Petit fait étonnant de notre anatomie: il s’avère que nous possédons des cornets dans notre crâne, juste derrière notre pif, ce qui vaut à ces structures osseuses le doux nom de cornets nasaux. Quand j'ai fait cette découverte, l’image de cornets de glace dans le pif m’est venue à l’esprit, et de fil en aiguille, celle de glaces goût morve… Et comme je suis toujours sympa, je partage…
Mais en réalité, les cornets nasaux, ça ressemble à ça:
Euh, on m’aurait pas vendu des cornets tout pourris là, non? C’est pas censé faire une sorte de spirale de gaufre… enfin d’os? Mais si! C’est juste qu’on les regardait pas dans le bon sens là. Pour voir les spirales, il faut réaliser une coupe coronale (dans un crâne si possible d’un humain déjà décédé, ou en radiographie, c’est plus propre):
En latin, on les appelle conchae nasales, car leur forme peut aussi évoquer l’allure de la conque, le coquillage:
Vu la tête du mollusque qui s’y abrite, je vois mieux le parallèle qu’on peut trouver avec le contenu de nos propres naseaux…
Bon c'est bien joli tout ça (façon de parler), mais il va falloir maintenant qu'on m'explique pourquoi l'évolution nous a mis des scoubidous dans le nez!
Pour comprendre, il faut se représenter le trajet de l'air inspiré et expiré par le nez. Sitôt passé nos narines, l'air inspiré va s'engouffrer dans les cavités nasales, séparées par la cloison du septum, et tourbillonner entre les 3 paires de lames osseuses que forment les cornets (on compte 3 paires de cornets: supérieurs, moyens et inférieurs). Ces lames osseuses sont recouvertes de tissus muqueux intensément vascularisés et innervés (un peu comme ma b…). Par ailleurs, la taille du tissu muqueux des cornets s'adapte continuellement à l'état physiologique de l'individu qui les porte ainsi qu'aux conditions extérieures. En effet, en fonction de la taille globale des cornets, l'air qui traverse notre cavité nasale va être plus ou moins chauffé, plus ou moins humidifié et plus ou moins filtré avant de rentrer ou sortir du reste de notre système respiratoire et olfactif.
L'analogie vaseuse avec mon pénis un peu plus haut n'est donc pas totalement dénuée de sens: les cornets sont en effet particulièrement érectiles, ce qui signifie que même lorsqu'il fait froid, on peut tous bander des cornets. L'intérêt? Et bien en bandant, nos cornets augmentent la surface de contact avec l'air qui rentre dans nos cavités nasales, ce qui va permettre de mieux réchauffer cet air, l'humidifier et le filtrer avant qu'il continue son trajet dans notre trachée. Les cornets cumulent donc plusieurs rôles: thermorégulation, contrôle hygrométrique et barrière immunitaire.
Les allergiques en tout genre doivent donc souvent blâmer leurs cornets hypersensibles pour une partie de leurs symptômes. Les cornets sont en effet recouverts de millions de petits cils associés à des cellules sécrétant du mucus, combinaison qui permet d'attraper de fines particules et de combattre localement de nombreux pathogènes (le mucus contenant des agents anti-bactériens), évitant ainsi que ces particules et pathogènes ne rentrent dans notre système respiratoire. Le trajet classique de ces particules capturées est de finir avalées. C'est un flux continu et heureusement assez inconscient car il faut savoir que nous avalons quotidiennement l'équivalent d'une petite bouteille de mucus (0,65l). Un visuel s'impose pour marquer le coup:
En cas de réaction allergique, le tissu muqueux des cornets gonfle anormalement et produit un surplus de mucus qui, comme nous le conte si bien Sirtin, gicle vers l'extérieur et l'intérieur…
Quittons ces considérations morveuses pour nous intéresser au rôle des cornets dans la thermorégulation. On l'a vu plus haut, ceux-ci réagissent à la température. Et de manière assez cocasse, quand on mange un cornet de glace un peu trop rapidement, ce sont en partie nos cornets nasaux hyper-réactifs qui contribuent à un symptôme assez désagréable: la céphalée de la crème-glacée (le truc où vous savez pas pourquoi d'un coup vous avez mal aux yeux et au front). La glace, au contact du palais, va refroidir rapidement cette région et donc toutes les structures vascularisées et innervées aux alentours (dont les cornets). Le froid va tout d'abord entrainer une constriction locale des vaisseaux sanguins. Puis pour éviter son refroidissement, le sang artériel va affluer de manière plus importante au cerveau et dans la région du palais et des sinus. Du coup, vu qu'on est un peu mal fichu et que notre face est bardée de nerfs en tout genre, dont des récepteurs de douleurs, ceux-ci interprètent cette constriction et dilatation rapide comme un signal de douleur plus ou moins intense (merci cerveau…). Pour pallier ce problème, l'absorption d'un peu de boisson chaude ou coller sa langue sur la région du palais qui a refroidi, peut permettre un prompt rétablissement à la normale.
Ce phénomène illustre un lien important entre le cerveau et les cornets nasaux, et leurs rôle pour contrôler la température de notre encéphale. Ca marche aussi quand notre environnement est trop chaud et que notre corps a besoin de diminuer sélectivement la température de la cervelle (qui est assez sensible à des extrêmes de températures). Pour comprendre en quoi les cornets nasaux permettent cette régulation, il faut d'abord comprendre comment l'évaporation peut refroidir un tissu. Pour cela, il faut savoir que l'eau (assez contre-intuitivement) s'évapore tout le temps à presque toute température (pensez que votre linge sèche de cette manière, par évaportation). En passant à l'état gazeux, l'eau emporte de l'énergie thermique ce qui, en gros, va refroidir le reste du liquide qui n'est pas encore passé d'un état à l'autre. Pour faire de la physique thermodynamique un peu avec les mains, on se représente la température d'un liquide par l'agitation des molécules qui le composent. Les molécules les plus agitées sont celles les plus susceptibles de s'évaporer, quittant le liquide composé alors des molécules les moins agitées (le liquide est plus froid). Le taux d'évaporation de l'eau dépend de nombreux facteurs dont la température du l'eau, la concentration en vapeur d'eau dans l'air au dessus du liquide, le flux d'air au dessus du liquide ou encore la surface occupée par l'eau. En gros, pour faire sécher une goutte d'eau, ce sera plus rapide si l'eau est chaude, dans une atmosphère peu humide, avec un bon courant d'air dessus et si elle est bien étalée.
C'est exactement ce qui se passe avec notre sueur: quand on sue, notre transpiration absorbe la chaleur de notre peau, puis en s'évaporant ce qui nous reste de transpiration refroidit (et du coup le transfert de chaleur devient plus important avec notre peau). L'évaporation en continu de notre sueur va donc refroidir notre peau qui, étant fortement vascularisée, permettra de dissiper la chaleur venant des couches profondes de notre corps via la circulation sanguine. Les vaisseaux sanguins ont d'ailleurs tendance à se dilater quand on a un excès de chaleur, pour augmenter la quantité de sang qui élimine l'excès de chaleur au contact de notre peau. C'est pour dissiper notre excès de chaleur qu'on est tout rouge et tout suant lors d'un effort intense.
Le même phénomène existe sur nos cornets nasaux qui par contre sont recouverts d'eau en capturant l'humidité de l'air sur leur tissu muqueux (par hygroscopie, comme on dit chez les bricolos des naseaux). Chez les humains, dont la peau est recouverte de glandes sudoripares (pour suer comme des porcs), l'essentiel de notre régulation thermique est assurée par évapotranspiration. Mais chez des bestioles qui vivent dans des environnements très chauds et très secs tels des déserts, l'importance d'économiser de l'eau nécessite de privilégier la thermorégulation au niveau des cornets nasaux. Ca se voit tout de suite quand on compare les cornets nasaux des humains avec ceux des gazelles par exemple (j'ai trouvé que des images de moutons, mais c'est quasi pareil):
C'est carrément plus circonvolué chez les moutons et gazelles que chez les humains!
Je vous ai dit précédemment que les cornets nasaux, chez les gazelles par exemple, permettent de refroidir sélectivement le cerveau pour éviter la surchauffe. Comment que ça marche exactement?
Pour comprendre, il faut retracer le trajet des veines et des artères qui parcourent les cornets nasaux et le cerveau. Les cornets nasaux étant particulièrement vascularisés, on y trouve de très nombreuses veinules dans lesquelles le sang se retrouve refroidi car en contact avec les cornets nasaux eux même refroidis par l'évaporation locale. Ce sang veineux reflue vers le cœur mais, dans son trajet, va s'accumuler dans une sorte de boursoufflure veineuse qui se trouve sous le cerveau: le sinus caverneux.
Généralement, le réseaux de nos veines est totalement dissocié du réseau de nos artères. La particularité du sinus caverneux est qu'il est traversé par l'artère carotide. Je répète: une artère traverse une structure veineuse. C'est super chelou, non?
C'est peut-être chelou, mais c'est très pratique pour refroidir le sang artériel qui afflue vers le cerveau. L'artère est localement baignée par un sang veineux qui a été refroidi dans les cornets nasaux. Voilà à quoi ça ressemble chez un singe et chez une gazelle.
Ah ben tiens, chez la gazelle y'a une sorte de truc bizarre qui se passe dans le sinus caverneux: l'artère carotide semble se séparer en un réseau de petites artérioles. Ce réseau, on l'appelle le rete mirabile en latin (ce qui signifie réseau admirable) et voilà à quoi il ressemble chez un mouton:
Plus schématiquement le passage du réseau admirable artériel à l'intérieur du sinus caverneux ressemble à ça:
Le réseau admirable, composé de nombreuses petites artères, offre une plus grande surface d'échange de chaleur à l'intérieur du sinus caverneux ce qui aura pour effet de refroidir plus efficacement le sang artériel en direction du cerveau:
L'échange de chaleur se faisant dans le sens du chaud vers le froid, on comprend aussi que le sang veineux se réchauffe au contact du sang artériel et donc n'est pas trop froid lorsqu'il parvient au cœur. On parle alors de système d'échange de chaleur à contre-courant (ou SECC pour faire bref).
Et ça marche de la même manière pour des animaux qui vivent dans des milieux extrêmement froids et qui doivent éviter les déperditions de chaleurs et d'humidité. Cette fois-ci l'air froid qui rentre dans les naseaux et passe par les cornets va être réchauffé par le sang veineux et les cornets refroidissent. Par contre l'air expiré, chauffé par les poumons, va refroidir en contact des cornets froids avant de quitter les narines. On a alors une bonne conservation de la chaleur (mais aussi de l'humidité, grâce à l'hygroscopie des cornets).
Il suffit d'observer les cornets nasaux d'éléphants de mers ou de phoques pour se rendre compte de leur importance pour conserver la chaleur:
C'est encore plus impressionnant chez le phoque à capuchon:
Vous avez vu ces recoins en fractale, ça doit en abriter de la surface d'échange. Et bien sachez que le phoque à capuchon n'est pas peu fier de la peau qui tapisse ses cornets nasaux et n'hésite pas à les montrer à qui veut les admirer. Vous aurez certainement remarqué la drôle de structure qui orne les pifs des éléphants de mers et des phoques à capuchons (chez les mâles uniquement) et qu'on appelle bulbe, trompe ou proboscis. Lorsque les mâles veulent rivaliser sans se foutre sur la gueule, ils gonflent leur proboscis pour montrer qui a la plus grosse. Les phoques à capuchons, non contents d'être en mesure de gonfler leur proboscis, sont également capables de dévaginer et gonfler une partie de leur muqueuse nasale pour impressionner leur adversaire. C'est ce qui leur a valu leur nom latin par ailleurs, Cystophora cristata, dont le nom de genre signifie littéralement 'porter une vessie' (et pour le coup, je crois qu'ils ont véritablement pris leurs vessies pour des lanternes…). Les images et vidéo suivantes se passent de commentaires:
Allez, un petit gif animé pour fêter cette découverte! Hey les phoques à capuchons, ça vous va?
Bon je sens qu'on digresse, passons à un autre sujet:
- Hey Taupo, avec ton titre là, tu nous annonçais pas une convergence évolutive?
- Mais bien sûr fougueux Padawan! La convergence évolutive, on la trouve quand on quitte les museaux des mammifères pour inspecter les becs des oiseaux. Qu'est-ce qu'on y trouve à votre avis?
Vous les voyez ces sortes de barrages allongés le long du bec de cette dinde, de cette poule et de cette autruche en coupe sagittale? Et bien ce sont les cornets nasaux des oiseaux (chez qui on préfère utiliser le terme de conches).
On peut se rendre compte à quels points les cornets nasaux des mammifères et les conches des oiseaux sont similaires en les observant en coupe coronale:
Coupes coronales des cornets nasaux de 3 mammifères (A-C) et de conches de 3 oiseaux (D-F).
A, Echidné (Tachyglossus aculeatus); B, Opossum (Didelphis virginiana); C, Taupe à nez-étoilé (Parascalops breweri);
D, Bernache du Canada (Branta canadensis); E, Emeu (Dromaius novaehollandiae); F, Manchot du Cap (Spheniscus demersus).
Echelle = 2 mm.
Bien que similaires en apparences et en fonctions, ces structures ne sont probablement pas homologues, c'est à dire l'héritage d'un ancêtre commun entre les oiseaux et les mammifères. Il s'agirait de structures issues d'une convergence évolutive, c'est à dire ayant été acquises indépendamment au cours de l'évolution de la lignée des mammifères d'une part, et des oiseaux d'autre part.
Une manière de s'en convaincre, c'est d'étudier précisément les tissus qui composent ces structures: chez les mammifères, les cornets sont composés de lamelles osseuses très fines, souvent perforées, et qui se recourbent comme des parchemins. Chez les oiseaux par contre, les conches sont robustes et faites de cartilages, qui peuvent parfois s'ossifier. Le développement embryonnaire de ces structures est aussi différent, n'impliquant pas exactement les mêmes tissus.
Enfin, de nombreuses espèces qui sont les descendants du dernier ancêtre commun des mammifères et des oiseaux, ne possèdent pas de conches ou de cornets.
On peut s'en rendre compte en faisant encore des coupes sagittales et coronales, comme ici chez un alligator:
Une autre manière de s'en rendre compte, c'est de mesurer la température de l'air inhalé et exhalé pour savoir si il y a un système de chaleur à contre courant. Chez l'alligator, c'est niet:
On peut aussi s'en rendre compte en réalisant un thermogramme d'un lézard, comme le varan des savanes:
Dans cette image, on voit que la narine chauffe quand le varan expire, ce qui est un gros fail de conservation de la température et confirme qu'avoir des cornets dans le pif, c'est pas mal pour éviter le gaspillage d'humidité et de chaleur. On le voit bien quand on réalise des mesures de température et d'humidité de l'air respiré par une oie:
Il y a ici l'optimisation de la gestion en eau et chaleur grâce aux conches:
Alors comment ça se fait qu'il y ait une telle similitude de fonctionnement entre les mammifères et les oiseaux, et une absence de ce genre stratégie d'économie chez le varan ou l'alligator? Et bien c'est qu'oiseaux et mammifères partagent un autre point commun, également issu d'une convergence évolutive: ce sont deux lignées d'animaux endothermes. En gros, cela signifie que les oiseaux et les mammifères produisent leur propre chaleur. A contrario, varan et alligators sont ectothermes et captent l'essentiel de la chaleur nécessaire à leur fonctionnement par radiation (en bronzant au soleil quoi). Les ectothermes ont donc moins besoin de grailler et même de respirer que les endothermes. Du coup, vu qu'ils sont déjà assez spartiates, ils n'ont pas vraiment besoin de faire des économies de chaleur (ils vont juste attendre leur séance d'UV), ou d'humidité (vu qu'ils respirent moins souvent).
Les endothermes, eux, produisant leur chaleur, doivent se taper régulièrement des gueuletons, et respirent beaucoup plus fréquemment. C'est là que la conservation de la chaleur et de l'humidité prend tout son sens. Ce qui est fascinant, c'est que l'endothermie et les cornets/conches ont été acquis au moins deux fois au cours de l'évolution des vertébrés. A y regarder de plus près, on voit plein de différences qui nous montre que ça n'a pas grand chose à voir (la température corporelle par exemple, qui est en moyenne de 41-42°C chez les oiseaux et de 37°C chez les mammifères). Certains oiseaux peuvent aussi utiliser leur trachée comme système d'échange de chaleur à contre courant (ils ont un plus grand cou, donc généralement plus de surface d'échange), alors que c'est un système très limité chez les mammifères.
Quand les chercheurs ont établi cette convergence évolutive, ils se sont demandés si la présence de cornets nasaux ne pouvaient pas être un bon indicateur de l'endothermie. Chez les animaux actuels, c'est vrai que c'est assez frappant. Mais du coup, cela pourrait éventuellement permettre de répondre à une controverse qui nous a tous passionné malgré nous, après le visionnage du premier Jurassic Park: ces satanés dinos avaient-ils le sang chaud?
Pendant pas mal de temps, très peu d'indices fossiles laissaient supposer que les dinosaures (dinosaures non aviens, hein, c'est à dire tous les dinosaures sauf les oiseaux, remember?) puissent être endothermes. Par exemple, on ne trouvait pas de cornets nasaux comme chez les oiseaux ou les mammifères. Du coup, le modèle prédominant était celui-ci:
Les dinosaures non aviens étaient comme des alligators, sans système d'échange à contre courant. A l'époque, en plus, on n'avait pas trouvé de plumes de dinosaures. Or depuis qu'on découvre des myriades de dinos plumeux et duveteux, la question de l'endothermie revient sur le tapis. En effet, un des rôles probables des plumes de dinosaures non aviens est celle employée par les oiseaux: un rôle d'isolant thermique. Et un isolant thermique, pour une espèce ectotherme, ce serait un peu couillon vu qu'elle a besoin de capter la chaleur de l'environnement…
C'est en cela que les récentes découvertes de l'équipe de Lawrence M. Witmer sont particulièrement intéressantes. Spécialisés dans la tomographie assistée par ordinateur, ces paléontologues reconstruisent la structure tridimensionnelle de crânes de dinosaures mais aussi d'espèces actuelles pour mieux les comparer. Ces tomographies permettent de reconstruire virtuellement l'aspect externe du crâne mais aussi les structure internes ce qui offre la possibilité de réaliser une sorte de moulage virtuel de structures molles ayant totalement disparues, comme le cerveau, des vaisseaux sanguins, des nerfs, etc. Leurs travaux ont ainsi permis de comparer précisément l'aspect, la taille et le volume de cerveaux de plusieurs dinosaures, ou encore localiser précisément leurs narines.
Ce qui va bien sûr nous intéresser ici, c'est ce qu'ils ont trouvé dans la cavité nasale de leurs spécimens. Un d'entre eux, dont l'étude a été publié en 2010, est un tyrannosauridé au crâne particulièrement bien préservé et dont les conduits respiratoires semblent posséder des conches nasales:
Un autre spécimen étudié est Stegoceras, un pachycéphalosaure dont l'étude par l'équipe de Witmer est parue en 2014. Commençons par présenter le bestiau: un dinosaure bipède, au crâne renforcé en forme de dôme et dont la taille en aurait fait un parfait brise-burne:
Comme vous pouvez le constater, le crâne de Stegoceras étudié est en très bon état de conservation ce qui a permis à l'équipe de paléontologues d'en faire une reconstruction fidèle, notamment au niveau de la cavité nasale. Ce qui a intéressé ces chercheurs, c'est de modéliser le flux d'air pénétrant dans la cavité et notamment la distance entre les narines et le bulbe olfactif dont l'empreinte était encore visible sur les parois du crâne. Ils se sont aperçus que si la cavité était totalement vide, leur modélisation de flux d'air ne parvenait pas à atteindre le bulbe olfactif (ce qui est peu probable).
Ils ont alors décidé d'insérer différentes formes virtuelles au sein de leur cavité nasale et devinez quelle forme permet au flux d'air d'atteindre les bulbes olfactifs? Ben bien sûr! des cornets!
Le flux d'air qui s'engouffre dans les cornets est donc stabilisé et dirigé en plein sur le bulbe olfactif.
Ces données sont en plus compatibles avec le trajet des artères et des veines dans le crâne se Stegoceras, suggérant que ces cornets nasaux puisent avoir joué le rôle de système d'échange de chaleur à contre courant chez notre drôle de dinosaure:
Allez, pour bien digérer toutes ces infos, une petite vidéo récapitulative:
Ca fait donc au moins deux dinosaures chez qui on trouve des cornets nasaux, et au moins un chez qui ceux-ci sont associés à un système vasculaire suggérant un rôle dans le contrôle de la température corporelle. Seulement voilà, la même équipe, dans la même étude, a comparé la structure des cornets nasaux de Stegoceras, avec ceux d'une autruche et la cavité nasale d'un alligator. Et l'équipe a découvert dans ce dernier que sa paroi nasale était particulièrement bien vascularisée.
Or, on est d'accord, un alligator, c'est pas un endotherme, mais un ectotherme. Ce qui signifie que leur découverte chez l'alligator jette un doute sur l'utilité de structures vascularisées dans le pif pour caractériser si un animal est endotherme ou pas… L'hypothèse privilégiée serait que ce système serait utile pour éviter la surchauffe du cerveau, que l'animal concerné soit endotherme ou ectotherme. Et ben c'est sympa ça, de nous faire miroiter une réponse à une question vieille comme Jurassic Park pour finalement nous la pourrir sur le champ… Donc conclusion, on peut encore rien dire… suuuuuuuuuuper. Ah si, du coup, on peut au moins dire qu'il est probable que Stegoceras utilisait un contrôle de la température cérébrale et donc un refroidissement sélectif du cerveau, analogue à celui qu'on trouve chez les mammifères et les oiseaux. ouééééé!
Mais l'équipe de Witmer n'a pas fini de nous surprendre avec ses tomographies à haute résolution. Depuis quelques années, les bougres ont scanné plusieurs crânes d'ankylosaures, les sortes de chars d'assaut des dinosaures:
Ils ont scanné par exemple le crâne d'Euoplocephalus tutus (qui a une bonne tête de têtu):
Classiquement, la cavité nasale des ankylosaures était envisagée comme une sorte de chambre simple et creuse. L'équipe de chercheur fut donc passablement surprise qu'en guise de chambre simple, ils y trouvèrent plutôt une structure ressemblant à des "pailles folles", vous savez, les pailles avec lesquelles on buvait notre lait fraise:
Je sais pas vous, mais entre les cornets, les ballons rouges des phoques et les pailles folles des ankylosaures, j'ai bien l'impression que l'évolution s'est cru à une fête foraine au niveau des cavités nasales. Je vous prédis déjà la découverte des structures barbe à papa et churros dans les années qui suivent…
Bon et alors, ces pailles folles d'Euoplocephalus tutus, ça ressemble à quoi?
Pour couronner le tout, de telles structures ont été retrouvées chez un autre ankylosaure: Panoplosaurus. Niveau fonctionnalité, vu que ces conduits respiratoires sont longés par de larges vaisseaux sanguins, il semblerait que nous soyons de nouveau en présence d'une structure permettant un système d'échange de chaleur à contre courant. Il s'agit donc d'une convergence évolutive fonctionnelle: des structures vraiment différentes (cornets contre paille folle) pour un rôle similaire.
Cependant, les auteurs n'excluent pas la possibilité que les conduits respiratoires labyrinthiques des ankylosaures aient pu avoir un rôle dans la communication. En effet, ces structures présentent une taille suffisamment importante pour que les ankylosaures puissent les avoir utilisés comme des trompettes:
Et bien je pense que l'évolution vient de m'indiquer la meilleure manière d'achever ce billet… en fanfare pardi!
PS: Un immense merci aux communautés du Café des Sciences, Strip Science, Vidéosciences et Podcast Science qui m'ont aidé à corriger ce texte, notamment concernant l'aspect thermodynamique de l'évaporation (Big Up à Irène, Tania, Johan, Lê, Jean-Michel, Leïla, Pascale, Pierre, Boris, Viviane et Nicolas!).
Liens:
Article Sirtin
Owerkowicz Lab
Nasal Turbinates and Hot Blooded Dinos
Witmer Lab
Article Laelaps (1 et 2)
Article io9
Article EurekAlert
Article Heritage Daily
Article Pick and Scalpel
Gifs de machines
Références:
Bourke, J. M., Porter, W. M., Ridgely, R. C., Lyson, T. R., Schachner, E. R., Bell, P. R., & Witmer, L. M. (2014). Breathing life into dinosaurs: tackling challenges of soft-tissue restoration and nasal airflow in extinct species. Anat Rec (Hoboken), 297(11), 2148-2186. doi: 10.1002/ar.23046
Dial, K. P., Shubin, N., & Brainerd, E. L. (2015). Great Transformations in Vertebrate Evolution: University of Chicago Press.
Geist, N. R. (2000). Nasal respiratory turbinate function in birds. Physiol Biochem Zool, 73(5), 581-589. doi: 10.1086/317750
Miyashita, T., Arbour, V. M., Witmer, L. M., & Currie, P. J. (2011). The internal cranial morphology of an armoured dinosaur Euoplocephalus corroborated by X-ray computed tomographic reconstruction. J Anat, 219(6), 661-675. doi: 10.1111/j.1469-7580.2011.01427.x
Witmer, L., & Ridgely, R. (2010). The Cleveland tyrannosaur skull (Nanotyrannus or Tyrannosaurus): new findings based on CT scanning, with special reference to the braincase. Kirtlandia, 57, 61-81.
Witmer, L. M. (1995). Homology of facial structures in extant archosaurs (birds and crocodilians), with special reference to paranasal pneumaticity and nasal conchae. Journal of Morphology, 225(3), 269-327. doi: 10.1002/jmor.1052250304
Witmer, L. M., & Ridgely, R. C. (2008). The paranasal air sinuses of predatory and armored dinosaurs (archosauria: theropoda and ankylosauria) and their contribution to cephalic structure. Anat Rec (Hoboken), 291(11), 1362-1388. doi: 10.1002/ar.20794