Pour une protection effective des témoins en Afrique

Publié le 29 novembre 2015 par Unmondelibre
Version imprimable

Apparue dans les années 70 aux Etats-Unis sous la forme d’une procédure légale utilisable dans le cadre d’un programme de démantèlement d’organisations criminelles de type mafia, la protection des témoins semble aujourd’hui constituer une donnée cardinale dans la lutte contre la criminalité. Dans le monde, de nombreux pays ont créé des programmes spécialisés ou ont, à cette fin, légiféré. Les Etats africains, fort heureusement, ne sont pas restés en marge de ce mouvement. Cependant, si ces Etats dans leur ensemble disposent plus ou moins de réglementations en la matière, l’observation montre qu’en Afrique la protection des témoins ne reste qu’un vœu pieux. Comment passer alors des paroles aux actes?

Nul doute qu’il est essentiel qu’un témoin puisse déposer dans un cadre judiciaire ou coopérer à des enquêtes de police sans craindre l’intimidation ou des représailles. De ce point de vue, la protection des témoins en raison de leur interaction avec la justice constitue à la fois une nécessité et une obligation pour l’Etat. Une nécessité en ce qu’il s’agit de préserver leur volonté et leur capacité de collaborer avec la justice et de préserver l’intégrité de la preuve en punissant toute interférence ; une obligation en ce que l’Etat a le devoir de protéger les personnes résidant sur son territoire (mission régalienne), mais également doit respecter les traités et requérant des législations nationales régulant la protection des victimes, témoins, dénonciateurs et lanceur d’alerte telle la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003. D’ailleurs, protéger les témoins, c’est respecter des droits non moins fondamentaux que sont les droits de l’homme à la sécurité et à la protection.

Malheureusement, il est de pure constatation que les Etats africains protègent insuffisamment ou pas du tout les témoins. Dans la plupart des affaires, les témoins ne reçoivent pratiquement aucune assistance. Aucune mesure de type procédural et extra-procédural n’est par exemple prise pour prévenir les menaces auxquelles les témoins seraient exposés. Au Burundi, en juillet 2013, la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) alarmée, faisait remarquer devant le Parlement que le manque d’un véritable mécanisme de protections des victimes et témoins provoquait la peur des représailles et donc le refus de témoigner. Ce qui amenait les autorités judiciaires à libérer des auteurs présumés de différentes exécutions extrajudiciaires pour absence de témoins. Cet exemple montre que l’absence de protection de témoins,  entraînant un refus de témoigner de la part de ces derniers, peut conduire à une impunité. Or, il est du devoir de l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l’impunité et pour assurer également la crédibilité de son système judiciaire.

Ce faisant, une réflexion est à entreprendre au niveau des mesures susceptibles d’améliorer la pratique des Etats. Avouons d’emblée que les mesures de protection nécessitent des fonds. Parler de protection des témoins sans parler de fonds serait une gageure. L’on touche peut être du doigt la première difficulté des Etats africains dont le manque de fonds pourrait être un obstacle à une réelle prise en compte des témoins. Toutefois, cette difficulté peut être contournée si la recherche de la confidentialité est privilégiée dans la protection des témoins. Les mesures confidentielles telles la dissimulation ou le changement de l’identité du témoin ayant l’avantage de nécessiter peu de coût par rapport à celles opérationnelles telles la fourniture d’une escorte, d’une résidence temporaire ou encore la réinstallation. Les Etats gagneraient à privilégier les premières pour ne réserver les secondes qu’aux cas jugés graves. Une telle solution associée à la création d’un organe de protection agissant par le biais d’unités secrètes pourrait permettre également de juguler des obstacles à la protection des témoins que pourraient être l’implication souvent dans les crimes et scandales et la corruption des instances étatiques.

Au demeurant, l’adoption d’une loi spéciale, même si elle ne garantit pas forcément la protection des témoins, n’est pas à écarter. Assurément, elle renforcerait d’avantage les obligations de l’Etat et pourrait même constituer un moyen de pression contre celui-ci pour une prise en compte réelle des témoins. Ce d’autant plus que le code de procédure pénale dans les Etats n’offre qu’une protection indirecte et insuffisante et que les conventions internationales  recommandant la protection des témoins sont insuffisamment mises en œuvre.

Mais, la protection loin d’être mise en mouvement dans toutes les affaires, c’est-à-dire être généralisée, le soin sera laissé à la loi d’en définir les modalités et les conditions de son déclenchement. Il reste de toute façon entendu que ce système pourrait servir surtout les pays ayant connu des crises, donc serait décisif pour la justice rendue post-crise la peur de représailles peut empêcher l’éclatement de la vérité, donc la réconciliation. En outre, le consentement de la victime ou du témoin étant l’un des prérequis de la protection, la frontière entre délation et témoignage doit être tracée. Car trop souvent, dans une Afrique la culture se présente comme une pesanteur, la confusion entre les deux termes peut être un obstacle au témoignage. C’est pourquoi, le témoignage, souvent la clé d’enquêtes et de poursuites réussies, devrait être encouragé et promu comme un acte civique via des campagnes de sensibilisation.

Les perspectives sont donc ouvertes. Aux Etats de les explorer, en étant bien conscients qu’en matière de protection des témoins, il n’existe pas de solution facile. La recherche d’une protection effective des témoins constitue certes dans et pour nombre d’Etats africains un défi de taille. Mais avec davantage d’engagement  et surtout de volonté politique celui-ci est susceptible d’être relevé.

ZAKRI Blé Eddie – Etudiant-chercheur au LECAP de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody - Le 30 novembre 2015.