Le réalisateur belge Frédéric Sojcher, directeur du master professionnel en scénario, réalisation et production de l'université Paris-Panthéon-Sorbonne, m'envoit un courriel cette semaine pour m'annoncer qu'il a commis un nouveau film " Je viens de commettre un nouveau film ". Pourquoi le mot " commettre " ?
On " commet " un film comme on " commet " un crime. Il y a une forme de hold-up. Toujours. Hold-up avec les producteurs et les chaînes de télé : comment les entraîner dans un univers singulier, là où ils, où elles n'iraient pas, naturellement. Hold-up avec les acteurs : comment leur faire révéler quelque chose d'eux qu'ils ignorent. Patrice Chéreau, que j'avais invité à un de mes cours, prenait la parabole de la montagne. " Tous les acteurs ", disait-il, " sont capables de gravir une montagne. Mon travail de metteur en scène et de leur faire trouver un chemin qu'ils ne prendraient pas, sans moi. "
Tu te mets en scène, tu filmes ta fille, ton père, tes acteurs pour parler du métier d'acteur et surtout pour aborder la thématique de la transmission.
Je pense qu'en partant de soi, on peut parler à tout le monde. La question est : comment se dépasser, si possible de manière ludique. Les acteurs interprètent un personnage et en même temps donnent une part d'eux-mêmes, sans doute la part la plus intime : l'émotion. J'ai appris tardivement que mon père rêvait d'être acteur. Il est devenu philosophe. Etre acteur, c'est oser se mettre en représentation. C'est vaincre sa timidité. C'est vivre une expérience collective. C'est avoir un rapport au monde et à la langue. Quand ma fille m'a dit dès l'âge de 7 ans qu'elle voulait suivre des cours de théâtre... je me suis tout de suite demandé où était la part de transmission.
A un moment donné, tu te poses la question de savoir si ton film est un film de cinéma, un film de famille, un documentaire. Tu t'en fous. Mais on sent que c'était important d'aborder ce thème avec ta famille. On sent que tu avais besoin de ça pour te livrer.
Honnêtement, j'ai joué à l'apprenti sorcier. Quand on fait un film, on se met en état de fragilité. Comment vont réagir les critiques ? Le public viendra-t-il ? Si en plus le film met en scène sa propre famille, cela devient carrément explosif. Je ne sais pas si je recommencerai. Mais je sais qu'après avoir fait ce film, je conçois le cinéma différemment. C'était donc une étape importante.
Il ne faut cependant pas oublier le pari du film : comment faire parler des acteurs sur leur métier, sur leur passion... à une enfant de dix ans.
Patrick Chesnais, Michael Lonsdale, Denis Podalydès, Jacques Weber... ont accepté de relever ce défi.
Le film est un mélange entre film de famille et film sur les acteurs.
J'espère surtout qu'il est drôle !
Perso, je trouve qu'il y a une odeur " magrittienne " dans le film de Frédéric Sojcher. Ce film de famille est un parcours initiatique dans le monde du théâtre et du cinéma. Il apporte des rencontres impressionnantes et intimes sous le regard des yeux de Natasjia Sojcher qui tente de comprendre son avenir de comédienne.
La première question que tu poses à ta fille Nastajia est (je trouve) très intelligente : " tu veux être actrice ou star ? ".
Mais est-ce le même métier ?
" Nous sommes tous acteurs ", dit Sacha Guitry, " sauf quelques comédiens ".
Nous jouons tous un jeu, parfois sans nous en rendre compte. J'aime les personnes qui en ont conscience. J'apprécie moins ceux qui par vanité se prennent à leur jeu social. Se confondent avec leur fonction. Récemment, dans une réunion à la Sorbonne, j'ai dit à un de mes collègues : " C'est curieux comme tu fais bien le Professeur. " Il pérorait, s'écoutait parler, et il n'a pas compris ma dérision.
Etre star, c'est autre chose. Etre star, cela demande un charisme particulier. C'est ce dont parle Micheline Presle, dans le film.
On a vraiment l'impression qu'aujourd'hui, les gamins veulent devenir star. Est-ce dramatique ?
Rien n'est dramatique, si il y a du plaisir et si on ne se prend pas au sérieux.
A partir du moment où l'on est malheureux parce que l'on n'est pas connu ou reconnu, le problème commence.
Les acteurs qui témoignent dans ton film sont-ils des acteurs ou des stars ?
Ce sont de grands acteurs de théâtre, qui jouent aussi au cinéma. Ils ont tous ce point commun. Ils sont des stars au théâtre. Parmi les plus grands comédiens français.
Orson Welles interrogé par des étudiants en cinéma sur ce qu'il convenait de faire leur a répondu : " Allez au théâtre ".
Micheline Presle dans le film fait exception. Même si elle a aussi fait du théâtre, sa carrière a commencé dans le cinéma et elle fut l'une des plus grandes stars françaises, appelée par Hollywood après avoir joué dans " Le Diable au corps " avec Gérard Philipe. Elle a aujourd'hui 93 ans, et elle est devenue comme ma grand-mère de cinéma... la transmission, encore.
Tu dis aussi que la technique n'est pas le problème, tu cherches à être au cœur des émotions.
L'émotion fait un film ? Je pensais que c'était le scénario ! ;)
La mise en scène et le jeu de l'acteur font autant partie pour moi du récit que le scénario. L'histoire passe par des interprètes et par une manière de filmer, par une scénographie. Mais la technique doit être au service d'un propos et d'une émotion, pas l'inverse.
Ce qui est formidable aujourd'hui, et nous sommes bien placés pour le savoir toi et moi, c'est que la technique (de prise de vues, de montage...) est devenue beaucoup plus accessible.
Une nouvelle " Nouvelle Vague " est possible. Une nouvelle manière de filmer et de raconter des histoires.
Cela dit, ce n'est pas parce qu'on a en main un appareil photo ou un téléphone qui filme, que l'on devient pour autant cinéaste.
Ce n'est pas parce que l'on sait lire et écrire que l'on est écrivain.
L'écriture est une forme et un contenu, une mise en perspective. Il faut que l'on sente derrière la caméra celui qui filme. La captation ne suffit pas.
Maintenant que tu as reçu tant de conseils de la part de Patrick Chesnais, Michael Lonsdale, François Morel, Denis Podalydès, Micheline Presle, Philippe Torreton, Jacques Weber... est-ce que tu ferais ton film de la même manière ? Et que penses-tu de ton jeu d'acteur ?
Je pense que je suis le seul mauvais acteur du film. Mais que cela était important pour le film, d'avoir un " mauvais " acteur.
J'ai fait exprès de sur-jouer dans certaines scènes (je pense en particulier quand j'évoque Cassavetes). Ainsi, l'on voit la différence entre un " bon " acteur (ma fille, Nastsajia) et moi (son père); ainsi on se demande ce qui appartient au domaine de la fiction et au documentaire.
Le bon acteur joue sans que cela se voit. Tout en intériorité.
Je veux être actrice sort le 20 janvier 2016 en France et le 25 en Belgique. Amoureux du cinéma, acteurs en herbe ou futurs stars, vous savez ce qu'il vous reste à faire en ce début 2026!
En attendant, je vous invite à (re)voir ma première entrevue avec celui qui préfacera avec beaucoup de talent et d'amitié mon premier livre, L'Abécédaire du Norfolk, paru aux Editions Lamiroy en juin 2014.