Ce soir-là, ma mère a accroché tous mes rêves sur un arbre de Noël en même temps que les jouets. Moi, j'ai placé les ampoules électriques. Le monde m'a paru vert comme un sapin de Noël, les gens, légers et insouciants comme des jouets. Le globe terrestre a tourné longtemps comme la quenouille de ma grand-mère avant de descendre enfin pour s'arrêter sur le plancher en traînant un mince fil derrière lui. La fumée de la cigarette s'est arrêtée sur les ampoules électriques, elle est devenue multicolore, puis elle s'est élevée et s'est dissoute dans l'air.
La veille, le somptueux dîner du Nouvel an nous avait coûté la bague de ma mère. Maintenant, tout le monde souriait " avec insouciance " en voyant mon allégresse. Dehors, une tempête de neige hurlait comme un ours blessé. J'ai mis ma lettre sous l'arbre de Noël. J'ai décidé de ne pas succomber au sommeil, mais d'attendre le Père Noël. Je me retournais d'un côté à l'autre en luttant contre le sommeil. Mon père découpait le saucisson, ma mère, remarquant que j'étais éveillé, a pris un bonbon et s'est approchée de moi :
- Pourquoi ne dors-tu pas ?
- Je ne peux pas dormir.
- Mange et dors pour que le Père Noël vienne.
Le sommeil m'a enfin gagné.
Le matin, je me suis réveillé, j'ai pris la petite voiture cachée sous mon oreiller et m'enfonçant dans la neige jusqu'à la ceinture, j'ai couru dans la rue pour montrer mon cadeau.
- Viens manger d'abord, m'a appelé mon père qui débarrassait la cour de la neige.
- Je n'ai pas faim.
Le fusil sur l'épaule, Aro revenait du champ en marchant lentement. Les oreilles sanglantes du lapin pendu à sa ceinture traînaient dans la neige en laissant des traces rouges sur le blanc. Ils ont échangé des félicitations avec mon père.
- Y en avait beaucoup ?
- Non, j'ai failli crever avant d'en trouver un. As-tu une cigarette ?
Aro a mis son fusil sur la muraille délabrée.
Mon père lui a donné une cigarette. Après avoir avalé deux gorgées de fumée, il a pris le fusil et s'en est allé. Le faible soleil courait sur le toit blanc.
Dans le ciel, les oiseaux tournoyaient autour des meules et, en remarquant un espace libre, ils descendaient pour trouver un grain de blé ou d'orge. Le chat, caché sous la meule ne les ratait jamais et, chaque fois, un oiseau de moins remontait au ciel. Au loin, les arbres dénudés, semblables à des balais courbés sous le poids de la neige, restaient silencieux dans le parc. Le ciel pâle s'était replié et devenu bleu de froid.
- Félicitations ! a dit Sako en nous serrant la main. Il s'est assis à la table. Mon père lui a versé un verre de vodka.
Tout le monde connaît cette expression : " Va voir s'il y a quelqu'un venant du tribunal ? "
Je suis sorti, j'ai regardé et je suis rentré.
- Eh bien ?
- Elle vient.
- Où est-elle arrivée ?
- Près de la maison de Guévork.
- Buvons jusqu'à ce qu'elle arrive. Eh bien ! Bonne année ! Que ce soit une année de bonne récolte et de bienfaits. Ils ont bu.
Sako a mangé des cornichons et bu de l'eau minérale.
- Je suis mal à l'aise.
Astre est entrée, elle a ôté son chapeau et secoué la neige. Elle a félicité tout le monde.
- Quelle honte ! Tu as failli mourir la semaine dernière, prends au moins tes médicaments avant de boire !
- Cela ne te regarde pas ! Laisse-moi boire et mourir, à ma place tout le monde boirait : ma dette à la banque atteint deux millions, j'ai acheté une vache et je n'ai rien gagné, j'ai acheté un tracteur et j'ai joué de malchance, que faire encore ?!
- Toi, tu es malchanceux.
- Mais oui ! Quoi que je fasse, je ne réussis pas.
- Ne bois pas tant et ça ira mieux.
- Si jamais je me fais fabricant de cercueils, personne ne mourra plus.
Sako a bu sa vodka et reniflé l'odeur des cornichons.
En se disputant, on est sorti de chez nous. Le pied de Sako a trébuché sur la neige, il est tombé. Mon père et Astre l'ont aidé à se relever. Il s'est levé, s'est frotté les yeux, s'est débarbouillé avec de la neige, il a allumé une cigarette et il est reparti avec sa femme.
Le soleil ramassait ses rayons et déclinait à l'horizon. J'ai mis ma petite voiture sous le sapin de Noël et on s'est assis. J'ai enveloppé le fromage fabriqué par ma grand-mère dans du pain lavache, cuit par ma mère, et j'ai senti dans ma bouche la saveur de vivre en harmonie avec Dieu. Mon père a porté un toast à ma santé, j'ai eu honte d'avoir fumé en secret. Comme chaque année, ma mère a mis en réserve pour mon frère un peu des fruits secs préparés par elle-même. Chaque année, elle garde des fruits secs pour lui et c'est moi qui les mange. Mon père cherchait ses cigarettes sur la table d'abord, puis il a fouillé dans ses poches.
- Je pense que c'est Sako qui les a prises, a-t-dit et il est sorti de table.
Il a mis son manteau, son chapeau et il est allé acheter des cigarettes. Ma grand-mère a remué le feu du poêle et elle y a jeté du fumier séché. Elle est allée s'asseoir sur le canapé et elle a pris sa quenouille. Le globe terrestre tournait de nouveau dans ses mains tremblantes en laissant traîner un fil de laine.
Les faibles rayons du soleil matinal étaient descendus sur la neige et crevaient les yeux. J'ai mis mes lunettes de soleil. Ma mère a pris quelques cierges. En enfonçant dans la neige jusqu'aux genoux, nous sommes arrivés à l'église. Le vent, pénétrant par la fenêtre, éteignait les bougies. La neige était visible à travers les fissures du mur. Chaque dimanche, ma mère accrochait une nouvelle prière sur les murs nus de l'église sans prêtre.
Chemin faisant, on a entendu une voix.
- Une vache est tombée au lac.
Je me suis mis à courir.
- Sois prudent !
La pauvre femme, que son mari avait abandonnée pour aller travailler à l'étranger, avait pris la vache par les cornes et pleurait d'impuissance. À moitié enfoncée dans le lac, les pieds de devant dans la glace, il semblait que la pauvre bête épuisée cédait déjà. Les hommes accourus ont attrapé les cornes et commencé à tirer. On l'a retirée de l'eau avec difficulté. La bête est tombée sans force sur la glace.
- Laissez-la qu'elle se repose un peu !
Anna, debout au loin, était incapable de retenir ses larmes.
- On y va !
Deux hommes ont attrapé les cornes, deux autres, la queue. Peine perdue : la vache ne pouvait pas se tenir debout, comme si elle avait les pattes cassées.
- Elle a eu peur, va apporter une planche.
J'ai couru et j'ai apporté une planche. Sako était venu aussi, lui qui se tenait à peine debout sur ses jambes. On a placé la planche sous le ventre de la vache. Deux des hommes tenaient la planche, les deux autres les cornes, Sako tenait la queue. On l'a levée.
- Tenez quelques minutes la planche jusqu'à ce qu'elle se tienne debout.
Les hommes, tenant fortement la planche, avançaient. Le pied de Sako a glissé. Il est tombé dans l'eau par un trou dans la glace. L'un des hommes a couru pour attraper Sako. Son vieux chapeau a tourné et il a disparu sous la glace.
- Emmenez-le à la maison, il va geler.
Vano a soulevé Sako et ils ont marché bras dessus bras dessous sur la glace. Sako a mis sa main dans sa poche.
- Attends, je n'ai plus mon portable.
- Eh bien, tu penses à ton portable ? Si j'étais arrivé une minute plus tard, toi non plus, tu ne serais pas là.
La vache avançait lentement. Anna marchait derrière elle, le bâton à la main. Vano menait Sako en le tenant sous le bras, l'eau coulait de son pantalon mouillé.
Le vent a cessé, la neige a recommencé à tomber. De grands flocons de neige se pressaient et Anna est devenue toute blanche. Un chat noir s'est jeté sur une colombe, il l'a attrapée et s'est caché dans une grange. Une autre colombe, restée solitaire, s'est envolée et s'est accrochée au ciel. Elle a longtemps tournée autour de la grange, puis, fatiguée, elle est descendue, s'est assise sur le toit et s'est mise à gratter sa poitrine avec son bec. Son corps tremblait comme si elle pleurait. Le " colombophile Karo " a couru dans la grange, fusil en main. Un coup de feu a retenti. Le chat blessé a sauté par la fenêtre vers la rue en se traînant sur ses pattes de derrière cassées. Karo lui a coupé le chemin, il a tiré encore une cartouche sur le corps blessé, tordu de douleur. Le chat a bondi en miaulant à haute voix, puis le corps immobile est resté étendu sur la neige.
Le soir, le froid a augmenté. Les gens ont été obligés de s'enfermer chez eux. La fumée s'élevant des toits tourbillonnait et se répandait avec le vent dans le ciel étoilé. Dans les mains de ma grand-mère, la farine descendait du tamis, semblable à de petits flocons de neige, et formait un petit monticule sur la table. Couché dans mon lit, j'entendais encore longtemps le bruit des pas de l'hiver avec le bruit du vent courant sur le toit. J'ai vu les arbres verts derrière les trous ronds de la petite porte du poêle où brulait le bois. Puis le vent a cessé sur le toit, le dernier morceau de bois s'est réduit en cendres dans le poêle. Le silence s'est établi, j'ai mis ma voiture sous la couverture, l'odeur des fruits, venant de la table, tourbillonnait au dessus de ma tête. Et tous les rêves dorés de mon enfance continuaient à brûler et à briller dans le noir.
Razmik Grigoryan