Le vote de l'état d'urgence a choqué quelques bonnes âmes et d'autres simples vigilants. La France est en deuil, sauf sans doute chez quelques politiciens et des commentateurs plus préoccupées par la cohérence de leur posture que la prise en compte de la réalité et de l'émotion. La France est en deuil et certains se sont trouvés de bonnes raisons pour se démarquer de l'hommage. Ils étaient heureusement marginaux.
Mieux encore, le drapeau français n'était plus l'apanage de quelques excités, mais un symbole pour l'hommage aux victimes, deux semaines après les attentats.
Mardi 24 novembre, Manuel Valls est sur CANAL+. Il confie son inquiétude personnelle, le soir des attentats du 13 novembre, il habite dans le quartier du drame. Il n'a pas menti sur un point, il faut vivre avec ce terrorisme. Mais Manuel Valls est resté bloqué dans ce Petit Journal peu curieux. L'animateur Yann Barthès ne lui pose pas toutes les questions qui fâchent, notamment celle sur les premières bavures de l'état d'urgence. C'est une erreur. Car il faut surveiller, dénoncer, exposer ces bavures. La presse est un contre-pouvoir qui est affaibli en France.
La France a écrit au Conseil de l'Europe pour évacuer tout risque de plainte... pour violation des Droits de l'homme: " Les autorités françaises ont informé le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe d'un certain nombre de mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence [...], mesures qui sont susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme". Le gouvernement marche sur des oeufs, il le sait. Mediapart révèle que le ministre Cazeneuve a même appelé ses troupes au discernement dans les perquisitions administratives.
L'état d'urgence dont le Parlement tout entier (ou presque) a voté la prolongation la semaine précédente ne fait peur qu'à une minorité. Parmi elle, certains sont coincés dans leur posture: " un gouvernement socialiste qui cède à l'urgence sécuritaire", voilà une image - caricaturale si elle n'est replacée dans son contexte - qui est évidemment savoureuse pour les critiques compulsifs. Sur Mediapart, on pouvait ainsi lire François Bonnet le 24 novembre qualifier les autorités de " pouvoir hors la loi, (un) Etat hors contrôle." L'auteur osa comparer le gouvernement Valls qui lutte contre Daech à celui de Guy Mollet qui s'abima dans la répression contre les indépendantistes algériens... On croit rêver. Sur un blog hébergé par le même Mediapart, une contributrice qualifiait le gouvernement français " d'Etat terroriste". Considérons que l'émotion trouble les esprits, que la douleur du 13 novembre - qui est elle est nationale - affaiblit le discernement.
"La démocratie n'est pas la guerre" explique le directeur de Mediapart. Plenel se trompe, ce n'est plus le sujet. La guerre est arrivée en démocratie. Inutile de jouer sur les mots. Et l'on sait combien la guerre est dangereuse pour la démocratie. Dans notre passé national, elle a abimé toutes nos Républiques successives. Mais il faut assumer le dilemme sécurité versus liberté, sans caricature ni outrance.
Deux journalistes de Mediapart s'inquiètent de la maigre efficacité des 1.600 perquisitions réalisées en Seine Saint-Denis en 15 jours depuis les attentats. En fallait-il moins ? Une autre s'indigne des interpellations d'islamistes "radicalisés" mais présumés innocents. Faut-il attendre ? Sur Canal+, Valls révèle que 10.500 personnes fichées du statut "S" par nos polices correspondent à la description du musulman radicalisé.
Conflit international
D'autres interrogent plus légitimement la stratégie internationale du gouvernement Hollande. Ainsi Jean-Luc Mélenchon commente-t-il, ce 24 novembre: " Je me contente de dire que je n'aurais pas voté l'état d'urgence qui me semble créer davantage de problèmes qu'il peut en régler." Il réclame " une répression sans faiblesse des prêches ou des manifestations propageant la haine religieuse." Il pointe les trop faibles moyens humains, et non juridiques, de la police et du renseignement, affaibli par une douzaine d'années d'austérité budgétaire: "Entendre François Hollande dire que " le pacte de sécurité l'emporte sur le pacte de stabilité " est un heureux changement de pied". Il ajoute surtout: "Puis je viens sur ce que je considère comme l'essentiel : avoir une stratégie globale dans le contexte."
Oui, l'essentiel est ailleurs, dans le contexte international.
Oui, l'internationalisation du conflit est évidente.
"Aucune action " terroriste " n'a jamais lieu en France autrement qu'en relation directe avec un conflit entre puissances." Jean-Luc Mélenchon
En premier lieu, les origines du conflit sont internationales: la déstabilisation du Moyen Orient depuis 1991, l'irresponsable politique américaine en Irak, les rivalités sunnites/chiites, le choc des révolutions arabes, etc. Daech n'est pas sorti de terre comme un simple rassemblement spontané d'illuminés fanatiques.
vers Bruxelles en voiture depuis Paris. A Tunis, En second lieu , ce terrorisme est international. Bruxelles est ainsi déclarée morte pendant 4 jours. Quelques dizaines de perquisitions suffisent à identifier et arrêter quatre personnessoupçonnées d'avoir aidé à la fuite de l'un des meurtriers de Paris, Salah Abdeslam, mardi, un vendeur ambulant de 26 ans se fait sauter dans un bus, tuant 13 personnes. Daech revendique l'attentat.
Deux semaines avant les attentats de Paris, deux journalistes syriens opposés à Daech étaient assassinés en Turquie. Cette même Turquie qu'on accuse de recycler/blanchir le pétrole de Daech. Comme l'Arabie Saoudite, devenue fréquentable malgré un soutien historique et décisif aux premières cohortes de Daech.
La réalité est grise.
- Rami Abou Diab (@ramiabdb) November 27, 2015
François Hollande peine à constituer une force internationale contre Daech. Pire, ce front commun contre Daech se fissure avant même d'exister. Mardi, un bombardier russe Su-24 russe est abattu par deux F-16 turcs. Vladimir Poutine a annoncé quelques mesures immédiates de boycott de la Turquie.
En Europe, Hollande a eu recours à l'article 42-7 du traité de Lisbonne sur l'Union européenne adopté en 2009. Cette disposition oblige les membres de l'UE à un soutien somme toute modeste "au cas où un Etat membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire." Il faut avouer que les moyens militaires de l'Europe sont finalement tout aussi modestes, si l'on exclue la France - qui vient de faire voter 273 millions d'euros de crédits militaires supplémentaires au Sénat - et le Royaume Uni. "Nous enregistrons des messages de compassion du Premier ministre britannique, de la chancelière allemande, de tous les chefs d'Etat européens, mais nous sommes un peu seuls sur le terrain" regrette Alain Juppé.
Xénophobie identitaire
Si une partie de l'extrême gauche, soutenue par une poignée de journaux, s'oppose à l'état d'urgence sans s'interroger davantage sur les moyens de lutte immédiate et concrète contre Daech, l'extrême droite et la droite furibarde ont choisi de stigmatiser l'islam et le " multiculturalisme", d'en appeler à l'identité française et aux réflexes xénophobes.
Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il repris sa campagne des élections régionales. Le premier tour est dans 7 jours. Lors d'un meeting à Avignon, l'ancien chef d'Etat répète qu'il était président. Il cesse de faire des blagues, Il est plus calme sur l'estrade qu'il tient de ses deux mains. Il lit son texte tant celui-ci n'est pas naturel. Il abandonne son costume de De Funès version calembours qu'il avait emprunté depuis quelques lustres. Sarkozy cherche à se re-présidentialiser... ça ne vous rappelle rien ? L'homme tenté durant un quinquennat de paraître président, à défaut d'agir comme tel. Cette fois-ci, il est coincé entre un duo Hollande/Valls qui lui ont chipé tout son argumentaire sécuritaire, et une extrême droite clamant l'identité chrétienne du pays.
A Avignon, Sarkozy insiste sur l'identité nationale. Il fonce sur sa droite de peur de disparaître effacé sous le Front. "Il n'y a pas d'identité française heureuse dans une société devenue multiculturelle". Ce n'est plus une passerelle, c'est un aqueduc. Sarkozy rebondit sur le drame atroce du 13 novembre pour faire le procès des " mauvais Français": " Nul ne peut plus désormais vouloir partager le destin français sans prendre en compte les valeurs de la France. La France n'est pas un supermarché où l'on choisit ce qui vous convient. " A-t-il seulement compris ce qui se passe, d'où vient Daech, qui en a favorisé la création, et qui soutient cet Etat terroriste aujourd'hui ?
Heureusement, les déboires du microcosme politique intéressent peu. Et que l'enquête sur les attentats progresse à grand pas. On apprend peu à peu le circuit quasiment heure par heure des auteurs des 6 attentats. on découvre des complicités mal évaluées. La droite furibarde braille au laxisme passé, une gauche naïve crie à la fin de la République. Il y a même encore des débats sur le fait de savoir si Daech doit être nommé ainsi; si la France est vraiment en guerre. Il y a encore des débats, des joutes, des tribunes qu'il ne faut pas lire.
La France est en guerre, et vendredi, elle rendait hommage. Quinze jours après les attentats, des petits drapeaux français ont surgi partout dans Paris, sur des façades bourgeoises et des balcons plus abimés, sur la mairie du XVIème et les annexes de l'Armée du salut, dans le Nord et le Sud de Paris.
Vendredi, l'émotion est nationale. François Hollande livre un beau discours dans la cour des Invalides à Paris, devant 128 familles des victimes fauchées le 13 novembre (deux avaient refusé d'être là). " Vendredi 13 novembre, ce jour que nous n'oublierons jamais, la France a été frappée lâchement, dans un acte de guerre organisé de loin et froidement exécuté. Une horde d'assassins a tué 130 des nôtres et en a blessé des centaines, au nom d'une cause folle et d'un dieu trahi."
" Ces hommes, ces femmes, avaient tous les âges, mais la plupart avait moins de 35 ans. (...) Ces femmes, ces hommes, étaient la jeunesse de France, la jeunesse d'un peuple libre, qui chérit la culture, la sienne, c'est-à-dire toutes les cultures."
Vendredi, l'hommage national ne souffrait aucun dilemme.
Et il ne pleuvait pas.