[Critique] RETOUR VERS LE FUTUR 3

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Back To The Future – Part 3

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Robert Zemeckis
Distribution : Michael J. Fox, Christopher Lloyd, Mary Steenburgen, Lea Thompson, Thomas F. Wilson, Elizabeth Shue, James Tolkan…
Genre : Science-Fiction/Western/Fantastique/Comédie/Suite/Saga
Date de sortie : 18 Juillet 1990

Le Pitch :
Il y a 60 ans aujourd’hui, le 16 novembre 1955, Doc Brown renvoyait Marty Mc Fly à bord de sa fameuse Delorean vers le futur, en 1985 . Mais quelques minutes après ce départ foudroyant, le Doc voyait débouler le même Marty, lui annonçant que le Doc du futur était à présent prisonnier du passé, en 1885. Le « jeune » Doc est à nouveau mis à contribution pour aider Marty à voyager dans le passé afin d’empêcher l’assassinat du « vieux » Doc par un aïeul de Biff Tannen, leur ennemi juré…

La Critique :
Robert Zemeckis et Bob Gale, les créateurs de Retour vers le Futur, sont respectivement nés en 1952 et 1951, à l’aube d’une décennie qui vit l’avènement de la télévision comme loisir favori des américains, abreuvant entre autres la jeunesse de western, alors à l’apogée de sa popularité à Hollywood. C’est cet amour nostalgique pour un genre tombé en totale désuétude au milieu des années 80 qui poussera les deux compères à choisir le Far-west comme décor du dernier volet de leur trilogie-culte. Mais à la sortie de Retour vers le Futur 3 sur les écrans en Mai 1990, cowboys et indiens ne fascinent plus personne et le héros du moment est le Batman de Tim Burton, sorti un an avant. Le Western est un genre poussiéreux, antique, dont les codes classiques sont inconnus pour un public de jeunes adultes sevrés à Rocky, Rambo, Indiana Jones ou L’Arme Fatale. Ce manque de familiarité avec le vieil Ouest fait qu’à sa sortie, l’accueil est plus réservé que prévu et Retour vers le Futur 3 est déjà unanimement considéré comme le moins réussi de la série.
Nous vous proposons de rembobiner le film pour évoquer la façon dont le Western y est représenté, ainsi que les relatives faiblesses scénaristiques de la conclusion proposée par Zemeckis et Gale. Nous reviendrons aussi sur le personnage du Doc, que cet épisode éclaire sous un jour différent.

Le premier Retour vers le Futur synthétisait parfaitement la culture et la mentalité des années 80 des États-Unis de Ronald Reagan. Le second film, en extrapolant le futur de 2015 (enfin… le présent en ce qui nous concerne!), n’avait guère à se soucier d’un quelconque réalisme pour une époque alors inconnue, et la vision proposée a beau avoir été presque complètement à côté de la plaque, elle n’en bénéficiait pas moins d’un semblant de crédibilité grâce à un sens aigüe de la satire. Après le présent (1985) et le futur (2015), il était donc logique que ce troisième épisode nous emmène faire un tour dans le passé. Si le choix de l’époque (1885) se justifie par l’amour de Robert Zemeckis et Bob Gale pour le western, la décision de décrire cette période uniquement au travers d’un prisme cinéphile est en revanche dommageable car il occasionne une rupture de ton involontaire avec les deux premiers opus. L’Ouest décrit renvoie plus volontiers à la vision offerte par les classiques du septième-art qu’aux livres d’histoire. Plus précisément, Retour vers le Futur 3 lorgne plus volontiers du côté des westerns spaghetti de Sergio Leone avec Clint Eastwood que du côté d’Hollywood, John Ford et John Wayne, et ce, même si Ronald Reagan faillit pourtant apparaître dans le film (rappel à l’attention des plus jeunes lecteurs : bien avant Arnold Schwarzenegger, le président Reagan avait également mené une carrière d’acteur hollywoodien – jouant dans de nombreux westerns – avant d’embrasser une carrière politique). Mais en grand cinéphile qu’il est, Zemeckis adresse néanmoins un clin d’œil à un des pères fondateurs du cinéma américain : après son duel contre Biff, Marty se relève et dévoile sa protection pare-balle improvisée. Un petit garçon lui demande d’où lui est venue cette idée et Marty lui répond qu’il a vu ça dans un film (dans un extrait aperçu dans Retour vers le Futur 2). Évidemment, l’enfant ne sait pas de quoi il s’agit mais sa mère l’interpelle alors par son nom: « David Llewelyn Wark Griffith ». Il s’agit en fait de D.W. Griffith, auteur-réalisateur de La Naissance d’une Nation sorti en 1915 – film controversé pour son discours raciste assumé mais néanmoins reconnu comme une œuvre séminale de la grammaire cinématographique moderne.
Mais point de polémique ouverte dans les aventures de Marty et Doc chez les Cowboys, et même si Retour vers le Futur 3 devance de quelques mois le réveil de la (mauvaise) conscience américaine quant au génocide des indiens d’Amérique, ceux-ci ne font qu’une apparition furtive mais décisive au début du film (une cavalcade, une flèche perdue, et puis s’en vont). En excluant les indiens de la scène, Zemeckis esquive toute accusation de verser dans la caricature politiquement tendancieuse. L’arrivée de Marty en 1885 au beau milieu de guerriers chevauchant à cru assure à elle seule la dose de pittoresque pourtant représentative de toute une page de l’Histoire américaine. On peut aussi et malheureusement y déceler un nouvel exemple de révisionnisme involontaire (comme l’invention du rock’n’roll dans le premier Retour vers le Futur), les Indiens étant réduits à de la simple figuration quand les colons européens incarnent à eux seuls l’Amérique en devenir. Pour sa défense, Robert Zemeckis souhaitait rendre hommage au western italien, lequel ne mettait que rarement en scène des amérindiens et  se focalisait sur des pistoleros tous plus patibulaires et mal rasés les uns que les autres.

« Patibulaire et mal rasé », voilà justement la description parfaite de Bufford « Molosse » Tannen. Comme nous l’expliquions dans notre article précédent, la personnalité des Tannen semble immuable de génération en génération. Méchant au-delà de toute rédemption, Bufford Tannen décide de tuer le Doc pour une simple affaire de fer à cheval mal monté. L’arrivée de Marty change la donne et Tannen change alors de cible. Peu importe la victime tant qu’il peut assouvir ses pulsions meurtrières ! La violence latente du personnage a toutefois été atténuée au montage, une scène le montrant descendre le Marshal Strickland ayant été jugée excessive pour un film à vocation familiale.
Entre auto-censure et une représentation inoffensive et « touristique » de la Conquête de l’Ouest, Retour vers le Futur 3 s’oriente vers la comédie familiale consensuelle, là où les deux premiers se permettaient quelques audaces thématiques (l’œdipe du premier film, le pessimisme du second). Aussi, une certaine forme de routine s’installe et si le final haletant du précédent film laissait espérer une conclusion complexe et épique, le soufflé retombe ici assez vite. Apres une montée en puissance au cours des deux premiers films, Zemeckis et Gale tombent dans les travers habituels des chapitres finaux de la plupart des trilogies cinématographiques tels que Le Retour du Jedi, Pirates des Caraïbes – Jusqu’au Bout du Monde ou encore Le Hobbit – La Bataille des Cinq Armées, à savoir : la résolution hâtive du « cliffhanger » du précédent épisode et l’absence de renouvellement des enjeux menant sans détour à une conclusion des différents arcs narratifs mis en place. Lorsque Marty récupère la Delorean dans la mine en 1955,  il aurait du rentrer chez lui en 1985 et laisser le Doc finir ses jours en 1885, selon son propre souhait. Mais en apprenant que ce dernier serait assassiné par Bufford Tannen quelques semaines plus tard, Marty décide d’aller sauver son vieil ami.

Retour vers le Futur 3 aurait ainsi pu s’achever après 20 minutes, après que Marty ait récupéré le Doc sans s’éterniser en 1885. La seule justification des péripéties qui suivront tient au maigre prétexte scénaristique d’une flèche perdue ayant percé le réservoir d’essence de la Delorean…
La raison d’être de l’intrigue est moins solide que dans le film original (rappelons aussi que Retour vers le Futur 2 peinait également à justifier pourquoi le Doc insistait pour que Marty et Lorraine le suivent pour changer le futur alors que rien n’est jamais écrit de manière définitive) mais à ce stade, la suspension d’incrédulité permet d’avaler la pilule sans poser de question, d’autant que le film caresse le spectateur dans le sens du poil en jouant à fond la carte du gag de répétition et de l’auto-citation. On reste en terrain connu : le bal, les provocations de Biff (son «poule mouillée» trouvant ici une réponse avec le terme « molosse » qui le rend furieux à son tour), Biff recouvert de fumier, le réveil de Marty auprès de sa mère, sans oublier les aïeuls des différentes familles (dont le rôle de l’ancêtre irlandais Seamus McFly prévu à l’origine pour Crispin Glover qui confirme la volonté de distinction voulue pour les McFly alors que tous les Tannen ont toujours été envisagés pour être incarnés par un unique acteur).

Toutefois, le film opère vite un changement déterminant de sujet, en se focalisant non plus sur Marty, mais sur l’évolution de Doc, personnage omniprésent depuis le début mais néanmoins mystérieux et réduit à une figure archétypale. Les rôles iront jusqu’à s’inverser dans leur relation, Doc tombant amoureux de la belle Clara Clayton (Mary Steenburgen, encore radieuse 20 ans avant une chirurgie esthétique hasardeuse) et Marty incarnant la voix de la raison.
En décidant de finir ses jours en 1885, Doc Brown contredit toutes les mises en garde qu’il prodiguait au jeune Marty, et les répercussions potentielles sur le continuum espace-temps le préoccupent dorénavant moins que l’assouvissement de sa passion amoureuse. Il faut dire que le personnage bénéficie d’une place à part dans la trilogie : il en est le principal moteur narratif, celui par lequel tout arrive grâce à l’invention de la machine à voyager dans le temps. Il a aussi l’insigne honneur d’ouvrir et clore la saga : malgré son absence à l’image, il est en effet introduit dès le plan d’ouverture du premier film par le biais d’un plan-séquence sur son atelier, et c’est à bord de son train inter-temporel qu’il exécute un dernier baroud d’honneur dans le dernier plan du troisième film. Il est le voyageur ultime, celui qui maîtrise l’espace et le temps mais paradoxalement, et contrairement à Marty, son personnage ne semble pas évoluer ou avoir un arc propre. On pourra également s’interroger sur cette amitié entre un vieil inventeur et un lycéen ; qu’ont-ils en commun?
Dans le premier film, Doc a un rôle de mentor, comme Obi-Wan le fut pour Luke – un nouveau parallèle entre les deux sagas pas si étonnant, sachant qu’après le succès de La Guerre des Étoiles qui puisait sa structure mythologique dans les écrits de Joseph Campbell (son best-seller Le Héros aux 1001 Visages énonce par le menu les éléments narratifs de son scénario), Hollywood a tenté de capturer à nouveau l’éclair. Doc/Ben Kenobi, même combat : tous deux initient le héros orphelin – au sens propre pour Luke et figuré pour Marty – dans une quête au cours de laquelle il s’accomplira (comprendre : acquérir la sagesse et devenir adulte en se confrontant à leurs origines), et introduisent également un objet symbolique pour y parvenir (le sabre laser du père disparu, la Delorean qui permettra de remonter le temps pour sauver le père). Doc accompagne Marty tout au long de l’aventure mais se situe ainsi toujours en retrait, comme une figure paternelle bienveillante et un Deus Ex Machina omniscient. Il représente la seule valeur constante de l’univers de la trilogie et le point de référence au milieu de tous les allers-retours spatio-temporels. À ce sujet, on notera que le personnage n’a pas ni passé ni futur jusqu’à ce troisième film ou il se voit attribuer une épouse et des enfants. Il est hors du temps, une idée renforcée par le fait que le Doc de 1955 et de 1985 sont physiquement semblables malgré leurs trente années d’écart. Mieux encore, à leur arrivée en 2015, il retire un masque de latex supposé le vieillir et explique à Marty qu’il craignait que celui-ci ne le reconnaisse pas après son lifting… mais impossible de déceler le moindre effet de Jouvence ! L’âge du Doc reste d’ailleurs indéterminé, ce qui ne fait qu’ajouter à son caractère atemporel.
De même, aucune mention n’est faite de ses origines et on ne lui connaît pas de famille, les seules photos présentes dans sa maison en 1955 étant des portraits d’illustres scientifiques et inventeurs. Cette absence d’attaches explique qu’il ait pu choisir d’aller vivre en 2015 ou décider de finir ses jours en 1885. Ce sont aussi deux époques durant lesquelles il ne cohabiterait pas avec une autre version de lui-même, étant soit déjà décédé, soit pas encore né.
Quels que soient l’époque et l’âge, Emmet Brown considère et comprend l’univers dans son ensemble. Ses interventions sont parfois aussi opportunes que d’inspiration divine, notamment dans Retour vers le Futur 2 où il « apparaît » plusieurs fois dans le ciel, tout d’abord tel un oracle pour prévenir un incident futur pour les héros, puis pour tirer Marty des pattes de Biff à deux reprises (sur le toit de l’immeuble en 2015 et après la poursuite en Hoverboard dans le tunnel en 1955). Dans Retour vers le Futur 3, il s’humanise, avec ce que cela lui confère de faiblesse et d’imperfection. En évitant par deux fois que Clara Clayton ne s’abîme dans le canyon qui portait son nom dans le 1985 original (l’accident de calèche puis à bord de la locomotive), il enfreint les règles éthiques qu’il prêchait jusque là. Le rôle en est transfiguré et presque autre, altérant la tonalité du film.

Après le rythme crescendo du précédent film, Robert Zemeckis et Bob Gale lèvent le pied et emmènent leur trilogie dans une direction inattendue en se détournant du parcours de Marty pour se focaliser sur celui de Doc. Retour vers le Futur 3 contraste en ce sens avec les deux premiers volets, ce qui pourrait expliquer la popularité moindre du film dans le cœur des fans (Qui considère ce troisième épisode comme le meilleur de la saga? …Levez la main….Personne?…). Malgré ces réserves, le spectacle reste enlevé et divertissant et boucle la boucle de manière satisfaisante. Il faut aussi saluer la sagesse des producteurs (dont Steven Spielberg), qui maintiennent aujourd’hui encore qu’il n’y aura jamais de suite/remake/reboot qui ne pourrait que nuire à l’aura de la franchise.
La morale déterministe affiché du premier film se voit atténuée dans cette conclusion, même si l’individualisme reste une valeur érigée en force vitale : le Doc outrepasse ses propres principes initiaux et, loin d’enterrer son rêve de voyages temporels, finit carrément par en faire son mode de vie, emmenant femme, enfants et chien pour une vie itinérante, sans époque fixe. C’est lui qui a le mot de la fin, rappelant à Marty et Jennifer que leur avenir leur appartient, et que rien n’est écrit. Marty, que ses aventures ont rendu sage, décline ainsi le défi de Griff et évite un accident qui aurait débouché sur le futur « noir » aperçu dans le second film.
La sortie de Retour vers le Futur 3 à l’été 1990 coïncide avec la fin des années 80, offrant une note d’optimisme à l’aube de l’ultime décennie du millénaire. Aujourd’hui célébrées comme une ère ou régnait la légèreté, il ne faut pas oublier que les années 80 étaient plus troubles que ne le suggère la nostalgie collective (guerre froide, SIDA,…). La jeunesse de l’époque souffrait du fossé générationnel et culturel avec des parents nés dans les années 50 et 60 et n’ayant pas forcément suivi les évolutions des années 70 (libération des mœurs, contestation sociale,…). Une rupture parfaitement illustrée par la relation de Marty et ses parents dans le 1985 original. L’avenir était incertain, le monde de demain à (ré)inventer avec de nouveaux outils(d’ou les fantasmes socio-technologiques du second film). Retour vers le Futur 3, en remontant jusqu’aux racines d’une certaine Amérique, entendait renforcer les racines d’une « génération X » pour lui permettre d’entamer les années 90 avec optimisme et foi en son pouvoir d’apprivoiser son avenir. Quelques années plus tard, avec Forrest Gump, Robert Zemeckis se livrera à une autre radiographie de l’évolution de la société américaine des années 50 aux années 90, un film qui, à l’instar de Retour vers le Futur se révèle être un film bien moins naïf qu’il n’y parait.

@ Jérôme Muslewski

                                     Crédits photos : UIP