sur nous. Depuis trois jours leur trace était perdue et voici que tout à l’heure une dépêche pleine d’inconnus nous la révèle. Quel est le motif de ce renversement soudain ? C’est là où, pour l’instant, nous sommes encore dans l’obscurité. Est-ce une raison intérieure bulgare ? une raison intérieure turque ? une raison bulgaro-turque ? Est-ce pour répondre à un débarquement russe ? Est-ce – mais cela est plus lointain – pour aller aider nos ennemis de Gallipoli à nous jeter à la mer ? Toute l’attention des puissances doit se porter ici. Quand les Bulgares auront pris Monastir – il semble de plus en plus qu’ils veulent le prendre et que de plus en plus les Allemands le leur défendent, – enfin, quand ils auront pris Monastir, ils essaieront d’arrêter là leur guerre. Ce n’est certainement pas eux qui viendront exciter les armées alliées au combat. Est-ce bien ce que l’Allemagne attendait d’eux ? Et puis, que feront-ils des divisions turques, des huit divisions turques, qui sont sur leur territoire, en Thrace, à Soufflis, à Varna ? Ils n’en auront plus besoin. Vont-ils leur dire de s’en aller, et s’ils le leur disent s’en iront-elles ? Sans aucun doute quelque chose de nouveau se passe. Une lueur d’espoir est sur notre armée ; elle était aussi, ce matin, dans les yeux du général Sarrail. Si nous voulons en profiter, regardons vite notre situation sur le Vardar. Nous ne cessons d’être dans de grandes difficultés. Nous pouvons tout dire sans crainte de rien apprendre à l’ennemi, tout se sait à Salonique, et le consul allemand, l’autrichien, le turc et le bulgare sont à Salonique avec des crayons et des oreilles. Nous sommes venus ici pour donner la main à la Serbie, notre but ne peut plus réussir puisque la Serbie n’a plus de main. Alors nos ennemis ne seraient-ils pas vulnérables sur un autre point que celui-ci où nous sommes cramponnés ? Si des difficultés surgissaient soudain pour eux, peut-être pourrions-nous en profiter.
Le Petit Journal, 3 décembre 1915.