Comme les bons livres des bons auteurs, on peut les lire et les relire une vie durant en y tirant toujours du bon, au minimum des leçons. Séville donc. En Andalousie. A base de civilisations fondamentales. C'est bien simple, tout le monde y a foutu les pieds en trois mille ans. Ce patelin, c'est un résumé de la civilisation humaine. Avec évidemment de la tête coupée à profusion. Et du Grec, du Romain, du Phénicien et un brin de Teuton.
Tout le monde, sauf visiblement des Gaulois qui y débarquent en juillet 1982, sous la houlette de leur chef Michel Hidalgo, au nom prédestiné. C'est une demi-finale de Coupe du monde et il faut battre les wisigoths pour espérer coiffer la couronne de roi, à Madrid quatre jours plus tard.
La bataille va durer deux heures et demie. Lumière bizarre, terrain baroque, ombres inquiétantes dans un stade, Sanchez Pizjuan, où les deux légions vont en découdre.
C'est la bataille du siècle. Les gentils contre les horribles. Des types en face de Platini et Trésor qui ont la bave aux lèvres. Effrayant. Les nôtres guerroient avec grâce. A la Cyrano. Depuis le début de l'épreuve, ils volent, envoient et touchent. Un quatuor presque magique au milieu de terrain et des flèches qui atteignent le but comme des archers à la parade.
Les Allemands nous broient les chevilles d'entrée. Le dénommé Briegel est un géant de deux mètres qui soulève une tonne de fonte avec une main et peut cavaler deux marathons d'affilée. Les autres, Kaltz ou Dremmler sont à l'avenant. A la télé, on écoute Thierry Roland qui, sur un ton désespéré, croit autant à la victoire que le général Weygand en 1940 contre les mêmes...
Vaille que vaille, la France tient le choc. Pas Battiston qui se fait démonter la tête par Schumacher, le portier allemand imbibé de substances vénéneuses et à l'œil exorbité de sang. Ignoble. Mais beau. Beau comme les nuits atroces de spleen de Verlaine ou Rimbaud, eux aussi imbibés de psychotropes pour décrire leurs sentiments.
Les Bleus finissent vaincus. Comme des dieux seulement vaincus par d'autres.
C'était un peu plus qu'un spectacle ce France-Allemagne. De la légende genre tapisserie de Bayeux.
Dans la nuit de Rio, au Maracana, je verrais bien Pogba ou Valbuena planter le dernier tir au but au sympathique Neuer. Et que les Allemands en parlent la larme au coin de l'œil pendant cent ans.