Je dois dire que je l'espérais, malgré les qualités des autres ouvrages sélectionnés pour le Prix Rossel 2015: Eugène Savitzkaya, qui manquait vraiment au palmarès malgré une oeuvre capitale conduite depuis une quarantaine d'année, en est le lauréat pour Fraudeur, son roman paru au début de l'année en même temps qu'un recueil de poèmes, A la cyprine. Nous nous étions échangé, à propos de ces deux ouvrages, questions et réponses par écrit. Voici cette presque conversation.
Vous avez été
relativement silencieux ces dernières années, publiant plus discrètement.
Eprouviez-vous le besoin de prendre un peu de recul par rapport à
l’écriture ?
En fait, j’ai dû
m’habituer à ma fonction de professeur de littérature au sein de l’Ecole
Supérieure des Beaux-Arts de Liège, et cela m’a demandé une grande
concentration qui m’a quelque peu éloigné de ma propre création.
Dans Fraudeur, le « fou » d’une
quinzaine d’années fait irrésistiblement penser à vous. S’agit-il bien d’une
sorte d’autobiographie ? Réinventée ? Rêvée ?
Il s’agit bien d’un
travail à partir d’un territoire précis situé en Hesbaye, région dans laquelle
j’ai vécu de l’âge de cinq ans à l’âge de dix-huit ans avec mes parents et mes
frères. J’avais très envie d’explorer une partie de ma mémoire et de mieux
cerner le personnage de ma mère avec son histoire dans les bouleversements de
l’Europe.
L’accent est mis sur
les sensations davantage que sur les émotions, à moins que les émotions soient
l’effet de ce que perçoivent les sens. En particulier l’odorat, le goût, le
toucher, dans la continuité de vos livres précédents. Est-ce votre manière
d’appréhender le monde ?
J’ai voulu préciser
les sensations anciennes, celles de l’enfance et de l’adolescence et mesurer ma
capacité à m’émouvoir encore à l’évocation d’un monde révolu. D’autre part, je
considère que mon corps est un véritable récepteur et une sorte de sismographe
très sensible.
Il y a, dans Fraudeur, une grande douceur, malgré
quelques images plus brutales (les viscères des lapins, par exemple). Vous
sentez-vous apaisé ?
Ne m’apaise que
l’amour charnel et le vin jeune.
Si le décor est pour
l’essentiel celui de la campagne wallonne, de multiples échappées se font vers des
territoires plus slaves. S’agit-il d’un retour vers les origines d’avant votre
propre origine ?
J’ai voulu rendre
compte du peu que je sais de l’histoire de mes géniteurs, des pays où ils sont
nés, qu’ils ont traversés, de leur exil dans l’accueillante Wallonie.
La poésie
reste-t-elle pour vous un mode d’écriture fondamental qui vous conduit à
publier, en même temps que le roman, un recueil de poèmes, A la cyprine ?
Non seulement elle est
une écriture fondamentale, mais elle m’est indispensable. Elle me rattache à
jamais à mon cher maître Jacques Izoard, le plus grand poète français avec
François Jacqmin.