Dans la foulée de notre article de ce matin sur l'immense Ian Mc Evan on continue à vanter les mérites de la grande littérature étrangère, avec trois romanciers étonnants qui viennent de sortir un roman en poche, pour des livres assez éblouissants, et tournés tous trois à des degrès certes divers sur l'enfance et la nostalgie :
1.La mort d’un père ; Karl Ove Knausgaard ( Folio)
« La question du bonheur est banale mais celle qui s’en suit, celle du sens, ne l’est pas. Les larmes me montent aux yeux quand je regarde un beau tableau mais pas quand je regarde mes enfants. Ça ne signifie pas que je ne les aime pas car je les aime de tout mon cœur, ça veut seulement dire que le sens qu’ils donnent ne peut remplir une vie. En tout cas pas la mienne. »
Né en 1968 à Oslo, Karl Ove Knausgaard a étudié l’art et la littérature à l’université de Bergen. Ecrivain, reconnu en Norvège et en Suède où il habite désormais, en 2009, il se lance dans la grande aventure autobiographique. « La mort d’un père », premier des trois tomes de cette entreprise titanesque de plus de 1500 pages, raconte une enfance et une adolescence dans une petite ville de province, une famille de la classe moyenne, une mère infirmière, un père professeur, un couple sans animosité mais sans tendresse. L’écrivain s’écrit en train d’écrire et se souvient de la sordide fin de vie de son père en 1998.
Il ne se passe rien et il se passe tout, toute une adolescence, toute une vie banale écrite simplement. Mais ce n’est pas de la littérature minimaliste, non, c’est de la littérature cérébrale et organique, car nous ne quitterons jamais le « Je » de Knausgaard. Avec lui, dans son cerveau, par ses yeux, et par son cœur nous regardons sa vie et nous ne sommes pas en si mauvaise compagnie. Voyeurisme ? Non, tout simplement reconnaissance ; car l’écrivain met des motssur notre vie. Une vie universellement humaine, un ado norvégien souffre du même mal qu’un ado californien et un père de famille sera toujours débordé, qu’il vive à Détroit ou à Montpellier.
Cru et violent dans sa manière de décortiquer le quotidien, la lecture est parfois inconfortable mais terriblement addictive. Knausgaard a été complètement dépassé par le succès, le roman s’est vendu dans le monde entier alors qu’il ne pensait pas vendre plus de 1000 exemplaires dans son pays (500 000 exemplaire dans un pays qui compte 5 millions d’habitants). « La mort d’un père » a déclenché un tsunami dans sa vie privée, des membres de sa famille ont qualifié le livre de : « Littérature de Judas ». Karl Ove reconnait qu’il a créé un monstre qu’il ne contrôle plus. Impossible de ne pas faire le parallèle avec Proust pour qui la littérature et la vie se sont soudées pour ne faire plus qu’un. Etes-vous prêt à lire le rapport de l’autopsie d’une vie ?
Michel D
2. Joyce Maynard une jeunesse américaine
Mais ma mère (amoureuse de la langue française, apprise dans les livres et non par les voyages) avait une amie - une Américaine de son âge qui nous semblait, à ma soeur et moi, follement glamour et exotique.
Marion vivait à Paris. Célibataire endurcie, sans enfant (elle avait des amants, pas d'époux), elle habitait dans un minuscule studio où, d'après ce que nous avions pu comprendre, son régime alimentaire se composait pour l'essentiel de croissants, de café et de vin. Ma mère et elle étaient intimement liées depuis l'université
On connait certainement autant, sinon plus, Joyce Maynard, une des grandes romancières américaines d'aujourd'hui, pour son histoire d'amour avec J.D Salinger lorsqu'elle avait 19 ans (épisode rappellé dans le moyen Oona et Salinger de Beigbeder) que pour son oeuvre littéraire, pourtant de fort belle tenue,.
Cette histoire d'amour fait le sel de ce roman Une adolescence américaine, publié récemment en poche chez 10-18 mais écrit en 1973. Dans cette autobiographie écrite à 19 ans, et qui suite à un article que Joyce Maynard avait publié dans le New York Times,elle , témoigne de sa génération et . J.D. Salinger, de trente-cinq ans son aîné, va lui répondre.
Très vite, elle quitte l'université pour aller vivre chez lui. Durant leur liaison orageuse, elle donne suite à cet article et raconte avec une désarmante maturité : la guerre du Vietnam, Woodstock, la télévision et la minijupe, l'(in)égalité des sexes, les prom nights– une jeunesse américaine, dans un monde en mutation.
Mêlant avec une vraie maitrise mémoires, histoire culturelle et critique sociale, cette biographie écrite dans la maison de Jerry Salinger ( excusez du peu) et dans la foulée de cet 'article pour le New York Times Magazine, est une plongée saissisante et percutante dans l'esprit des sixties. qui nous ont rarement paru aussi perceptibles que dans ce beau et puissant texte.
3. Retour à Little Wing, Nickolas Butler
« Cette ville exerce une espèce de gravité insensée. Je sais que c’est un mot savant, mais j’y ai réfléchi. Elle doit avoir une sacrée, force sinon Lee serait jamais revenu. Kip et Félicia aussi. Sans parler de tous ceux qui ne sont jamais partis, comme Hank, Beth, Eddy et les Jumeaux Giroux. Merde alors, ils ne sont jamais allés plus loin que moi quand je fais du rodéo. Et je vais vous dire c’est dingue, mais c’est les matins où j’essayais de partir de fuguer, que je la sentais le plus. Cette attraction. »
Il y a Hank le fermier droit et sensible, Kip le fort en thème bosseur et ambitieux, Ronny champion régional de rodéo et Lee le musicien rêveur, ces quatre gars ont grandis ensemble à Little Wind toute petite ville au cœur du Wisconsin et il y a aussi la belle et tendre Beth qui enfait battre des cœurs. « Retour à little wind » cueille ces cinq amis au seuil de leur vie d’adulte, à l’âge des possibles, à l’âge ou tout choix personnel est un renoncement important. Sur une dizaine d’années Nickolas Butler suit ses personnages, leur fait subir des épreuves et observe leur réactions et leurs questionnements : faut-il accepter de laisser des personne au bord de la route pour vivre sa vie ? Faut-il accepter d’être laissé au bord de la route ? Que se passe-t-il lorsque Lee devient un chanteur célèbre et qu’il épouse une actrice Hollywoodienne belle à tomber ?
Attention mélo, mais au bon sens du terme, Butler prend le temps de rendre attachants ses personnages, il ne les juge jamais et les observe avec bienveillance se débrouiller avec leurs contradictions, ils deviennent nos amis et le destin de cette petite communauté nous touche et nous émeut.
On pense à « Georgia » le formidable film d’Arthur Penn. Du monde rural de l’Amérique profonde à la Jet-Set New-Yorkaise Butler nous raconte son Amérique en ce début de siècle.
Michel D