Difficile d’écrire après ça.
Le quotidien semble pourtant avoir repris ses droits.
Travail, bus, métro, sorties entre amis, internet, sorties en solo, courses.
Le quotidien est là et les conversations aussi. On échange sur nos sujets habituels, mais en filigrane, il y a toujours un moment où l’on en parle, on y pense avec mes amis, mes collègues ou ma famille.
Au boulot, le lundi suivant les attentats du 13 novembre, on a parlé entre collègues. D’abord, quand je suis arrivée, on s’est serré très très fort dans les bras. Lorsque l’un nous a expliqué que ce soir là, lui et une amie sont arrivés en début de soirée à l’un des bars attaqués dans le 10ème. Il voulait s’attabler en terrasse, manger. Boire un verre. Mais son amie craignait d’avoir froid alors ils ont fini par partir dans un autre bar un peu plus loin. Cet autre collègue qui était chez un pote dans le 11ème, lui et ses potes sont sortis de l’immeuble se trouvant à quelques mètres de l’un des bars attaqués, ils sont un peu restés dehors puis ils ont choisi de changer de quartier avant les attaques.
L’un a appris ce qu’il se passait parce que ses parents l’ont appelé en panique. Un autre collègue l’a su parce qu’il regardait la télé. Moi je l’ai su parce que j’ai reçu deux messages de deux personnes différentes me demandant si tout allait bien et si j’étais chez moi. Je passais la soirée devant mon ordi. Je regardais une série. Je n’ai pas compris ce qu’il se passait. Jusqu’à ce que j’allume la télé.
Puis les textos envoyés aux proches pour savoir comment ils vont. Les messages sur les réseaux sociaux pour dire que oui ça et toi ça va ? Tu es en en sécurité ? Où es tu ? Comment vont tes proches ?
Le samedi 14, on s’est retrouvé chez une amie. Je ne pouvais pas rester seule. Je ne voulais pas rester seule. Puis plus tard dans la soirée, nous sommes allés place de la République. On a décidé ça en quelques minutes. Quelques stations de métros plus tard, nous y étions. Les rues étaient vides. le métro était vide. Il y avait un peu de monde sur la place. Du silence. Quelques paroles échangées, des bruits de conversations, les présentateurs télés avec leur matos. Mais le silence quand même. On ne s’est pas attardé car on craignait le côté foule et émotionnellement c’était difficile. J’ai posé une bougie, j’ai fermé les yeux plusieurs secondes, plusieurs minutes, je ne sais plus. Puis nous sommes partis.
On a lu plusieurs témoignages de survivants. Des récits terrifiants. On en discute entre nous. Et puis les actes de bravoure, des gens qui ont aidé, qui se sont précipités pour faire ce qu’ils pouvaient. On parle aussi, des histoires de personnes qui par un concours de circonstances ne se sont pas retrouvées dans ces lieux. On parle de nous, qui par un changement de planning, avons finalement fait autre chose ce soir là plutôt que d’aller dans ces coins de Paris très familiers. On parle du fait qu’on n’arrive toujours pas à intégrer que quelque chose d’aussi anodin que d’aller boire un verre, marcher dans la rue, travailler, partager un repas entre amis, aller voir son groupe préféré en concert soit devenu quelque chose de terrifiant cette nuit là.
On parle et on pense, beaucoup aux victimes. Leur visage, leur âge, leur prénom, ce qu’elle faisait dans la vie. Parce que c’est dur de se dire que ces personnes sont mortes parce qu’elles ont pris un moment pour partager un repas entre amis, écouter de la musique. Que ces personnes on ne les connaissait pas personnellement, mais qu’elles étaient un ami, une collègue, une voisine, un pote de fac, un fils, une fille, une maman, un papa, l’épouse, le mari et on pense aux familles, aux amis, aux proches qui ont perdu quelqu’un et on se demande comment ils vont faire maintenant pour continuer à vivre après tout ça.
Lundi, et plusieurs jours après. J’étais frappée par le visage des gens dans le métro. Moi qui me balade constamment avec mon casque et ma musique sur les oreilles dans les transports en commun. J’ai mis du temps, plusieurs jours en fait, à reprendre cette habitude. Je regardais les expressions des gens dans les transports. J’y voyais comme un miroir de ce que je pouvais ressentir. J’ai croisé beaucoup de regards. J’y ai lu beaucoup de choses.
On a parlé pas mal de la séquence du Petit Journal, où un petit garçon dit à un journaliste que : les méchants c’est pas très gentil. J’ai vu plusieurs critiques sur les réseaux sociaux liés à l’aspect ridiculeusement bisounours de cette séquence. Des gens ont trouvé ça moyen que le papa dise à son petit qu’il faut combattre les méchants avec des fleurs, que c’est en dehors des réalités. Cette séquence a réchauffé le coeur d’autres personnes. Personnellement, j’ai aimé cette séquence. Chacun trouve son réconfort comme il peut. Pour moi cela a été de regarder cette séquence et aussi de lire la lettre d’un papa à son petit garçon . Cette lettre pleine de vérités sombres, mais aussi d’espoir de ce père pour son fils, m’a fait pleurer. Après une semaine de sidération, c’est à ce moment que les vannes ont lâché pour moi. D’autres ont trouvé leur réconfort et ont recommencé à aller de l’avant grâce à leur foi, en priant au cours d’une messe à l’église, en partageant des parties du Coran, en allumant une bougie et en ayant une pensée pour les victimes, en prenant quelqu’un d’autre dans les bras et en restant comme ça plusieurs secondes, plusieurs minutes, en envoyant des messages d’amour aux proches, en allant boire un verre en terrasse, en posant des fleurs aux endroits attaqués, en faisant de la musique, en se retrouvant entre amis, en parlant avec des inconnus de la peur, de la tristesse et de l’après, en regardant des vidéos humoristiques, en posant un regard plein d’amour sur leur enfant.
Personnellement, le quotidien a repris. Pas de manière tout à fait tranquille. Les premiers jours, j’avais la trouille. J’éprouvais d’ailleurs une certaine honte à avoir la trouille parce que je me disais : tu devrais faire face, tu devrais pas avoir peur. Et au final en discutant avec des collègues et amis, je me suis aperçue que je n’étais pas la seule à ressentir de la peur, de l’inquiétude. Il m’a fallu quelques jours pour prendre le métro sans être en alerte. Retourner boire un verre.
Je pense à ce qui s’est passé et je pense à la suite. Nous. Chacun à notre niveau. Qu’est ce que l’on peut faire. Qu’est ce que l’on doit faire.
Je pense aussi aux autres peuples touchés au Liban, au Mali, en Irak, au Pakistan, en Syrie, au Nigeria notamment.
J’ai pensé à mon papa aussi. Décédé, il y a plusieurs années. Il était un musulman pratiquant. Son papa était maître coranique en Afrique de l’Ouest. Je me demande comment il aurait réagi. Je pense qu’il aurait insulté les terroristes, il les aurait traité de connard et aurait dit qu’il fallait leur botter les fesses (quand il était énervé, il avait pléthore de gros mots et dans ce cas, il ne se serait pas gêné). Je pense que nous aurions discuté de ces gens qui au nom de sa religion et de son dieu tuent autrui. Il aurait certainement été choqué et très triste aussi.
Depuis les événements, je pense aussi beaucoup à mes proches. Mes bises pour dire bonjour ou au revoir se font plus appuyées. C’est furtif, mais il y a un léger changement chez moi dans mon comportement avec eux. J’ai plus conscience de ces moments présents, de profiter et je me dis parfois qu’il ne faut pas attendre pour se dire de belles choses, pour avoir de beaux gestes envers les autres, pour rire, pour partager des moments qui font du bien entre nous. La vie semble parfois si fragile.
Fragile.
Des liens :
Le site Madmoizelle a réalisé une vidéo pour expliquer la stratégie du terrorisme, c’est par ici
Sur Facebook, je suis tombée sur cette citation de Malala : avec des armes, vous pouvez tuer des terroristes, avec l’éducation, vous pouvez tuer le terrorisme. L’Unicef en partenariat avec Malala a développé un programme : la voix des jeunes. Ce programme offre de manière virtuel un espace de discussion pour les enfants et adolescents qui souhaitent discuter du monde, des droits, d’éducation etc. Pour voir le site, c’est ici.