Un Morceau d'Asphalte Frais Pour Y Mettre Ses Initiales

Publié le 03 décembre 2015 par Hunterjones
On est tous coupables de vouloir être aimés.
Enfin pas tous, les partisans de Daesh, l'ISIS, l'État Islamique, appelez les comme vous voulez, ces ordures qui passent complètement à côté de la vie et qui gâchent celle des autres, ne souhaitent que détruire pour mieux régner.
Mais coupable d'être aimé reste un beau crime.
Les plus coupables à ce niveau sont sans aucun doute les artistes.

La radio ne me parle plus depuis les années 90.
Depuis que les chefs de file étaient Nirvana, Pearl Jam, Red Hot Chili Peppers, Beck, etc.
Moi je savourais alors Portishead (toujours dans le ton chez les incréatifs semble-t-il) et je virais jazz.
Dans les années 90, j'ai vieilli.
J'avais trouvé mon ciment, Mon amoureuse pour la vie, avec laquelle on ferait fleurir notre amour et allait y tricoter le plus beau bébé-garçon au monde. Des années de sucre. Avec tout ce que le sucre a de bon et son contraire. J'avais trouvé ce morceau d'asphalte frais dans lequel mettre mes initiales pour toujours.
La radio ne me parle plus encore aujourd'hui sauf quand j'écoute Radio-Canada. Qui m'apprend TOUJOURS quelque chose sur la vie. Pas nécessairement sur l'actualité. Sur la vie. Et pas parce que je seconderais tout ce que j'y entends, bien au contraire, mais souvent parce que cette radio me force à penser.

Heureusement il y passe peu de musique. Je dis heureusement parce que la radio, dite commerciale, si je ne l'écoute plus, me pourchasse.
Me harcèle devrais-je dire.
Sur mon iphone, j'ai 384 000 appels manqués. Tous d'Adèle. Chaque chanson lancées en ondes est un appel, et Adèle rate la cible que je suis avec son insupportable "Hello". J'étais dans un magasin le jour du lancement de son dernier disque, par hasard, et j'ai été témoin d'une bonne partie de sa clientèle. J'ai compris pourquoi la chanson ne me parlait pas du tout. Elle ne s'adresse pas à moi. Fair enough. On ne peut pas demander à tous d'être en mesure de parler à tous. Mais envahir toutes les sphères de la société trois à quatre fois par jour pour l'entendre crier qu'elle a dû laisser quelques milles messages, est du pur harcèlement. Dès la première semaine de sortie de la chanson, elle était déjà sursaturée.

Et je n'écoute cette radio qu'au travail la nuit.
Dans un geste d'une rare solidarité, les gens de l'entrepôt. qui avaient vécus quelques mois SANS radio en raison d'un bris, et qui venaient de la retrouver dans la joie, puis qui l'avions perdue et retrouvée,  ont tous voté pour une nuit sans radio. Pour NE PAS entendre la surjouée chanson d'Adèle. Ne serais-ce qu'une nuit.
Échec.
Les gens ont commencé à chanter à la place et certains ont poussé l'odieux jusqu'à tenter d'imiter la chanteuse d'Angleterre, surtout ceux qui n'en avaient pas la voix.
Pour s'écoeurer depuis, quand on hèle quelqu'un qui ne répond pas tout de suite, on crie "I must have called a thousand tiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiimes". Vous pouvez être certain qu'il répond toute de suite.
Quand on se rend à la salle de bain et qu'on y aperçoit deux jambes dans une cabine qui suggèrent qu'un homme y trône, on se place dans l'embrasure et chante suavement:
 "hello...it's me...."
Parait que ça aide à déconstiper.

Impossible d'en vouloir à Adèle, elle a trouvé son carré d'asphalte dans le grand monde musical. Et si elle déconstipe, en soi, elle est saine.
Mais un trottoir trop maintes fois foulé devient usé.
Et sa chanson est nettement trop usée.
Mais il y a aussi les trottoirs trop peu fréquentés.
Les trottoirs de marbre.

Je lisais Alain Brunet, le chroniqueur musical principal de La Presse, occasionnel collaborateur à Radio-Canada radio. l'autre tantôt et me disait qu'il ne doit plus parler à beaucoup de gens. À force d'écoute passionnée aux travers des années,  ses goûts sont devenus si sophistiqués que la musique appréciée et suggérée par Brunet est souvent très pointue ou extrêmement avant-gardiste. Si tant qu'elle en devient presqu'inaccessible.
Vous avez déjà réussi à graver vos initiales dans du marbre.
En revanche il guide autant qu'il fait découvrir et défriche pour des gars comme moi.
Des gars rares, genre. Il en faut de toute les sortes.
Brunet débloque de larges carrés d'asphalte, libre à nous des les emprunter et on ne pourra jamais lui reprocher de tomber dans la facilité.
Tandis que les radios, dites commerciales. sont définitivement les deux pieds dans le ciment.

Sans initiales.
Juste une odeur fétide d'homogénéité plate.
Grise.
Terne.
La radio est en berne.
Pour me soigner de celle qu'on entend trop j'ai réécouté celle qu'on entend plus assez.
Vous ne l'aimeriez pas.
Elle ne crie pas assez.
Hang on to your love.
Et comme Adèle, elle est extrêmement belle sans avoir à se déshabiller.