En quoi a consisté le changement que vous avez mené ? Pour simplifier, en sept sous-sujets.
- Le problème principal était que la fusion de l’entreprise et de son acquisition n’était pas achevée. Résultat : les gens n’arrêtaient pas de se « tirer dans pattes ».
- Il fallait « mettre le client au centre ». Autrement dit, il fallait identifier les marchés et les produits sur lesquels concentrer les ressources de la société.
- Puis il y avait la performance opérationnelle. Là, il s’agissait d’aligner les produits et de remettre en marche le processus d’innovation.
- Venait ensuite la performance industrielle. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’était pas homogène et que les sites étaient « décalés ».
- Arrivé là il fallait donner les outils dont avaient besoin les gens. Concrètement il fallait harmoniser les systèmes d’information et les procédures internes.
- Et il n’y avait pas de gestion des ressources humaines.
- Il fallait, finalement, créer des réseaux fonctionnels. Les gens ne discutaient pas ensemble. Il fallait faciliter l’accès à la connaissance au-delà de l’organigramme.
Comment vous y êtes-vous pris ? Le problème central était que la fusion n’était pas faite. Il n’y avait pas la même stratégie en Allemagne et en France. J’ai découvert, d’ailleurs, que l’Allemagne avait engagé son propre consultant pour définir sa stratégie. Dans une moindre mesure, c’était partout la même chose. Par exemple, l’Asie était laissée à elle-même, et l’Amérique vivait en autarcie. J’ai pensé que le seul moyen de réaliser la fusion était que tout le monde participe à la conception de la mise en œuvre de la stratégie. Cela a été un travail long et pénible. Mais, à la fin, tout le monde s’est retrouvé dans la même stratégie. Il y avait partage de vision, de son intérêt et de la façon de la mettre en œuvre.
Cela a demandé beaucoup de temps ? Deux ans, environ. J’ai commencé par une réunion de coup d’envoi avec tout le monde. Puis je suis allé partout pour expliquer la stratégie. Puis on a présenté à chacune des trente entités de la société ce qu’on attendait d’elle. C'est-à-dire qu’elle écrive un plan stratégique. Cent à cent cinquante personnes ont été concernées par ce travail. Il a été animé par le comité de direction. Il a été difficile. En effet, à la fois dans le comité de direction et dans les entités, il y avait peu de « stratèges naturels »… J’ai dû accepter certaines hétérogénéités. Ce qui était frustrant. Mais faire ce travail a forcé les gens à réfléchir. Et ça a arrêté la compétition entre la France et l’Allemagne. En fait, il y a eu de fortes oppositions. Longtemps les gens se sont regardés en chiens de faïence. Par exemple, il a fallu énormément de temps et d’énergie pour convaincre les patrons géographiques de l’intérêt de la coopération. Même problème avec les bureaux d’études. Autre exemple : l’Allemagne refusait les prototypes venant de France… Il a fallu se battre pied à pied. Il y a eu plusieurs phases. D’abord, la présentation, puis l’explication entité par entité. Puis il a fallu que l’équipe de management fasse ses preuves. Il s’agissait de démontrer que l’on était sérieux, que l’on « n’était plus au fil de l’eau ». On a précisé nos marchés clés, mis en place progressivement un processus de gestion grands comptes, et défini et déployé un plan produit. Ce n’est que là qu’a vraiment démarré le processus « bottom up », que les entités ont dit « voilà ce que la stratégie du groupe signifie pour nous ». Et le management intermédiaire s’est ré impliqué.
Quels en ont été les résultats ? Jusque-là chacun y allait de son idée, il n’y avait pas de standard, pas d’efficacité, il y avait des baronnies qui créaient des dissensions… A partir du moment où les gens ont compris qu’ils appartenaient à la même entreprise, son fonctionnement est devenu rationnel. On a mis en place une gestion grands comptes, on a défini des gammes de produit en partant de ce que l’on avait de meilleur, les gens de différentes nationalités se sont mis à travailler ensemble… On a pu aussi homogénéiser les systèmes d’information et les processus. A titre d'exemple, voici le cas du CRM. Les Allemands avaient SAP et les Américains utilisaient un développement interne sur mesure, maintenu par deux ou trois personnes. On s’est rendu compte que la meilleure des deux solutions était le logiciel américain. La gestion des ressources humaines posait une autre difficulté. L’ancien dirigeant avait grandi avec la société. Il pensait connaître les gens qui comptaient. Il les récompensait en fonction de ce qu’il jugeait être leur mérite. Cela ne convenait pas à la logique du fonds. Elle demande que l’on soit jugé sur les atteintes d’objectifs quantitatifs. Il fallait surtout un moyen de reconnaître l’apport de chacun au succès collectif et que les talents, quelle que soit leur origine, soient convaincus qu’ils peuvent se développer dans l’entreprise. Le départ de l’ancien dirigeant a permis d’installer une véritable gestion des ressources humaines. La conséquence naturelle de tout ceci a été de favoriser les échanges transversaux. Par exemple, j’ai organisé des « journées réseaux ». D’un seul coup, ça semblait logique aux membres de l'entreprise de discuter entre eux.
N’est-ce pas physiquement épuisant de devoir faire le tour de la terre pour manager des entreprises qui sont sur plusieurs continents ? C’est au contraire ce que j’aime le plus dans mon métier. J’aime aller d’unité en unité. Je réserve toujours du temps pour rencontrer tous ceux qui travaillent pour l’entreprise. Cela demande quand même une hygiène de vie et une organisation précise quand l’entreprise est réellement internationale.