[Critique] Comment c’est loin

Par Régis Marton @LeBlurayphile

Un film de : Orelsan, Christophe Offenstein

Avec : Aurélien " Orelsan " Cotentin, Guillaume " Gringe " Tranchant, Seydou Doucouré, Claude Urbiztondo Llarch, Ablaye, Skread, Paul Minthe, Sophie De Fürst, Chloé Astor, Redouanne Harjane, Isabelle Alfred, Alain Dion, Mathilde La Musse, Marc Brunet, Jeannine Cotentin, Clément Cotentin, Marine Forster Bourdin, France Hofnung.

Après une dizaine d'années de non-productivité, Orel et Gringe, la trentaine, galèrent à écrire leur premier album de rap. Leurs textes, truffés de blagues de mauvais goût et de références alambiquées, évoquent leur quotidien dans une ville moyenne de province. Le problème : impossible de terminer une chanson. À l'issue d'une séance houleuse avec leurs producteurs, ils sont au pied du mur : ils ont 24h pour sortir une chanson digne de ce nom. Leurs vieux démons, la peur de l'échec, la procrastination, les potes envahissants, les problèmes de couple, etc. viendront se mettre en travers de leur chemin.

Les paumés du nouveau siècle

Pour son premier film, Orelsan choisit un thème cher à sa génération : celui de la procrastination, fléau maintes fois désigné comme principal écueil aux avancées de la jeunesse du nouveau millénaire. Si la mise en scène manque cruellement de matière - les quelques tentatives d'esthétisation ne suffisant pas à compenser l'aspect malingre et balbutiant de l'ensemble - le rappeur insuffle à son film fraîcheur et liberté de ton, imprimées par l'honnêteté d'un dialogue cru, des nombreux passages chantés, des gags relevant des punch-lines des couplets de chanson Hip-hop, et de l'amour franc porté aux petites villes de province, dont on sent que le " casseur flowter " en a bien arpenté les trottoirs. Ici, tout est honnête ; Orel a vécu ce qu'il raconte, il aime ce qu'il filme, et ça se sent dans chaque plan. La mise en scène fait écho aux tourments des protagonistes, et de simple tracé un peu fadasse, monte en puissance pour ne s'emballer réellement que dans l'ultime partie du récit, à l'instant où les deux héros trouvent enfin la force de mettre à mort cette flemme qui leur colle aux baskets.

Le film répond aux instincts de ses personnages, et donc de son auteur, qui cadre aussi franchement qu'il écrit, et c'est déjà pas mal. Alors oui, c'est peu maîtrisé, pas toujours inspiré dans le jeu, vraiment léger sur la forme, mais c'est honnête, frais et touchant. De quoi offrir à notre génération en dérive un petit réconfort fraternel, un vous n'êtes pas seul, de la part d'un type qui a surmonté l'épreuve. C'est une rareté que ce geste tendre envers les paumés du nouveau siècle. Ça rassure, et par-delà le simple fait artistique, l'idée trouve une importance sociale, en donnant une voix cinématographique à ceux qui n'en avaient aucune ; loin de la bourgeoisie égocentrique de Xavier Dolan, ou du suivisme irréfléchi des nouveaux faiseurs, même si c'est une voix encore tremblante, pas très maîtrisée, elle fait un peu de bien, et on attend la suite.

Pour ceux et celles qui voudraient creuser le sujet, le Mallrats (Les glandeurs en VF) de Kevin Smith y apporte une folie toute américaine, drapant ses thématiques de l'esthétique geek chère à son auteur. On y perd peut être en sincérité, mais la tendresse, elle, est toujours présente.

Crédits images : Nolita Cinema / Les canards sauvages

The following two tabs change content below.